Sous la direction de Eliahu Inbal, l’orchestre philharmonique de Radio-France et le chœur de Radio-France interprètent le Requiem de Thierry Lancino, créé le 8 janvier 2010, et enregistré à cette occasion.
Ecrit pour un grand effectif (quatre solistes : soprano, mezzo-soprano, ténor, basse, un choeur de quatre-vingt chanteurs, un grand orchestre par 4, huit cors dont quatre tuben wagnérien, six percussionnistes et un piano préparé), cette œuvre de 72 minutes rappelle les grands Requiems du répertoire (Berlioz ou Verdi).
La liturgie latine en cinq sections (Introït, Séquence, Offertoire, Sanctus, Agnus Dei) se voit accompagnée de textes en français de Pascal Quignard, et en grec ancien d’oracles authentiques de la Sibylle de Cumes et de l’Ancien Testament : un Prologue, le Psaume XVIII, un Chant de la Sibylle et un Chant de David.
C’est un Requiem très « théâtral », où le compositeur n’hésite pas à déployer son sens de la progression dramatique, de la déclamation, et de la rupture. Les personnages de David et de la Sibylle sont ajoutés par Quignard, et symbolisent l’affrontement entre le monde des morts, et la promesse d’une vie éternelle.
Au même titre que le texte, le langage du compositeur semble se diversifier esthétiquement et multiplie les références. On pense beaucoup tout au long de l’oeuvre à Maurice Ohana. L’écriture alterne des passages spectaculaires aux effets de masses sonores d’une grande densité, et des moments purs et cristallins de recueillement. Ainsi le Prologue, un récitatif au lyrisme très expressif, précède un Kyrie, dont les grands effets de masse du choeur à l’unisson évoque le Requiem de Ligeti.
L’écriture est globalement très gestuelle, de la mélodie des voix solistes aux grands tutti, en passant par l’usage des percussions, donnant à l’ensemble un caractère expressionniste un peu systématique. La musique n’abandonne dès lors guère la couleur quelque peu terne de la complainte.
Lorsque le langage s’harmonise pour quitter les grands effets, il devient simplement tonal, comme lors du Requiem Aeternam.
Le Psaume XVIII nous fait entendre la belle voix de basse de Nicolas Courjal.
Le Dies Irae rappelle fortement ceux de Mozart et Verdi, par les cellules rythmiques du premier et les effets de gammes descendantes du second. Il cristallise une belle tension dramatique, que le compositeur ne relâche jamais, jusqu’au Rex Tremendae, comme un point culminant.
L’Ingemisco suivant, pianissimo, est une grande réussite théâtrale. Confié à la magnifique soprano américaine Heidi Grant Murphy, cette voix seule sur une ligne de violoncelles à l’unisson manifeste une grande efficacité dramatique.
Puis la tension se relâche sensiblement ensuite. Le Confutatis évoque le Stravinsky des Noces. Le Lacrimosa nous ramène vers une écriture harmonique, et tonale. La voix pleureuse assume un certain figuralisme de l’écriture vocale. Le “Chant de la Sibylle” nous fait entendre les belles sonorités graves de la voix de Nora Gubisch.
Le Sanctus renouvelle et relance la progression dramatique.
L’Agnus dei apporte un repos agréable. Grande réussite dramatique également. C’est une lente fugue, avec imitations parfaitement assumées, a capella du choeur. Le Dona eis Requiem, duo de David et de la Sibylle, conclut l’oeuvre par un tutti.
Une très belle interprétation de l’orchestre qui semble avoir été inspiré.
Thierry Lancino – Requiem
Naxos
Sortie le 10 novembre 2011