Nina Wu – Un film de Midi Z
Nina a quitté sa famille et sa ville de province depuis 8 ans, pour s’installer à Taipei dans l’espoir de faire une carrière d’actrice. Elle n’a jusque là tourné que quelques courts-métrages et des publicités.
Elle complète ses revenus en animant un programme en live-stream. Son agent, Mark, insiste pour qu’elle auditionne pour le rôle principal d’un film d’espionnage se passant dans les années 60.
Entretien avec Wu Ke-Xi – Scénariste et actrice
Comment avez-vous travaillé sur le scénario de Nina Wu ?
J’ai écrit la première version du scénario en 2016. C’était l’histoire d’une actrice qui fait de la figuration pour tenter de percer dans le milieu. Mais je n’ai pas voulu le faire lire à qui que ce soit à l’époque et je l’ai mis de côté. J’ai tourné un autre film dans l’intervalle et en 2017, l’affaire Weinstein a éclaté. J’étais très curieuse de savoir ce qui s’était passé. J’ai commencé me documenter, à lire les témoignages des victimes. Ils étaient bouleversants et ont eu sur moi un grand impact. A la suite de cela, j’ai retravaillé toute la structure de mon scénario. Le mouvement #MeToo m’a amenée à me renseigner sur le syndrome de stress post-traumatique. J’ai pris conscience que j’en avais souffert moi-même dix ans auparavant. Figurante sur le tournage d’un spot publicitaire, j’ai été humiliée par le réalisateur. Sur le plateau, j’ai levé la main pour lui poser une question qui me paraissait pertinente et professionnelle. Je lui ai demandé s’il allait tourner ma scène en plan moyen ou en plan large car ma manière de m’y préparer en dépendait. Il a commencé à rire et à me dire qu’une figurante n’avait pas à s’adresser à lui de la sorte. Tout le monde a ri sur le plateau et j’ai regagné ma loge. Dix minutes plus tard, on me rappelait sur le set. Le réalisateur m’a expliqué qu’on allait tourner une scène supplémentaire très importante. Il a demandé aux membres de l’équipe de sortir des billets de leurs poches. Il les a rassemblés en une liasse et a demandé à l’acteur principal de me gifler violemment avec. On réalisait une pub pour un jeu vidéo de mah-jong. Il m’expliquait que tout le monde voulait faire des gains et que je devais être heureuse de me faire gifler avec tout cet argent. J’étais très jeune et tout juste diplômée de l’Université. Je ne savais pas quoi répondre. L’acteur principal se demandait si c’était dans le scénario et l’équipe se posait elle aussi des questions. Mon partenaire ne m’a pas giflée trop fort et à ce moment-là le réalisateur m’a dit que je devais sourire. Mon partenaire s’est excusé et m’a frappée plus violemment au visage. Il y a eu plusieurs prises et je m’efforçais de sourire puis j’ai fini par éclater en sanglots. Il a ajouté une autre scène où je portais une jupe courte et je devais me rouler sur le sol. J’avais peur que l’on voit ma culotte mais étant figurante, j’étais venue seule. Je n’avais pas d’assistant, ni d’agent. Après cette expérience, c’est comme si mon cerveau avait cessé de fonctionner. Je suis rentrée chez moi et pendant deux semaines, je n’arrêtais pas de pleurer. Je me souviens que comme Nina, j’étais en train de me préparer une soupe et je revivais la scène sans arrêt. Je me voyais hurler après le réalisateur ou je me disais que je n’aurais pas dû lui poser cette question stupide car rien de tout ceci ne serait arrivé. Et quand je reprenais mes esprits, l’eau bouillait et avait débordé de la casserole. C’est de là d’où vient tout le film. Je n’ose même pas imaginer la souffrance de toutes ces femmes qui ont été violées par Weinstein ! Mais pour être passée par une expérience traumatisante moi-même, je connais cet état de confusion et je savais comment l’exprimer au cinéma, en superposant le fantasme à la réalité.
Est-ce que l’épilogue du film est bien la scène d’ouverture de Nina Wu ? Pourquoi cette construction peu conventionnelle ?
Absolument. Mais cette scène pourrait tout autant s’inscrire dans le présent que dans le futur. C’est une journée normale, après tous les événements tragiques que Nina a traversés. Elle se prépare à manger, lit. Cette scène pourrait aussi marquer le début de l’horrible expérience qu’elle va faire de nouveau, à cause du bruit de l’eau qui bout et qui rappelle ce qu’elle a ou va subir.
Pourquoi avez-vous choisi d’interpréter le personnage de Nina ?
J’avais refusé de jouer dans plusieurs films car j’attendais des propositions satisfaisantes. Mais à force de décliner les offres de travail, on a cessé de m’en faire et je me suis retrouvée sans emploi. On ne pensait pas nécessairement à moi pour jouer dans des films commerciaux car j’ai une étiquette d’actrice de cinéma d’auteur. J’ai décidé de mettre à profit cette période de latence et d’angoisse pour écrire un scénario, tout en m’interrogeant sur ce que je souhaitais vraiment faire au cinéma. Personne n’écrit des rôles de lesbiennes à Taïwan et je voulais relever le défi. C’est pourquoi j’ai fait de mon personnage une lesbienne, ce qui reflète peut-être chez moi un désir inconscient. J’ai été influencée par Boy’s Don’t Cry de Kimberly Peirce et interpellée par le coming out de l’actrice américaine Ellen Page. J’ai pris conscience de la pression qu’elle subissait en lisant ses interviews. A cause de son homosexualité, on ne lui offrait plus de rôles dans des comédies romantiques. J’ai injecté tous ces éléments dans mon histoire. Au départ, j’avais plus à cœur de finir le script que d’envisager d’interpréter le personnage. Je l’ai fait lire à Midi Z qui a tout de suite voulu le développer, à ma grande surprise. Il a tenu à avoir différentes options pour le rôle principal. Ses producteurs ont organisé un casting. J’étais l’une de ses options et comme c’était mon histoire, je voulais qu’on interprète mon personnage au mieux. A la fin, Midi m’a choisie car ce personnage s’inspire de mes expériences personnelles et j’étais la mieux placée pour l’interpréter. J’ai relu le scénario, cette fois-ci comme une actrice et j’ai trouvé que c’était vraiment très difficile à jouer !
Votre rôle est à la fois très physique mais aussi psychologique. Comment vous êtes- vous préparée ?
J’ai fait beaucoup de recherches pour étoffer l’aspect psychologique du rôle, en interrogeant des personnes qui souffraient de stress post traumatique. J’ai ainsi pu les observer. S’agissant de la préparation physique, la production nous a fait prendre des cours de cuisine pour apprendre à farcir les raviolis. Elle a aussi engagé un professeur de théâtre et nous avons répété Le petit prince de Saint-Exupéry. Nina est censée connaître Kiki depuis qu’elle est enfant et les personnages ont passé beaucoup d’heures ensemble à répéter. Nous avons joué la pièce dans son intégralité et à plusieurs reprises mais Midi a coupé une bonne partie de ces scènes. Je m’en suis beaucoup plaint ! Le petit prince est un conte que j’adore. J’ai joué cette pièce il y a douze ans avec une troupe d’amis dans un théâtre pour enfants à Tapei. Comme nous étions des amateurs, nous avons rassemblé nos économies pour engager un professeur de théâtre. Nous avons joué cette pièce pendant deux ans, gratuitement, pour les enfants des écoles alentours. Cela avait du sens et je ne me souciais pas de savoir combien d’argent je gagnais. Je viens du milieu du théâtre et peut-être que nous étions naïfs mais comparé au milieu du cinéma qui est très concurrentiel et compétitif, il y a un contraste énorme.«L’essentiel ne se voit pas avec les yeux mais avec le cœur»comme l’écrit Saint-Exupéry. J’ai donc choisi cette pièce pour montrer le décalage qu’il y a dorénavant entre ce qu’était Nina qui jouait dans une troupe amateur et la star qu’elle est devenue.
La femme qui hante et menace Nina représente t-elle sa culpabilité ?
Oui absolument. Elle est aussi inspirée par toutes les femmes qui ont raconté leur histoire à l’occasion du mouvement #MeToo. J’ai vu un documentaire sur ces aspirantes actrices qui n’ont pas pu faire carrière à cause d’Harvey Weinstein. Si elles acceptaient de coucher avec lui, elles avaient une chance de percer mais d’autres ont vu leur carrière brisée alors qu’elles étaient belles et talentueuses. Le personnage qui hante Nina vient de la colère et de la haine de ces femmes. Elle sort tout droit de l’imagination de Nina qui effectivement se sent coupable et se dit qu’elle ne méritait pas ce rôle. Elle se sent sale.
De la scène de sexe qu’on veut imposer à Nina, nous ne voyons que les répétitions. Etait-ce une manière de vous éviter la même situation dégradante que votre personnage et pour Midi Z, de s’affranchir du « male gaze » (regard masculin) qui aurait pesé sur la scène ?
Cette idée de répétition m’est venue après avoir eu à jouer une scène de sexe dans un film commercial. C’était ma première scène de triolisme et j’étais très nerveuse. Je me demandais comment le réalisateur allait tourner cette séquence et lui, me demandait de me détendre. Le jour même, je me souviens que nous avons répété toutes les positions. Nous portions nos vêtements mais cela me rendait encore plus nerveuse car plus tard, je savais que nous tournerions cette scène complètement nus et que nous nous toucherions. Je me demandais comment j’allais pouvoir faire cette scène vingt minutes plus tard. Finalement, dans le feu de l’action et comme tout va très vite, on se contente de jouer et toute la pression retombe. Mais ces positions, vues sous tous les angles, sont ridicules et embarrassantes. La domination masculine est présente dans tous les secteurs de l’industrie cinématographique, pas seulement en Asie, mais partout dans le monde. Il faut qu’il y ait plus de réalisatrices, de scénaristes, de productrices qui fassent des films d’un point de vue féminin. Que les femmes se mettent à parler est une bonne chose qui pourrait changer la donne. Sans leurs témoignages, je n’aurais pas été en mesure de modifier mon scénario original et de raconter mon histoire !
[Source : communiqué de presse]
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