Martha Cooper – interview
Trente ans plus tard, le graffiti fait toujours parler de lui, Martha aussi. De passage à Paris pour animer une conférence sur le street art à la Maison Drouot, elle en profite pour visiter la Tour Paris 13. Au cinquième étage, dans l’appartement qui sert de refuge aux artistes, « Marty » déguste un café avec « une pointe de lait » et le sourire au bord des lèvres.
A 70 ans, l’Américaine est une geek. Quand elle lâche l’appareil photo, c’est pour empoigner son Iphone et inonder d’images son fil Instagram. Cheveux courts plus sel que poivre, boucles d’oreilles en forme d’appareil photo c’est avec ses yeux rieurs que Martha Cooper livre ses impressions sur la Tour Paris 13 et le graffiti, passé d’une culture « super underground à la surexposition ».
Que ressentez-vous en visitant cette tour ?
Tant de graffeurs réunis dans un seul endroit c’est incroyable. Il y a beaucoup d’artistes dont je ne connaissais pas le travail, des jeunes notamment. Ce lieu prouve que le mouvement évolue toujours et il me permet de découvrir la nouvelle génération de street-artistes. Je suis triste d’apprendre que l’immeuble sera détruit mais reconnaissante d’avoir eu la chance de le visiter. Tant de personnes prennent des photos, il restera une trace de cette tour, en quelque sorte elle sera sauvée.
Retrouvez-vous l’âme du graffiti des années 80, tel que vous l’avez connu, celui qui portait un message, une revendication ?
Oui en un sens mais les styles évoluent. Le graffiti est essentiellement basé sur l’alphabet et le traçage des lettres alors qu’aujourd’hui il y a de plus en plus de représentations figuratives, des personnages par exemple. Avant tout le graffiti c’est écrire son nom et peindre des lettres stylisées, comme sur cette table où Legz a marqué son nom. Le message est toujours le même : « J’étais là, j’ai apposé mon blase, ma signature sur ces murs ». J’aime ce côté « fait-main », c’est d’ailleurs ce qui me plaît ici. Les artistes ont utilisé une grande partie des matériaux récupérés sur place : portes, chaises, parquet, bois, plâtre, etc. Utiliser les matériaux dénichés in situ est une démarche intéressante.
Trente ans après vos débuts, vous êtes encore passionnée de street art. Qu’est-ce qui vous motive ?
J’aime rencontrer les artistes, les regarder travailler en temps réel et suivre leur processus de création car les outils et techniques ont beaucoup évolué. Dans les années 80, les artistes peignaient principalement avec des bombes de peintures. Maintenant, le rouleau s’impose de plus en plus. L’artiste argentin Jaz m’expliquait qu’il est difficile de trouver des bombes de peintures dans son pays. Du coup pour peindre, il mélange de la térébenthine avec différents pigments. Ce type d’approche m’intéresse. C’est un milieu où les artistes voyagent beaucoup, moi-même je me rends dans plusieurs pays et quand certains artistes sont de passage à New York, il m’arrive de les d’héberger. Le graffiti est devenu essentiel à ma vie sans que je m’en aperçoive. C’est pour ça que j’aime visiter des endroits comme cet immeuble et voir comment chaque artiste s’est emparé de l’espace mais j’apprécie aussi marcher dans la rue et me laisser surprendre par ce que je découvre. Un peu comme dans une chasse au trésor. L’art peut-être dans la rue et contrairement aux musées ou galeries, on n’a pas à se soucier des heures d’ouverture.
Est-ce qu’il est plus facile d’approcher les street artistes aujourd’hui ?
Le graffiti est à l’origine une culture underground, dissimulée, où les artistes refusaient d’être pris en photo. Aujourd’hui avec Internet et les réseaux sociaux, on peut plus facilement savoir à quoi ils ressemblent et suivre leur travail. Tellement de photos circulent sur les réseaux sociaux. Le graffiti est passé de la culture « super underground » à la surexposition.
A travers vos photos, défendez-vous un propos sur le graffiti ?
Je me considère avant tout comme une journaliste avec une approche documentaire. Dans les années 80, je pensais que le graffiti serait un courant éphémère. Je voulais capter l’essence de cette culture qui allait disparaître, préserver une part d’histoire. Je n’aurai jamais envisagé que trente ans plus tard, le graffiti serait toujours là et vivant ! Je suis toujours à la recherche de la créativité qu’elle s’exprime à travers le graffiti, un style vestimentaire ou une manière de se coiffer, peu importe. Je m’attache aux gens qui dans leur vie de tous les jours sont des vecteurs d’art. Peut-être que c’est ça mon message… L’art se dissimule dans les détails du quotidien.
Plus de 44’000 personnes suivent votre profil Instagram. Quel rôle joue ce réseau dans votre vie et comment l’utilisez-vous ?
Je n’aime pas les réseaux sociaux. Je ne voulais ni de Facebook, ni de Twitter. Idem pour Instagram alors que tout le monde ne jurait que par ça. Il y a un an, j’ai décidé de troquer mon vieux téléphone à clapet pour un Iphone. En un clin d’oeil, Instagram est devenu une passion. J’ai posté une photo de la Tour il y a 10 minutes et il y a déjà plus de 100 likes. Avec Instagram, on peut échanger avec les gens, connaître immédiatement leurs réactions. Instagram c’est comme dialoguer avec des images donc c’est parfait pour moi.
A l’époque, pour suivre les graffeurs, une seule solution : descendre dans les sous-sols, clandestinement. L’adrénaline vous manque-t-elle ?
(Rires) Non plus vraiment. Il y a trois ans à Paris, je suis descendue dans les sous-sols de la petite ceinture. Au fur et à mesure que l’on s’enfonçait, l’adrénaline montait. J’ai également visité les catacombes durant toute une nuit avec des street artistes. On avait de l’eau jusqu’aux genoux. Mais l’adrénaline ne me manque pas même si c’est le vandal, le graffiti illégal, ma véritable passion.
Propos recueillis par Elodie Cabrera
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