Laurent Bayle, directeur de la Philharmonie de Paris : « Il faut offrir la musique à tous »
La Philharmonie de Paris Réservation : 221 avenue Jean Jaurès |
En plein coeur du Parc de la Villette, en bordure du périphérique et de la Porte de Pantin, la Philharmonie affiche sa rondeur et sa modernité architecturale en devenant un centre musical unique au monde par ses propositions et son acoustique. Artistik Rezo rencontre le président Laurent Bayle. Porteur de ce projet depuis de longues années, après avoir bravé de nombreuses tempêtes politiques et financières, Laurent Bayle, qui dirige également la Cité de la Musique, réaffirme sa volonté de désenclaver la musique classique et de brasser des propositions artistiques et pédagogiques novatrices. De Pierre Boulez à David Bowie, qui font actuellement l’objet de deux remarquables expositions, en passant par Bach, Schubert, Brad Mehldau ou Dianne Reeves, concerts, spectacles, ateliers fourmillent du matin au soir. Comment rajeunir le public, comment offrir au plus grand nombre le meilleur de la création musicale ? Autant de questions auxquelles Laurent Bayle répond avec son expérience, son exigence et son enthousiasme. La Philharmonie doit selon vous proposer un nouveau modèle de société qui puisse casser les clivages entre la musique classique réservée aux élites et les musiques dites « populaires ». Est-ce vraiment possible ? – Les musiques dites « populaires » ont réussi à conquérir des publics de plus en plus en plus diversifiés, que ce soit en Europe ou en Amérique. Il y a « des » publics. En revanche, les musiques dites « classiques » sont restées réservées à une petite partie du public, avec le risque que cela confine à la caricature. Je pense que c’est dangereux car cette musique est en passe d’être marginalisée. Ce risque de marginalisation menace d’ailleurs d’autres domaines de la culture. Bientôt on va nous expliquer qu’il faut supprimer France-Culture, après-demain Arte, etc, en se servant à chaque fois du même motif, celui de la moyenne d’âge. La musique classique s’est développée aux 18° et 19° siècles, durant lesquels ont été créées les principales salles de concert dédiées à la musique classique. Si on regarde les grandes salles européennes de Vienne, Amsterdam ou Boston aux Etats-Unis, beaucoup ont été édifiées à la fin du 19° siècle. A Paris, le Châtelet date de cette époque. A cette époque, le projet de créer des salles de concert appartenait à l’avant-garde. C’était le moment où la bourgeoisie montante voulait que ses enfants apprennent le piano à la maison. La difficulté que nous rencontrons aujourd’hui est qu’il y a eu assez peu d’évolution dans les usages depuis 150 ans. La radio, puis les disques nous ont permis d’écouter cette musique à la maison, puis les festivals d’été qui offrent une manière plus décontractée d’approcher la musique classique. Mais les lieux dédiés à la musique classique comme le Théâtre des Champs-Elysées ou la Salle Pleyel sont restés à l’ouest de Paris, ce qui du coup ne favorise pas beaucoup l’ouverture à d’autres publics. On constate en même temps un vieillissement accéléré de ce public, plus grave encore que dans les secteurs de la danse ou du théâtre. On se trouve confronté à une question réelle : comment rajeunir le public de musique classique ? Comment faire en sorte que cela puisse être une discipline partagée par le plus grand nombre ? Cette question n’est-elle pas plus cruciale en France, où la musique classique est moins pratiquée par les jeunes qu’en Allemagne ou dans les pays de l’Est de l’Europe ? -La question de l’éducation à la musique est effectivement une question centrale. Mais on ne peut pas désigner aujourd’hui de pays qui échappe à ce problème. Le vieillissement du public est général, bien que les pratiques musicales soient en effet traditionnellement plus développées en Allemagne par exemple où chaque principale ville est dotée d’un orchestre. Le ratio est d’un orchestre pour 600 000 habitants en Allemagne, contre 1 million et demi en France. Cependant l’Allemagne diminue aussi le nombre de ses orchestres. Nous devons donc tous trouver des solutions pour résoudre ces deux problèmes, celui du vieillissement du public et celui de la fracture sociale. La musique classique pénètre essentiellement les couches supérieures de la population alors que notre combat aujourd’hui est de toucher toutes les autres catégories de public. L’action culturelle des Conservatoires ne suffit pas. Le problème social va au delà du problème éducatif. Ce n’est pas parce que les enfants reçoivent une éducation musicale de 6 à 15 ans qu’ils iront automatiquement au concert à 30 ans. Alors quelle est la solution ? -Il faut désanctuariser la musique classique. Il faut éviter de l’ériger uniquement dans des pôles d’excellence où elle s’auto-célèbre. Dans ce nouveau lieu qu’est la Philharmonie, toutes les salles sont dessinées et pensées par rapport à une acoustique optimale de l’orchestre, mais on veille néanmoins à ce qu’il y ait du jazz, des musiques du monde, des musiques actuelles, pour que tous les publics puissent se sentir inclus dans le lieu. On propose donc une diversité de musiques, mais aussi une diversité d’approches de la musique. Il y a plusieurs manières d’aborder la musique classique. Soit par des concerts en famille, de durée plus courte, qui permettent une approche décomplexée, destinée à un public qui n’est pas spécialiste. Soit par une participation à un atelier musical destiné à plusieurs générations par lequel on peut aborder la pratique d’un instrument sans passer par le solfège. On peut également venir un week-end en famille à la Philharmonie pour découvrir des orchestres en fête. Durant le week-end nous offrons une floraison de moments musicaux qui vont des spectacles pour enfants aux ateliers, de l’écoute rapide à l’approfondissement par des conférences, mais les mélomanes plus avertis peuvent aussi assister à un grand concert le soir en semaine. Les grandes formations internationales peuvent travailler et répéter dans des conditions optimales . L’idée, c’est de faire en sorte que la musique classique ne soit pas un bloc séparé du reste des loisirs. Que cette musique ne soit pas seulement savante, érudite, synonyme d’efforts pour la pratiquer. J’aimerais que l’on vienne à la Philharmonie comme on va au musée ou au Centre Pompidou, à son rythme, sans en sentir les contraintes de temps et d’espace. La Philharmonie doit inciter le public à la promenade, au vagabondage entre les lieux d’exposition, le bar ou le restaurant, les salles d’ateliers ou de concerts, celles de documentation. Durant les week-end il y a plusieurs concerts par jour ce qui permet aux parents et aux enfants de faire des activités différentes.
-Ce n’est pas ce que je recherche, mais je dis que notre société, basée sur le zapping et l’immédiateté, exige des réponses innovantes et pas seulement conventionnelles. Il nous faut inventer, intégrer du visuel, cultiver l’aspect vivant de la musique. On forme des jeunes musiciens à un niveau très élevé et le risque serait de voir disparaître définitivement les orchestres ! -Chaque pays doit inventer le sien. La Philharmonie propose un modèle fondé sur une ligne musicale la plus ouverte possible, qui va du 16° siècle jusqu’à la création contemporaine, contrairement à certaines salles qui arrêtent leur programmation au Boléro de Ravel, estimant que la création contemporaine effraie leur public. En plus de la musique européenne écrite, nous proposons aussi du jazz et des musique extra européennes. Mais nous développons aussi, outre les ateliers éducatifs dans la Philharmonie, la création d’orchestres d’enfants de 8 à 12 ans dans les quartiers sensibles de Seine Saint-Denis. La musique classique ne peut pas être uniquement perçue comme une forme supérieure qui regarde les autres formes de haut, elle doit pouvoir concerner tout le monde, pour peu qu’on sache comment s’y prendre. Vous savez, un enfant de 8 ans n’a pas d’à priori sur les représentations de la musique classique, il a du mal à distinguer Beethoven d’une musique de film ! Les représentations négatives ne surviennent que bien plus tard. D’autant que les jeunes sont submergés de sons technologiques, parfois très éloignés du son réel ou de celui que l’on peut entendre grâce à l’acoustique exceptionnelle de grande salle. -On ne va pas demander à la musique classique de tout régler. En revanche, elle a intérêt à régler sa propre survie. Les sociologues ont démontré que le contact avec la musique, dans l’enfance et dans la vie d’adulte, améliorait considérablement l’insertion dans la société. D’ailleurs, énormément d’adultes de 25-40 ans viennent à la Philharmonie pour participer à des ateliers et se rattraper ce qu’ils ont raté en tant qu’enfant. Ce que je n’ai pas fait enfant, mon enfant l’aura ! Du concert de rock au concerto de Bach, le choix est ouvert. Les gens viennent souvent à trois générations, avec les grands parents. La Philharmonie n’est pas un modèle unique, elle propose le sien qui a déjà pas mal de succès. L’essentiel est de préserver la notion de plaisir dans la musique. Au prix d’une place de cinéma. Hélène Kuttner Crédit photo Patrick Messina |
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