Mystère bouffe et fabulages – Comédie Française
Mystère bouffe et fabulages
Par Muriel Mayette, metteur en scène
L’entrée au répertoire d’un auteur étranger, de son vivant.
Il fait partie de ma mission d’enrichir notre répertoire de nouveaux auteurs majeurs du XXe et même de ce début de XXIe siècle afin de témoigner de l’évolution et des différents aspects de l’écriture dramatique. Dario Fo a marqué notre histoire parce qu’il propose une école de conteurs où l’acteur, responsable du sens des fables qu’il nous conte, prend en charge à lui seul tous les personnages qui la composent.
Monter Mystère bouffe, c’est aller aux sources de notre théâtre d’acteur, c’est permettre au comédien de retrouver ses racines de jongleur (jongleur de mots), celles qu’il avait au Moyen Âge, quand le théâtre était la voix du peuple. Dario Fo donne la parole aux témoins de notre histoire religieuse et médiévale, lui rendant ainsi une dimension humaine, sentimentale et vivante. Les textes de Mystère bouffe constituent une matière de tradition orale plus qu’une littérature, que chaque interprète doit prendre à son compte pour tisser une complicité avec le public. C’est un théâtre adressé qui permet d’intégrer toutes les modulations du présent.
Plus que jamais la personnalité de l’acteur guide cette forme théâtrale. Il ne s’agit ni de numéros virtuoses, ni de saynètes destinées à faire rire, mais plutôt, à travers l’imagerie moyenâgeuse, de re-raconter l’histoire en toute liberté, du point de vue du peuple. Il s’agit de dire tout ce que le peuple garde sur son coeur. Dario Fo m’a offert plusieurs fabulages, qui viennent compléter les mystères, donnant une lecture du monde plus vaste, impertinente, et surtout une parole libre d’un peuple qui écrit son propre théâtre. Dario Fo, lui-même interprète de ses textes avec Franca Rame sa femme, nous livre ici une quantité de fables qui révèle une autre vérité sous les interprétations sages et rassurantes de nos livres d’écoliers. Oui Jésus était bel homme et Marie une vraie maman avant d’être la Sainte Vierge… Dario Fo est un écrivain né du plateau. L’acteur retrouve sa responsabilité de grand jongleur, de grand agitateur de sens. La forme théâtrale orale est brute et ancestrale, c’est un théâtre pur et nécessaire. La plupart du temps, l’introduction que Dario Fo propose à ces contes, ainsi que les ponts qu’il construit entre la mémoire et notre société actuelle, sont tout aussi importants que l’histoire elle-même.
C’est cette dimension pédagogique et engagée qui donne le ton à cette école. Tout est à la disposition de l’acteur nu et solitaire : les accents, les mimes, les grommelots, les descriptions ou les lazzi, etc. Mais aucun artifice ne viendra l’aider à porter son message. Le théâtre de Dario Fo est populaire au sens le plus noble du terme. Je peux dire que Dario Fo nous offre la possibilité de tirer des leçons de notre histoire et sa parole, loin d’être politique au sens actuel du terme, est généreuse, courageuse et joyeusement provocante car elle nous donne une nouvelle porte d’entrée dans cette histoire que nous croyons si bien connaître. Et si le paradis était sur terre ? Ce spectacle est un hommage aux petits cochons que Dieu a aussi créés. Mystère bouffe est le théâtre de tous les espaces, du tréteau à la cour extérieure, du théâtre à l’italienne à la salle communale, il était donc tout naturel de lui proposer aussi la Salle Richelieu.
Dario Fo remet l’acteur au centre du jeu
Une autre école. Ce travail me permet de rendre hommage aux acteurs de la troupe en abordant avec eux une nouvelle discipline, qui entre elle aussi au répertoire. Que chacun soit seul et unique, un solo Salle Richelieu.
Il est très important que chaque acteur qui prend en charge une des « jongleries » de
Mystère bouffe s’approprie le langage de Dario Fo. En italien, chaque texte connaît d’ailleurs une infinité de versions. Il faut donc que chaque acteur trouve sa propre « traduction » de cette matière et ce « chemin vers le texte », cette appropriation est indispensable. De ce point de vue, dans la méthode que nous essayons de mettre au point en répétant ce spectacle, nous évitons d’en arriver tout de suite à l’apprentissage du texte par coeur, au travail de la mémoire, mais essayons de passer par une mémoire sensuelle, une mémoire du corps dans lequel le texte doit s’inscrire.
On peut parler d’une sorte de mémoire intime. Quand on raconte une histoire, on ne la raconte jamais deux fois de la même façon, pas plus que deux personnes ne peuvent la raconter de la même façon. Notre travail consiste à mettre au point et à élargir une mémoire qui soit une matérialisation de l’histoire. Cette mémoire doit contenir la géographie et les images de ce que l’on raconte. Les acteurs doivent traverser et ressentir cette histoire comme s’ils l’avaient vécue, puis la transmettre avant de l’interpréter.
Deux versions
Ce spectacle se déclinera en deux versions pour la seule raison que j’avais envie qu’on entende beaucoup de cette parole. Mais ce sera chaque fois la même forme, le même déroulé, la même scénographie. Dans un prélude, nous commencerons par donner les clés de ce théâtre comme Dario Fo le fait et nous finirons à chaque fois par La Naissance du jongleur qui est la quintessence même de Mystère bouffe, car s’y révèle la puissance de la parole incarnée par l’acteur. Alternativement, nous verrons de courtes images produites pas une petite troupe d’acteurs que sont nos élèves-comédiens. Ils tenteront à plusieurs reprises de représenter la Passion du Christ, cherchant à créer de l’émotion, dans une sorte de contrepoint à la parole des conteurs. Cette tentative contrariée par mille difficultés, célèbrera la fragilité de notre métier. Je me suis beaucoup inspirée d’un film qui pour moi est le plus bel hommage aux acteurs : La Ricotta de Pasolini. Dario Fo disait de Pasolini : « À l’auteur de l’Évangile selon saint Matthieu, on ne tire pas son chapeau, mais trente mille chapeaux ». Ce ne sont pas les mêmes oeuvres ni les mêmes créateurs, mais ils ont en commun un courage, un respect, un amour et un orgueil immense de notre métier. Des acteurs passeurs, partenaires dans le relais d’une grande histoire du monde. Un spectacle en direct où la parole prend feu.
Mystère bouffes et fabulages
Ecrit par Dario Fo.
Mise en scène de Muriel Mayette
Du 13 février au 19 juin 2010
Représentations : matinée à 14h et soirées à 20h30
Tarifs : de 5 € à 37 €
Renseignements et location : tous les jours de 11h à 18h aux guichets du théâtre et par téléphone au 0825 10 16 80 (0,15 € la minute), sur le site internet www.comedie-francaise.fr
Salle Richelieu
Place Colette
75001 Paris
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