Souad Massi – La Cigale
Coréalisé avec Francis Cabrel, cet opus décline les intérêts de la chanteuse algérienne pour l’indépendance, l’amour, les misères et les peines quotidiennes, le multiculturel. Elle a même réussi à faire chanter Francis Cabrel en arabe ! On retrouve sa voix comme celle d’une amie. Souad sera également en concert le 9 novembre 2010 à la Cigale.
Peux-tu parler de tes influences musicales, notamment le chaabi ?
Ce que j’écoute s’entend dans mes albums, dans mon travail. J’aime toutes les musiques et je n’ai pas envie de m’enfermer dans un seul style : j’adore le folk, Léonard Cohen, Bob Dylan, j’adore le rock, la musique orientale, la musique africaine, et le chaabi algérien. En Algérie (au Maroc, cela signifie un autre style de musique), le chaabi veut dire « populaire » : ce sont donc des chants traditionnels plein de poésie qui parlent la plupart du temps d’amour et de nostalgie, d’éloignement, de souffrance… comme le flamenco.
Peux-tu revenir sur tes jeunes années, notamment quand tu as rejoint le groupe de hard rock Atakor en 1989 ?
J’avais rencontré les musiciens d’Atakor quand je venais de quitter le groupe de flamenco dont je faisais partie. J’adorais le hard rock, mais quand les musiciens ont fait appel à moi, je me suis dit « Qu’est-ce qu’ils veulent de moi ? Je n’ai rien à voir avec eux! » Mais c’était une très belle rencontre avec des aînés qui m’ont permis de faire des reprises d’ACDC, d’Aerosmith, etc. J’ai appris beaucoup de choses, en intégrant la partie folk rock de leur répertoire.
Les années noires de l’Algérie t’ont vu grandir musicalement. Ont-elles teinté ta production de nostalgie ou bien d’esprit de révolte ?
Les deux, car c’était une période très dure et malheureusement très inspirante. J’aurais aimé être inspirée par autre chose. Mais quand on vit dans une société traversant une période aussi dure, on ne peut pas écrire que des chansons d’amour, même si les chansons sur le pays sont aussi une autre forme de chanson d’amour. Je ne suis pas une artiste engagée, je ne veux pas mettre en avant ce terme, car je connais des gens morts pour ce combat. Je suis engagée à ma façon, c’est-à-dire que je peux dire des choses très dures avec des mots doux. Je préfère sensibiliser que critiquer, inviter les gens à réfléchir sur un sujet, un moment ou une image pour favoriser le dialogue. C’est ma perception, et mon caractère.
Tu fais beaucoup de duos, avec Marc Lavoine, Florent Pagny, Ismael Lo et ici Francis Cabrel…
Oui, Francis n’arrêtait pas de me harceler au téléphone, je n’en pouvais plus, j’ai changé mon numéro sept fois, puis je me suis dit « Bon je vais faire un effort quand même ». Non sérieusement, j’ai rencontré son ami et collaborateur Michel Françoise, avec qui je travaillais sur un autre projet, puis j’ai visité son studio, et là j’ai rencontré Francis Cabrel. Ce n’était pas calculé. Au début, il y avait une sorte de distance, du fait qu’il est impressionnant. J’étais un peu gênée. Puis la musique nous a permis de casser la glace : en cherchant à comprendre de quoi je parle, en décidant des arrangements, de la direction artistique. Le fait qu’il chante en arabe sur « Tout reste à faire » n’était pas prémédité. Quand j’ai écrit le refrain en arabe, je le lui ai écrit en phonétique, et je me suis dit que j’allais essayer de lui demander : «C’est un beau refrain de paix universelle, ça te dirait de le chanter ? ». Son entourage m’a dit : « S’il n’a pas envie, il ne se forcera pas ». Il m’a répondu « Ah non, je ne vais pas chanter en arabe ! Je ne saurai pas. » Il est rentré en studio, et il l’a fait en une seule prise. C’est Francis Cabrel.
Le fait de chanter en plusieurs langues, français, arabe, kabyle, espagnol est un parti-pris peu répandu.
Je suis plus à l’aise avec l’anglais et l’espagnol, car ce sont les langues avec lesquelles j’ai chanté dans mes diverses formations musicales. En ce qui concerne le français, certains fans n’apprécient pas cette langue car ils trouvent que je chante avec un accent. Surtout quand j’ai le trac ! Mais ça ne me gêne pas d’être critiquée. Je ne le fais pas dans un but commercial, pour exporter à l’étranger. Par exemple j’ai envie de chanter en italien, je vais essayer pour faire plaisir aux gens que j’aime bien.
Ce quatrième album marque-t-il un tournant ?
Pas vraiment… Il y a des chansons que je n’ose pas encore chanter car je m’y dévoile beaucoup, comme dans « Khabar Kana », « Conjuguer au passé » où je parle de ma peur d’arrêter, où je réfléchis sur moi-même. C’est la première chanson que j’ai écrite pour l’album. J’étais restée chez moi un moment, un peu perdue, et c’est la première chanson qui est sortie de ce silence. À chaque fois que je dois chanter cette chanson en concert, je suis mal à l’aise, le musicien me ramène la guitare et je lui dis « Non, je ne suis pas prête ». J’ai peur de me dévoiler, de l’émotion, de me mettre à nu. Mais je vais essayer à la Cigale.
Propos recueillis par Mathilde de Beaune
Souad Massi
Sortie de l’album O Houria
Universal Music
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Le 8 novembre 2010
En concert le 9 novembre 2010
Informations : 01 49 25 81 75
La Cigale
120 Boulevard de Rochechouart
75018 Paris
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