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Stéphane Ricordel – La Villette

7 janvier 2011
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Pour la première fois de son histoire, le Cnac confie à un circassien la mise en piste du spectacle de fin d’année : Stéphane Ricordel un des fondateurs des Arts Sauts succède ainsi à des metteurs en scène de théâtre ou chorégraphes tels que Josef Nadj, Philippe Découflé, Francesca Lattuada, Arpad Schilling, Georges Lavaudant…

 

Entretien avec Stéphane Ricordel

Pourquoi avez-vous accepté la proposition de signer le spectacle de fin d’études de la 22e promotion du Cnac ?

Le cirque s’est affirmé comme langage et, aujourd’hui, la responsabilité de l’écriture, de la dramaturgie et du sens ne revient pas forcément à des metteurs en scène ou des chorégraphes. Cette expérience s’inscrit dans la continuité de l’aventure des Arts Sauts, où je me suis confronté concrètement de façon collective à la question de la mise en scène. Travailler avec les étudiants du Cnac, c’est aussi poursuivre ma passion pour le cirque…. J’ai été élève, interprète, auteur et maintenant metteur en scène.

 

 

Comment s’est amorcé le geste de création pour âm ?

 

J’ai d’abord pris le temps de rencontrer ces jeunes artistes, de les observer au Cnac dans leur pratique, dans leurs propositions artistiques, leur être en piste. Ils travaillent un langage que je connais bien, en tant qu’ancien trapéziste : l’acrobatie.
C’est le vocabulaire générique du cirque, qui est la combinaison de deux figures fondamentales, le salto et la vrille. Tout comme avec des traits et des points, le morse compose toutes les lettres de l’alphabet, l’acrobatie s’écrit par association et variation de ces deux éléments, réalisés dans un sens ou dans l’autre, selon différents axes, par demie ou complète rotation, au sol, sur fil, au cadre aérien ou encore sur un mât chinois.
Tous les artistes de cirque, quelles que soient leur nationalité ou leur sensibilité artistique, partagent ces notions techniques. Donc je suis parti de cette “matière cirque” car je sais la décrypter, j’en saisis le sens, j’en connais l’essence.

 

Qu’est-ce qui fait la particularité de cette “matière”?

 

Elle se déploie en trois dimensions et ouvre un éventail des possibles dans les capacités du corps humain différent de ce qu’apporte la danse par exemple. Elle appelle la nécessité du geste : quand une porteuse lance sa voltigeuse dans les airs, sa nécessité est de la rattraper. Cette nécessité m’intéresse. Elle demande un investissement total de l’être, dans l’instant de l’acte. Le cirque comme art prend tout son sens ici…
Que cherche-t-on dans l’art si ce n’est ce geste-là, totalement juste car guidé par la nécessité, qui nous touche, nous émeut, nous bouleverse ? L’émotion du spectateur naît de ces quelques secondes où l’artiste s’expose tout entier dans son action, et non des fioritures avant ou après.
Au moment du saut périlleux, tu es absolument seul. Rien ni personne ne te soutiennent, si ce n’est l’attente. J’ai souvent éprouvé ce sentiment très intensément là-haut, lors des spectacles avec Les Arts Sauts. âm raconte un peu cela. Cette solitude.

 

 

Est-ce cette tension de tout l’être qui donne l’intensité de la présence si propre au cirque ?

 

Elle exige en tout cas une concentration extrême, proche du vide total que cherchent à atteindre certains arts martiaux, c’est-à-dire un état où aucune autre pensée ne peut interférer avec l’acte à accomplir. Et surtout pas le regard de l’autre. C’est la première chose à éliminer. Si l’artiste parvient à s’abstraire de sa mise en représentation, de son costume, de la lumière, du danger, des chocs, de la hauteur, du bruit, de la musique… il est alors totalement investi dans l’accomplissement de son geste.  Comme dans le Qi Gong, technique taoïste millénaire fondée sur la connaissance et la maîtrise de l‘énergie vitale. Ce face-à-face avec lui-même est paradoxalement le moment où il donne le plus.

 

 

Le vide pourrait désigner l’absence d’affect, alors qu’il focalise une extrême intensité émotionnelle, sorte d’acmé de l’acte circassien. Est-ce cela la prouesse ? Quelle fonction tient-elle dans une pièce de cirque ?

 

C’est le moment de plaisir de l’artiste. La perception de la virtuosité reste très relative et souvent seuls quelques initiés savent lire la réelle difficulté technique d’une figure. Certaines, d’une très grande complexité, sont moins spectaculaires que d’autres plus simples.
Quand un acrobate fait un “killer” à la bascule, ça tourne dans tous les sens, ça fait peur… les gens ne comprennent pas ce qui se passe, ni comment ça fonctionne. Ils peuvent tout autant s’ébahir devant un simple salto tendu. Ce n’est pas grave, parce que c’est le plaisir intime, inviolable, de l’artiste que de faire son “killer”.
“L’extra-ordinaire” dépasse justement l’entendement et relève de l’inouï. Il nous projette hors du connu. C’est pour cette raison que les disciplines ont un impact très varié et variable sur le public. Certaines apparaissent plus proches de notre expérience ordinaire que d’autres, donc plus faisables, moins “extra-ordinaires”. Ainsi du jonglage. Tout le monde a lancé des objets et les a rattrapés, ou au moins a essayé. Le trapèze en revanche semble plus inaccessible, à cause de la hauteur et du vertige qu’il peut provoquer.  Cette discipline paraîtra plus spectaculaire que le jonglage. Or le jongleur qui jette cinq massues et les rattrape dans le dos réalise une figure beaucoup plus compliquée qu’un salto au trapèze.

 

 

L’artiste ne cherche pas à accomplir l’extraordinaire pour quelqu’un, il le fait pour lui-même, il est dans sa solitude. C’est cet endroit-là qui me fascine : pourquoi cet être a-t-il travaillé avec obstination, a-t-il affronté les contraintes de son corps, de la matière, a-t-il surmonté la fatigue, l’échec, la douleur, pour en arriver là ?

 

Le sportif de haut niveau se bat contre le chronomètre, contre les autres, alors que le circassien lutte avec lui-même… ou plutôt pour lui-même ?
Le cirque lutte pour… Il offre donc un espace de liberté incroyable car l’artiste œuvre pour lui-même, sans rapport de domination ni haine. La prouesse faite dans ce sens est alors un don. Don de soi au public. Et cela est magnifique.

 

 

La scénographie a toujours été essentielle dans les créations des Arts Sauts, pour dessiner l’espace d’expression de l’acrobate, le cadre physique et symbolique dans lequel il inscrit son art. Qu’en est-il pour âm ?

 

Je pense le cirque en volumes. Mon imagination fonctionne dans l’espace. La conscience de la réalité matérielle, charnelle même, de l’espace et du vide, reste au cœur de mon approche.
La scénographie dessine le cadre et son mouvement la ligne dramaturgique. Mon écriture passe par là. J’ai imaginé le dispositif scénique avant même de débuter le travail avec les étudiants, en fonction de mes intuitions artistiques mais également bien sûr de leurs agrès, de leur disciplines et des contraintes, très fortes, de montage et démontage, et donc de rythmes….. Dans âm, l’élément principal est une plateforme autonome, qui se déplace et métamorphose la perception de l’espace : elle suggère un mur, une arche, un plafond… Par les multiples formes qu’elle peut prendre, elle convoque des univers symboliques et agit comme un vecteur d’imaginaire qui porte le geste des artistes sur leurs agrès

 

Quel est le processus de travail avec les étudiants ?

 

Nous avons commencé à travailler sur la structure. Ils doivent s’approprier la scénographie avec leurs langages circassiens pour y trouver leur espace d’expression. Nous ne travaillons pas sur une situation au sens théâtral, ni sur des personnages.
Nous nous racontons des histoires pour trouver des états émotionnels, des sensations physiques, mais elles resteront illisibles pour le spectateur.
Je donne des intentions, qui permettent de transformer un enchaînement en véritable écriture chargée de sens, mais je ne sais pas diriger des acteurs.
Un parcours se construit ainsi peu à peu. La métamorphose globale de la scénographie, qui va de l’individu au groupe, croise le mouvement intérieur qui va du collectif à la solitude.

 

 

Et le titre âm… quelle est son histoire ?

 

Il en a plusieurs… Le mot nous a d’abord été soufflé par une étoile… L’âme évoque bien sûr la solitude. Au cirque, l’âme du câble, du filet ou de la corde désigne le fil conducteur initial autour duquel sont tissés tous les autres brins.
Nous avons enlevé le “e” qui est le son de l’incertitude. Et puis, dans les langues du monde, le “m” est la seule sonorité qui se retrouve partout, tandis que le “â” est spécifiquement français… et le chapeau particulièrement circassien.

Entretien réalisé par Gwénola David, directrice adjointe-Conseillère artistique et pédagogique du Cnac

 

Lire aussi sur Artistik Rezo, le 25ème anniversaire du Cnac.

 

 

Production 2010 : Centre national des arts du cirque. Partenaire privilégié du Cnac, le Conseil Régional de Champagne-Ardenne soutient par son financement la troisième année de formation et l’exploitation du spectacle de fin d’études. Le Cnac est financé par le ministère de la Culture et de la Communication – DMDTS et reçoit le soutien du Conseil Général de la Marne et de la Ville de Châlons-en-Champagne.

Mise en scène : Stéphane Ricordel assisté de Patrice Wojciechowski, Scénographie : art&Oh – Benoît Probst, Création Lumière : Julien Boizard, Création Son : Marc Bretognier : Création Costumes : Jeanne Roualet, Conception Costumes : Juliette Christmann et Atelier Bütsch’s

avec les étudiants de la 22e promotion :

Fanny Austry : corde volante, Mathieu Bleton : acrobatie, Léo Blois : acrobatie – voltige
Sarah Cosset : mât chinois, Julien Cramillet : corde volante, Romain Guiniot : tissus, Mathieu Hedan : équilibres, Marion Hergas : fil, Océane Pelpel : fil, Fanny Hugo : cadre aérien (porteuse), Birta Benonysdottir : cadre aérien (voltigeuse), Wilmer Marquez : portés acrobatiques (porteur), Edward Aleman : portés acrobatiques (voltigeur), Fanny Alvarez : bascule hongroise, Antoine Guillaume : bascule hongroise, Karim Messaoudi : bascule hongroise, Marius Ollagnier : bascule hongroise, Maxime Reydel : bascule hongroise

et la participation de Juan Pablo Palacios, porteur au cadre aérien.

viusel simple 4 – © photo Philippe Cibille – Conception graphique Jeanne Roualet – maquette Marie Victoroff.jpg    viusel simple 4 – © photo Philippe Cibille – Conception graphique Jeanne Roualet – maquette Marie Victoroff

Le Cnac fete son 25e anniversaire – âm

 

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Du 19 janvier au 13 février 2011

Dates/horaires : mercredi, vendredi et samedi à 20h30 / jeudi à 19h30 / dimanche à 16h
Tarifs : 20 € – tarif réduit 15 € – Villette jeunes (moins de 26 ans) 12 € – abonné 14 €

Espace Chapiteaux / Parc de la Villette
Métro Porte de la Villette
75019 Paris

Informations/Réservations : 01 40 03 75 75 et www.villette.com

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