Olivier Saladin ou la leçon d’évidence comique
Ancien malade des hôpitaux de Paris De Daniel Pennac Mise en scène de Benjamin Guillard Avec Olivier Saladin A partir du 4 mai 2016 Du mardi au samedi à 19h Relâche le 21 juin 2016 Tarif : de 10€-37€ Réservation en ligne Durée : 1h15 Théâtre de l’Atelier Nommé aux Molières 2016 dans la catégorie du meilleur « Seul en scène ». |
A partir du 4 mai 2016
Ancien malade des hôpitaux de Paris embarque les spectateurs dans un mouvement dramatique qui va crescendo. Lors de sa dernière nuit de garde en tant qu’interne, Gérard Galvan enchaîne les consultations. Les heures filent et les patients défilent, jusqu’à l’arrivée d’un malade difficile à diagnostiquer. Hors de question qu’il meure un soir de quille, le jeune docteur fera tout pour sauver son patient. Dès les premières lignes, Daniel Pennac met en place une situation comique paradoxale : alors qu’il devrait se focaliser sur son métier, Galvan est obsédé par sa future carte de visite, signe de reconnaissance sociale qui lui permettra de montrer qu’il en est. Le tout est soutenu par une écriture fluide et un rythme vif prompts à exciter les rires. En passant au plateau, c’est l’explosion. Comme le personnage qui transporte son malade de service en service, Ancien malade des hôpitaux de Paris embarque les spectateurs dans un mouvement dramatique qui va crescendo. Le spectacle est construit de telle manière que, passées les premières minutes d’exposition, le rythme enlevé ne retombe jamais. Pris au cœur d’une enquête policière (Galvan sauvera-t-il le patient ?), les péripéties s’enchaînent sur un mouvement de comédie : il faut repérer les symptômes, émettre des hypothèses, courir dans les couloirs pour les soumettre aux spécialistes, recommencer à chaque échec. Dans l’urgence, le moindre incident a des conséquences immenses pour le personnage qui, tout en se démenant pour garder son patient en vie, doit aussi briller devant les pontes de la médecine auxquels il s’adresse. Chaque mot, chaque geste, le moindre détail comptent, tant pour le patient que pour le médecin, qui semblent tous deux jouer leur vie à chaque seconde. Cette dernière nuit d’internat, qui devait relever d’une simple formalité, se transforme en cauchemar. L’exaltation laisse la place à l’accablement et aux doutes. Et si le patient mourrait ? Et si Galvan n’était pas fait pour la médecine ? Et si la police d’écriture choisie pour la carte de visite n’était pas la bonne ? Pour soutenir ce rythme effréné, la mise en scène de Benjamin Guillard se révèle d’une grande finesse. Un tapis blanc, un fond de scène blanc et quelques éléments de mobilier installent l’action dans un lieu qui laisse penser au milieu médical. Les variations de lumière, les légers effets sonores et les changements d’espaces soutiennent la compréhension et l’attention des spectateurs. Les variations de points de vue à l’intérieur et entre les séquences sont fluides et dynamisent l’ensemble. L’acteur et le metteur en scène parviennent à amener les spectateurs à changer d’objectif chaque fois qu’ils le souhaitent. La mise en scène reste toutefois en retrait pour laisser la performance d’acteur se déployer. C’est ici que réside la réussite majeure de Benjamin Guillard : une direction d’acteur tenue. Même lorsque Saladin prend les intervalles laissés par le texte pour proposer des jeux de scène délirants, il est ramené au fil conducteur du spectacle. Ces débordements recadrés insufflent encore de la vigueur au mouvement d’ensemble. La performance d’Olivier Saladin, seul en scène, est d’une rare richesse. A la fois narrateur et producteur, l’acteur alterne les passages narratifs et les passages incarnés. Il joue un, deux, trois protagonistes en même temps, anime des scènes de polylogues en montrant des médecins, des employé(e)s de l’hôpital et des patient(e)s. Il passe de l’un(e) à l’autre par un changement de posture, un déplacement ou une inflexion de la voix. Les personnages, juste esquissés, apparaissent et disparaissent à vive allure. Une courte scène de véhémence comique, l’une des spécialités de Saladin, surgit également au détour d’une réplique pour devenir une scène hilarante. Alors que Galvan, à la recherche de son patient, téléphone à la morgue, l’agacement monte pour finir en explosion. Le débit de parole du comédien accélère, les mots deviennent incompréhensibles et se rapprochent du grommelot. La tension dramatique liée à la fable (le patient est-il mort ?) se double d’une forte tension physique. Une fois les spectateurs pris dans son délire, il suffit à l’acteur de marquer une pause ou une hésitation, de faire un geste, une mimique, d’accélérer ou de ralentir l’action pour provoquer l’adhésion des spectateurs et générer les rires. Dans ces moments de fulgurance comique, la tension est telle que l’acteur parvient à tenir la salle en état de suspension. La performance d’acteur est si précise qu’elle en devient fascinante. Olivier Saladin maîtrise les déséquilibres, jongle avec les situations et réalise la jonction entre rire et fascination. Ces deux notions a priori antinomiques – comment allier les secousses et les ruptures comiques avec ce qui relève de l’émerveillement ? – deviennent alors évidence. C’est une belle leçon de théâtre comique. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=5O82IITQcLI[/embedyt] Marie Duret Pujol [© Emmanuel Noblet] |
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