Percevoir la photographie différemment : une interview avec Takashi Suzuki
Percevoir la photographie différemment : une interview avec Takashi Suzuki Le 23 mars 2015 |
Né en 1970 à Kyoto où il vit et travaille actuellement, Takashi Suzuki est un photographe japonais contemporain. Il est diplômé de l’Art Institute of Boston, après quoi sa production a été exposée dans de nombreux musées et galeries au Japon, aux États-Unis, en France, en Autriche et en Allemagne. AMA a eu la chance de pouvoir discuter avec lui à propos de son travail, de ce qui l’attire particulièrement dans la photographie en tant que médium artistique ainsi qu’au sujet du marché de l’art.
Pourriez-vous nous raconter votre carrière ? Quand j’étais au lycée, je réalisais des films avec mes amis. Je voulais travailler dans l’industrie du cinéma étant adulte, mais j’ai changé d’avis. Je suis allé étudier l’art aux États-Unis et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à me spécialiser dans la photographie. Qu’est-ce qui vous a particulièrement attiré dans la photographie en tant que médium artistique ? Comme j’ai débuté en réalisant des films, j’ai toujours aimé l’idée de capturer des éléments du monde réel pour mon travail artistique. Outre la photographie, il m’arrive parfois de dessiner, mais je préfère prendre un modèle qui existe déjà et explorer les différentes façons dont il peut être perçu par le public au lieu de créer quelque chose moi-même. Je n’ai jamais réalisé de dessins que j’aurais aimé exposer. Je préfère capturer le monde autour de moi, ce que la photographie me permet. J’étais également attiré par la vidéo, mais je n’ai pas assez exploré ce médium. Vous utilisez des éponges comme sujet pour un grand nombre de vos photographies, pourquoi cela ? Les éponges sont des objets connus universellement : tout le monde saura ce que c’est qu’une éponge. On pense qu’elles n’ont qu’un seul but, qu’on les utilise seulement pour nettoyer. J’ai étudié cette idée de plus près et j’ai pensé à ce que je pourrais en tirer. Même si l’on sait que ce sont des éponges, si l’on réalise des choses avec elles et à partir d’elles, elles pourront être transformées en d’autres choses, tels que des bâtiments ou des visages humains. Voilà le message derrière mon travail : l’idée que des objets puissent être transformés afin de devenir autre chose. J’ai commencé ce projet quand, un jour, j’ai trouvé par hasard un paquet d’éponges dans une boutique. Cela m’a poussé à réfléchir et j’ai fini par les manipuler de sorte à les transformer en un objet d’art. Depuis, j’ai commencé ma série Bau qui consiste en des photographies d’éponges. Je réalise également des séries qui représentent d’autres choses, tels que des paysages, des dos de gens et des ombres. Je pense d’abord à un concept ou à un thème et puis je trouve de l’inspiration à l’extérieur. Ce n’est pas tellement que je suis intéressé par les éponges, mais surtout que je suis fasciné par ce qu’elles représentent. C’est la façon dont le sujet photographique est perçu qui m’intéresse, bien plus que l’objet-même. Comment votre travail s’est-il trouvé représenté lors des foires artistiques ? L’année dernière, ma production a été exposée à l’Unseen Photo Fair à Amsterdam, à Fotofever à Paris et également il y a quelques années à Photo Miami et Photo Paris. J’ai trouvé que d’exposer dans des foires artistiques était très différent que d’exposer dans une galerie. L’espace n’est pas du tout le même et l’intention des visiteurs diffère également. Certaines personnes viennent pour acheter de l’art, tandis que d’autres viennent mener des recherches à propos d’un genre artistique particulier ou pour découvrir de nouvelles œuvres. Les galeries japonaises n’ont rien à voir avec les galeries européennes étant donné que les japonais, contrairement aux européens, fréquentent rarement les galeries. Je pense que c’est une très bonne chose que les galeries aient tant de succès en Europe. Il existe des foires au Japon, telle que Art Fair Tokyo, mais je trouve qu’il y en n’a pas assez. Donc les foires artistiques au Japon sont-elles différentes de celles que l’on trouve en Europe ? Oui, je pense que les foires japonaises sont assez différentes de celles en Europe. J’ai l’impression que le marché de l’art au Japon n’est pas tout à fait établi. À l’étranger, surtout en Europe et aux États-Unis, l’art occupe une grande place culturelle, mais au Japon, l’art ne fait pas tellement partie de la culture ; d’ailleurs, le marché de l’art n’est présent que depuis peu de temps. Ce n’est pas tellement que le marché de l’art n’existe pas, les japonais achètent bien des œuvres d’art et les apprécient, mais ce n’est pas comme en Europe. Ce n’est pas la norme et ce n’est pas non plus ancré dans notre culture. J’ai l’impression qu’en Europe, le marché de l’art est une tradition qui existe depuis des siècles, alors que c’est relativement nouveau au Japon. Néanmoins, on remarque que les japonais s’y intéressent de plus en plus. Évidemment, où que vous alliez dans le monde, il y aura bien des personnes intéressées par l’art et d’autres qui ne le sont pas, mais je pense que la communauté des amoureux de l’art et des collectionneurs est bien plus vaste en Europe qu’au Japon. Le problème est peut-être lié au fait qu’au Japon, les gens ne décorent pas forcément leurs maisons avec des œuvres d’art. C’est sans doute parce que les japonais louent souvent leur logement et ne peuvent donc pas endommager les murs, ce qui pourrait arriver s’ils essayaient d’y accrocher des objets d’art ou des tableaux. Quelle est la place d’un photographe japonais sur la scène artistique internationale ? Cela fait maintenant plusieurs années que mon travail est régulièrement exposé au Musée National d’Art Moderne de Tokyo. J’y ai fait l’objet de plusieurs expositions et mes travaux ont également figuré dans un grand nombre de magazines. Je pense donc être assez connu du public international, du moins, de ceux qui s’intéressent à la photographie. Mais c’est assez difficile pour un artiste japonais de se faire connaître sur la scène internationale, car même si l’on participe à des expositions et d’autres événements artistiques au Japon, il y a peu de chance que notre travail soit vu par les gens à l’étranger. En Europe et aux États-Unis, c’est différent. Si vous vivez en France et que vous voulez voir une exposition à la Tate de Londres, vous pouvez vous y rendre en voiture ou bien prendre l’Eurostar et vous y serez en quelques heures. Bien sûr, l’Angleterre se trouve à l’étranger et la langue est différente, mais puisque les pays sont relativement proches, l’échange d’œuvres d’art est bien plus facile. Le Japon se situe en Asie de l’Est, il faut donc prendre l’avion pour s’y rendre. Si l’on veut être reconnu sur la scène internationale en tant qu’artiste japonais, il faut trouver une galerie qui a des contacts à l’étranger ou bien trouver un programme qui s’occupe de présenter les artistes japonais à la scène artistique internationale. De là, on peut se faire connaître en France, au Royaume-Uni ainsi qu’en Allemagne et par leurs musées, leurs conservateurs et leurs galeristes. Ensuite on peut devenir mondialement connu. C’est un processus lent et je pense qu’en tant qu’artiste japonais les chances d’acquérir une reconnaissance internationale sont inférieures à celles de nos homologues européens. Quels sont vos projets pour le futur ? J’ai pratiquement terminé ma série Bau et je voudrais désormais me consacrer à de nouvelles pièces. En ce moment, je travaille sur quelques projets de montages. Lorsque je fais des montages, je ne réalise pas l’œuvre entière d’un coup. Je fais des réalisations séparées, je les conserve et je trouve de nouvelles séquences ou scénarios, donc c’est assez hasardeux. D’une certaine manière, le processus de ce projet est assez similaire à celui du projet des éponges. Le concept derrière mon travail avec les éponges n’avait rien à voir avec la réalisation de sculptures, c’était plutôt un travail d’assemblage. Je voulais produire une œuvre ayant une forme sculpturale, mais quelque chose que nous ne connaissions pas encore. Lorsque je crée mes œuvres, je les fais ressembler à un objet, un bâtiment par exemple, mais elles sont en réalité composées d’objets choisis au hasard. Ces créations sont vues comme des photographies par le public, ce qui le pousse à croire que ces créations sont des choses réelles. Le spectateur va commencer à croire que l’emplacement hasardeux d’objets lui rappelle quelque chose d’autre et va ensuite commencer à percevoir mes créations comme une œuvre à part entière. Cette image perçue par le spectateur ne sera probablement pas ce que je voulais montrer initialement ni ce que les autres spectateurs verront, ce sera une image individuelle. Généralement, les photographies semblent présenter la même image chez tous les spectateurs, mais cela n’est pas toujours le cas. On dirait que tout le monde regarde la même chose, mais en réalité ce n’est pas le cas. Voilà le concept principal derrière ma série Bau et l’idée que je voudrais transmettre à travers mes œuvres. En ce moment, je suis surtout intéressé par la photographie de paysages urbains, je fais de nombreuses photos individuelles. Cependant, lorsque deux clichés différents d’un même paysage sont réunis, ils peuvent être perçus comme étant la même chose bien que le moment et l’endroit d’où ils ont été pris sont complètement différents. Cela montre à quel point la photographie est un médium ambigu. Art Media Agency [Visuels : © Takashi Suzuki, Bau, 2010 100 photographie, C-print sur bois, 11×8×2cm chaque photographie, Edition de 3 exemplaires Courtesy Super Window Project ] |
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