La ronde du carré à l’Odéon
Ce qui existe ne nous suffit pas. C’est ça notre erreur, mais elle est inévitable.
Dimítris Dimitriádis
“La Ronde du carré” s’est d’abord intitulé “Le Cercle carré” : Dimitriádis avait donc choisi de désigner son œuvre en recourant à la figure d’une contradiction irreprésentable. Ce texte paraît pourtant, à première lecture, d’une extrême simplicité : où donc se cachent les paradoxes ou les impossibilités dans ces scènes simples et compréhensibles qui se succèdent ? Mais les labyrinthes les plus profonds sont ceux qui dissimulent leur seuil. Les personnages qui peuplent celui-ci, désignés par de simples noms de couleur, se répartissent en quatre groupes au sein d’«un seul espace, ouvert ou fermé, composé de quatre unités». Dans chaque groupe, une crise amoureuse suit son développement tragique. Verte retrouve Vert après l’avoir quitté, prête à tout accepter pourvu qu’il la reprenne ; Ciel et Cielle viennent consulter Noir à propos de l’unique problème que connaît leur couple ; Violette avoue à Violet qu’elle va le quitter pour Gris, son meilleur ami ; Jaune et Rouge, qui se partagent les faveurs de Bleu, se demandent lequel des deux il aime le plus.
Des histoires d’amour, donc, qui avancent peu à peu : si Dimitriádis a finalement choisi de parler de «ronde», peut-être est-ce pour faire allusion à la fameuse pièce d’Arthur Schnitzler, où les différentes formes de la rencontre érotique sont explorées, de couple en couple, le long d’une chaîne amoureuse qui fait voyager le désir à travers toutes les strates d’une société. Mais là où Éros, selon Schnitzler, se propage de proche en proche, Dimitriádis l’assigne strictement à résidence dans des cases étanches jusqu’à l’obsession : jamais en effet les membres d’un groupe donné ne rencontrent les membres d’un autre groupe. Le dynamisme de la «ronde» n’est donc plus celui de la joyeuse circulation d’une force en continuelle expansion et impossible à confiner, mais bien plutôt celui d’une implacable réitération. On songe dès lors à un tragique inédit, qui aurait l’aspect et la structure d’un Rubik’s Cube : des fragments de surfaces colorées tournent, pivotent, se recomposent, entrent dans un nombre vertigineux de combinaisons – sans jamais cesser de reconstituer le même volume. Mais à la différence du cube de Rubik, le carré de Dimitriádis n’aurait pas de solution et serait plutôt une figure de l’éternel retour. Car selon le poète grec, une œuvre doit se poursuivre au-delà de sa propre fin, et La Ronde du carré propose sans doute à son metteur en scène la formule dramatique d’un tel refus de toute limite. Comment donc le donner à voir ? Corsetti, avec son sens inné de la forme et son goût des écritures contemporaines, a accepté de relever cet énigmatique défi.
DIMITRIADIS DIMITRIS
Né à Thessalonique en 1944, Dimitris Dimitriadis fait des études de théâtre et de cinéma à l’INSAS (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle) de Bruxelles entre 1963 et 1968, en qualité de boursier de l’Etat belge.
Au cours de ces années, il écrit directement en français sa première pièce de théâtre : Le Prix de la révolte au marché noir (1965-1966), que Patrice Chéreau monte en 1968 à Aubervilliers (le texte, publié dans sa version grecque en 1980, reste inédit à ce jour en français). Suivent, entre autres, La Nouvelle église du sang (1983), L’Elévation (1990), L’Harmonie inconnue de l’autre siècle (1992), L’Arche de la vie (1994 ; mise en scène Stefanos Lazaridis, 1995 ; trad. fr. Maria Efstathiadi/Eric Da Silva), Le Vertige des animaux avant l’abattage (1997 ; mise en scène Yannis Houvardas, 2000 ; mise en espace Michel Didym, 2001-2002), Procédure de règlement de différends (2004 ; trad. fr. Constantin Bobas avec la participation de Sophie Giré) et le triptyque de l’Homériade : Ulysse, Ithaque, Homère – édité en DVD multilingue par l’Atelier Européen de la Traduction (pour plus de détails, on se reportera au site de l’AET : http://www.atelier-traduction.com/).
Dimitriadis est également l’auteur de plusieurs textes en prose : Je meurs comme un pays (1978 ; trad. fr. Michel Volkovitch ; mises en scène Yannis Kokkos, 2003 ; Anne Dimitriádis, 2009), L’Anathèse (1986), Léthé, cinq monologues (2000 ; trad. fr. Dominique Grandmont, mises en scène Jean-Christophe Bailly, Petit Odéon, 1998 ; Anne Dimitriadis, 2000). Son roman Humanodie. Un millénaire incomplet, en dix volumes, dont seuls le premier et le septième sont parus en 2002, a obtenu l’année suivante le Prix d’Etat du meilleur roman.
Poète, il compose des Catalogues, dont neuf recueils (1-4, 5-8, 9, 10-12) sont publiés à ce jour.
Dimitris Dimitriadis a traduit des textes de Genet, Sartre, Blanchot, Bataille, Gombrowicz, Duras, Nerval, Molière, Kostas Axelos, Courteline, Maeterlinck, Shakespeare, Tennessee Williams, Eschyle, Euripide, Beckett, Drieu la Rochelle, Julien Green ou Cioran.
La ronde du carré
De Dimitris Dimitriadis
Mise en scène Giorgio Barberio Corsetti
Traduction : Claudine Galéa et Dimitra Kondylaki
Assistante à la mise en scène : Raquel Silva
Décors & costumes : Cristian Taraborrelli
Lumières : Jaufré Thumerel son et Jean-Philippe François
Musique : Gianfranco Tedeschi
Photographe : Alain Fonteray
Avec Julien Allouf, Anne Alvaro, Bruno Boulzaguet, Cécile Bournay, Luc-Antoine Diquéro, Maud Le Grevellec, Christophe Maltot, Laurent Pigeonnat
Du 14 mai au 12 juin 2010
Du mardi au samedi À 20h
Durée : 2h35
Location au 01 44 85 40 40
De 15 € à 33 €
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon
Métro Odéon
RER B Luxembourg
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