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Stratégie culturelle et économie – Le renouvellement des villes par les musées

24 mars 2014
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Stratégie culturelle et économie – Le renouvellement des villes par les musées

Le 24 mars 2014


Le 24 mars 2014

L’impact qu’un nouveau musée peut avoir sur la ville qui l’abrite est bien plus vaste que la simple création d’un espace flambant neuf, conçu afin de présenter une collection d’art. Nous semblons compter sur ces institutions plus que jamais, de leur faire porter une part importante de responsabilité pour régénérer certains quartiers, capter l’attention internationale sur une commune et inspirer une génération de concitoyens. En parallèle, les budgets alloués à la culture continuent de se réduire et les gouvernements semblent douter de la portée d’une scène culturelle florissante sur une économie locale.

Est-ce que les musées sont la réponse à apporter systématiquement quand une ville est en déclin ? Ne sommes-nous pas en train d’amplifier leurs retombées ? Qu’est-ce qui fait que l’effet d’une institution particulière est si profond sur l’infrastructure d’une ville ?

À l’heure actuelle, les musées récemment bâtis peuvent être eux-mêmes considérés comme des œuvres d’art. Chaque nouveau projet architectural doit être plus imposant, plus recherché et plus emblématique que celui qui l’a précédé. Il est évident qu’une nouvelle institution reconfigure l’espace qui se trouve autour d’elle. Elle investit ce qui était vide ou du domaine du privé et l’intègre dans l’espace public. Elle instille de nouveaux objectifs pour les paysages urbains. Les directeurs de musée misent de plus en plus sur le fait que le bâtiment en lui-même devienne une attraction, que les spectateurs se sentent attirés par l’architecture au même titre que ses collections d’art. Des architectes tels que Renzo Piano, Zaha Hadid and Herzog & de Meuron se sont forgés une réputation dans la construction de telles institutions. Ils se sont démarqués pour avoir proposé des projets innovants, l’esthétique séduisante. Ces constructions incitent le public à se déplacer et agissent en complément des travaux que l’on trouve en leur sein. Pourtant, certaines de ces entreprises ne respectent pas leurs objectifs en proposant une véritable attraction pour le public, qui éclipse les collections ou néglige les principes les plus fondamentaux concernant une galerie d’expositions.

Le Tel-Aviv Museum of Art, nouveau bâtiment réalisé par Herta & Paul Amir Building, a ouvert en 2011. Il a été conçu pour réorganiser un espace public qui avait été dominé par l’architecture brutaliste des années 1970. Les éléments architecturaux à la géométrie complexe de Preston Scott Cohen, professeur de Harvard, ont certainement marqué une certaine rupture avec cette convention. L’édifice de 19.000 m², qui se résume principalement à ses formes complexes triangulaires et rectangulaires, a été salué pour son caractère révolutionnaire. Mais, certains commentateurs ont estimé que la structure avait échoué à atteindre son but initial avec le battage médiatique qu’a suscité la construction de ce lieu culturel. Esther Zandberg a écrit dans le journal israélien Haaretz en 2011, après l’inauguration de la bâtisse, « Le Tel-Aviv Museum a besoin de se développer, mais, au lieu de laisser le bâtiment remplir ses fonctions, il a été décidé d’en construire un qui créerait le buzz. Nous nous retrouvons avec un nouveau type de bâtiment [..] inutilement complexe, qui remplit un rôle qui n’est pas sa principale préoccupation. » Selon Zandberg, la complexité du bâtiment rend l’orientation difficile pour le public au sein du musée et focalise stérilement son attention sur ce point. De plus, elle souligne que les espoirs que ce musée procure à Tel-Aviv le statut d’une ville au rayonnement mondial ont été déçus. La seule conséquence a été de voir la ville placée sur « plus de couvertures de journaux de papier glacé ».

Au travers du long processus de compétitions où s’affrontent les cabinets d’architectes, l’affinement des plans et la construction en elle-même, des tendances peuvent se dessiner et disparaître avant même qu’un projet ne soit réalisé. Les institutions doivent paraître innovantes et apporter une certaine fraîcheur afin de créer effervescence et excitation qui attirent les visiteurs. Mais, elles doivent aussi passer l’épreuve du temps. Le Musée de Marrakech pour la photographie et les arts visuels (MMPVA), conçu par Sir David Chipperfield et dont l’ouverture est prévue en 2016, correspond parfaitement à ces caractéristiques. En dépit du fait qu’il constituera les plus importants musés au monde dédié à la photographie une fois qu’il sera achevé, les plans le désignent comme étant harmonieusement ancré dans son environnement, grâce aux allusions de l’architecte au grès rouge traditionnel de la ville. Ses lignes épurées et ses formes abruptes le rendent suffisamment singulier pour être remarqué pour son seul aspect extérieur. Mais, il ne devrait jamais détourner les yeux des œuvres qui sont exposées en son sein. Il sera intéressant d’observer la manière dont la ville va accueillir ce projet une fois qu’il sera achevé.

Bien entendu, les musées ne doivent pas seulement jouer sur leur aspect esthétique. Ils ont un rôle important à assurer au sein d’une ville, notamment au niveau des enjeux sociaux. Ces espaces doivent non seulement attirer les visiteurs, mais aussi les retenir, en mettant en place des lieux de rencontre, mais aussi de médiation afin de stimuler l’apprentissage culturel. De plus en plus, le musée est une sorte de « complexe ». Il abrite des salles de spectacle, des boutiques, et des restaurants. Le Broad Museum à Los Angeles, qui prévoit d’ouvrir en 2015, joue sur un design organique, que l’on pourrait presque qualifier de « poreux ». Liz Diller du cabinet d’architectes Diller Scofidio + Renfro explique : « Le voile jouera un rôle dans l’urbanisation de la Grand Avenue en activant une double vue qui connectera le musée et la rue ». Le mélange entre l’espace public et privé ancre les institutions dans le paysage social de la ville.

En considérant l’objectif premier d’un musée, en tant que centre culturel, son impact social est évident. La notion de culture crée un « buzz » collectif autour de ce type d’établissements, de sa construction à son inauguration, mais aussi à travers les expositions et les autres événements organisés. Voir de l’art draine le public à un niveau local, mais aussi international. Les outils numériques qui sont à présent disponibles, comme les réseaux sociaux et les applications des smartphones, participent pleinement à transformer le musée en une véritable attraction. Quelquefois, cette énergie collective peut redonner de l’élan à une ville entière. Ce phénomène est en cours à Doha, capitale du Qatar.

Ce que l’on pourrait qualifier d’explosion culturelle est sur le point de se produire au Qatar. Des investissements significatifs dans le secteur des arts ont permis l’éclosion de nombreux musées, notamment le National Museum of Qatar, un projet réalisé par Jean Nouvel. Le MATHAF, Arab Museum of Modern Art, conçu par l’architecte français Jean-François Bodin est un autre exemple. Il a ouvert ses portes en 2010. Le Museum of Islamic Art, construit par I.M. Pei, a quant à lui été inauguré en novembre 2008. Il est décrit comme étant « destiné à être la figure de proue mondiale des musées consacrés à l’art islamique ». Dans le cas de Doha, la planification n’a pas fait reposer la charge de transformer la ville en capitale culturelle sur un seul et unique établissement. Elle a prévu une série d’institutions ambitieuses et complémentaires, travaillant main dans la main. Différentes conséquences sociales peuvent voir le jour à la suite d’une exposition internationale, notamment pour la scène artistique locale. Une des missions du Qatar Museums Authority (QMA) est de « promouvoir la fierté nationale et de développer une diplomatie culturelle au nom de l’État et de la confiance du peuple du Qatar ». Comme le concept de musée englobe de plus en plus de prérogatives, avec des équipements destinés à des domaines comme la recherche et l’éducation, proposant programmes et emplois, les impacts sociaux des institutions muséales se perpétuent.

Dans le cadre de projets visant à donner un second souffle à une ville, la portée économique et sociale reste obscure. L’impact de l’ouverture du Guggenheim Museum de Bilbao en 1997, connu sous le nom d’« effet Bilbao », doit être nuancé. La structure innovante de Frank Gehry, largement saluée, a sorti du sommeil une zone portuaire moribonde. Elle a aussi plus ou moins inversé le déclin industriel dont souffrait la ville au début des années 1990. Dans les faits, en moins de cinq ans, les 133 millions d’euros injectés initialement dans ce projet ont été couverts en recettes fiscales. La croyance en cet « effet Bilbao » se retrouve dans des entreprises comme le Louvre Lens (France), le Lowry à Manchester (Royaume-Uni), le Denver Art Museum (États-Unis) et sur l’Île de Saadiyat d’Abu Dhabi (Émirats arabes unis). Chacune de ces illustrations démontre d’une part une revitalisation de bastions de l’ère industrielle, d’autre part une renaissance en tant que centres économiques dynamiques. En comparant la chronologie des événements survenus à Bilbao, l’« effet Bilbao » tend pourtant à être un effet secondaire, venant à la suite d’autres changements matériels et sociaux. Tous les musées ne sont pas capables de générer suffisamment de retombées leur permettant d’être viables et d’être un soutien pour leur environnement. Il suffit de se pencher sur le Detroit Institute of Arts pour vérifier ces propos. Afin d’avoir de véritables répercussions financières, une institution doit frapper les esprits grâce à son architecture, son aspect extérieur, mais aussi proposer un riche répertoire culturel en son sein.

Ces nouveaux centres économiques attirent les musées, qui en retour les aident à stimuler croissance et revenues. Le Broad Art Museum est en cours de construction à Downtown LA. Il se situe sur Grand Avenue, une artère qui a connu un regain d’activité important. Le Walt Disney Concert Hall, bâti par Frank Gehry, qui était déjà derrière le Guggenheim, s’y trouve aussi. Les changements survenus dans cette rue s’insèrent dans une régénération qui s’étend à l’ensemble du secteur. Bilbao a démontré qu’une institution muséale peut devenir un atout majeur dans les projets de revivification d’une ville. À Salford, situé dans la périphérie de Manchester (Royaume-Uni), l’ouverture en 2000 du complexe comprenant la galerie d’art Lowry et un théâtre, au sein des docks laissés à l’abandon de Manchester, a réussi à créer un cœur névralgique en dehors du centre-ville. Dans ses colonnes, le Man chester Evening News souligne que le Lowry était l’attraction touristique la plus visitée en 2010 et en 2011 pour le comté métropolitain du Grand Manchester. Cependant, le Lowry n’est qu’un des facteurs d’un effet boule de neige plus global, concernant le quartier de Salford. En 2012, la BBC a fait déménager plusieurs de ses départements dédiés à la retransmission, au total 2.700 personnes, dans le complexe MediaCity situé dans ce secteur. Le déménagement de cette institution britannique illustre le phénomène de décentralisation de la BBC depuis Londres, mais aussi la capacité de séduction qu’exerce à présent Salford, notamment en raison de sa vie culturelle foisonnante et de son dynamisme économique.

Les musées sont devenus progressivement représentatifs du phénomène de gentrification d’une ville, symbole de prospérité économique et de placement financier. En s’appropriant et transformant l’espace public, ils reconfigurent l’identité d’une ville. En fait, tous les facteurs, architectural, social et économique, sont interchangeables, ces institutions nécessitent un investissement initial significatif pour entraîner un véritable rendement en terme financier et culturel. Une architecture marquante peut être attirante le public, mais, comme cela a été expérimenté à Tel Aviv, elle doit être complétée par la qualité des œuvres proposées, des programmes éducatifs ambitieux. Le visiteur ne doit pas seulement se souvenir de l’aspect extérieur de la structure, il doit aussi vivre une véritable expérience culturelle en son sein. Les musées doivent également s’insérer dans un réseau économique plus vaste et échanger avec les différents acteurs qui le constituent. Des retombées en terme de visibilité et de capital seront ainsi générées pour l’ensemble des parties. Au 21e siècle, les institutions muséales qui connaissent le succès le plus vif vont continuer à se transformer en infrastructures. Elles devront prouver qu’elles peuvent engendrer des impacts matériel, social et économique à l’échelle locale et internationale.

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