Collaboration – Théâtre de la Madeleine
En 1933, Stefan Zweig est le plus grand homme de lettres de langue allemande. Il peaufine son ouvrage de Marie-Antoinette lorsqu’il est sollicité par son alter ego musical en terme de notoriété, Richard Strauss. Le premier accepte d’être le librettiste du second, au grand étonnement de ce dernier. L’amitié qui va naître, faite d’une osmose artistique confinant à l’apothéose, ne résistera pas à la montée du nazisme qui oblige les deux hommes à sauver leur peau, l’Autrichien juif par la fuite, l’Allemand beau-père d’une juive en acceptant une collaboration avec les autorités du Reich.
« Collaboration », ce mot qu’encore aujourd’hui on rechigne à prononcer sous peine de le voir entaché d’une fâcheuse connotation ou associé à sa version amputée de la dernière syllabe, oubliant qu’il signifie avant tout « travailler avec », comme le traduit si justement le « Mitarbeit » allemand. La polysémie que l’Histoire a donnée à ce vocable prend dans ce spectacle toute sa force. Car la collaboration dont il est question ici se pare de plusieurs sens qui s’interpénètrent sur ce vaste échiquier de l’infamie, fusionnent parfois dans cette machine à broyer l’être humain. Les circonstances brouillent tous les repères, forcent à s’accrocher à d’autres et la collaboration change de camp, de sens, de coloration. Et dans ce laminoir résonne l’admirable vers de Jacques Prévert dans « Barbara » et qui résume tout : quelle connerie la guerre !
Le texte d’Harwood et la très belle traduction de Dominique Hollier jouent sur cette polysémie du titre et nouent une intrigue inextricable d’autant plus terrible qu’elle est historique. D’une amitié imprévisible au départ et qui sera rendue possible par la magie d’une entente artistique, celle-là même que va piétiner la botte nazie, les auteurs ont tissé un canevas des sentiments d’une très belle justesse, sans emphase, très digne dont ressortent grandis ces deux personnages. Zweig l’Européen d’une lucidité prémonitoire et Strauss l’ascète aveuglé de musique au point de ne point voir où va le monde vont pourtant s’entendre et tenter un bras de fer perdu d’avance face à l’hydre nazie, rouleau compresseur indestructible.
Si la mise en scène aurait pu éviter ce découpage qui hachure un peu le propos et son intensité, elle est largement rattrapée par une impeccable direction artistique. Qu’il s’agisse du bagout un tantinet hâbleur de Michel Aumont en Strauss, de la profondeur intérieure du supplicié Zweig auquel Didier Sandre apporte une dimension humaine bouleversante ou de l’immense Christiane Cohendy qui campe une madame Strauss entre harangues et soumission, l’interprétation vole très haut, sans oublier les seconds rôles, impeccables. Sans surcharger inutilement de pathétique une situation déjà lourde, ils réussissent même à provoquer quelques rires comme autant de récréations, furtives mais salvatrices. Un rire d’autant plus terrible puisqu’il préfigure le pire dans les instants qui suivent…
Franck Bortelle
Collaboration
De Ronald Harwood
Texte français de Dominique Hollier
Mise en scène de Georges Werler
Avec Michel Aumont, Didier Sandre, Christiane Cohendy, Stéphanie Pasquet, Patrick Payet, Eric Verdin et Armand Eloi
Décors : Agostino Pace // Lumières : Pascal Puisais
Costumes : Pascale Bordet // Conception sonore : Jean-Pierre Prevost
À partir du 25 janvier 2013
Du mardi au samedi à 20h30
Samedis et dimanche à 17h
Tarifs : De 20 € à 58 €
Réservations : 01.42.65.07.09 ou www.theatremadeleine.com
Durée : 1h40
Théâtre de la Madeleine
19, rue de Suresnes
75008 Paris
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