Radiohead – The King of Limbs
Les attentes des fans reposant sur les épaules de ce The King of Limbs étant le fait autant de l’attente que celui de la communication du groupe autour de cet album. Analyse et tentative de critique du huitième « phénomène » studio de la formation anglaise.
La révolution commerciale
Petite rétrospective : Il y a quasiment trois ans et demi, le dernier album de Radiohead, In Rainbows, sortait exclusivement sur le net en téléchargement à prix libre. Le groupe anglais qui, auparavant, bluffait déjà un nombre grandissant de fidèles à chaque sortie d’album, décidait cette fois de se faire remarquer en innovant le mode de commercialisation de leur dernier né. En plus du succès critique, In Rainbows fut également une véritable réussite commerciale et communicationnelle pour le groupe, enfonçant ainsi encore un peu plus sous l’eau la tête d’une industrie du disque suffocante.
Juin 2010 : rebelotte. Alors que le groupe s’affaire encore en studio, Ed O’Brien, son guitariste, se risque à glisser l’idée que ce nouvel album pourrait être « le meilleur album qu’ils aient jamais enregistré », surenchérissant : « Il est très différent de ce que nous avons fait jusqu’à maintenant. » Rien que cela ! Le groupe réfléchissait déjà à la manière dont il comptait mettre son futur bébé à disposition du commun des mortels.
La réponse arrive à la surprise générale le lundi 14 février, étonnant tant par sa forme encore mystérieuse que celle de « l’album-journal », la rapidité de sa sortie prévue sous format digital cinq jours seulement après l’annonce, que par le prix du support physique à la limite de la prohibition. En effet, les inconditionnels du groupe devraient débourser la coquette somme de 36 € minimum pour la version collector de ce King of Limbs et de 7 à 11 € pour les revenus modestes ou ceux souhaitant se contenter du simple téléchargement au format digital. Aïe ! Bien loin des 30 glorieuses de 2007 où chacun était libre de télécharger le nouvel album gratuitement, le groupe semble avoir son propre « trou de la Sécu » à combler. Mais pour l’addict, qu’importe le prix, l’amour lui, n’en a aucun et le rendez-vous est désormais pris. « Désolé les gars, pas de sortie. Vendredi, je reste sur mon ordi ! » avoue-t-il, prêt à saliver les yeux rivés sur son écran dès 23h55 pour être sûr de le télécharger à minuit même, pas une minute plus tôt, pas une minute plus tard. Sauf que la bande de Thom Yorke décide de le prendre à contre-pieds et de révolutionner à nouveau le monde de la musique en sortant son album non pas samedi, mais le vendredi-même ! Bon d’accord, en soi, rien d’extraordinaire mais qu’à cela ne tienne, cela permet aux fans une écoute anticipée.
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Ni plus ni moins que du Radiohead
Qu’on se le tienne pour dit, depuis toujours, Radiohead a un nombre au moins aussi important de détracteurs que de fanatiques et il ne faudra pas compter sur ce King of Limbs pour les rassembler autour de l’autel. Bien au contraire, il donnera davantage de grain à moudre sur le dos du groupe à ceux qu’il indiffère et risque même de diviser ses fans. Une fois téléchargé et avant même toute écoute, première surprise et déception : “le roi des branches” n’en compte en l’occurrence que huit. Si les dix pistes d’In Rainbows semblaient suffisamment réussies pour en faire un album complet et efficace, la première écoute de celui-ci a plutôt tendance à laisser sur sa faim et sa brièveté n’en est pas la seule responsable.
Il est toujours difficile de se prononcer à chaud sur un album de Radiohead car bien souvent ceux-ci, comme un grand vin, ne révèlent tous leurs secrets qu’une certaine attente après ouverture. Celui-ci ne déroge pas à la règle et mériterait sans doute davantage temps pour être apprécié à sa juste valeur et sa complexité n’est pas pour arranger les choses. Après la première gorgée, celui-ci semble avoir quelque peu délaissé l’intense dimension émotionnelle et mélodique des cordes décelée chez son prédécesseur. A grande dominance électronique, très présente dans la rythmique de certains morceaux, the King of Limbs constitue même un retour en arrière et ravira les nostalgiques du début de millénaire qui avaient érigé Kid A, en 2000, au rang de nouvelle grande bible de la musique. Les sonorités nouvelles sont toujours au rendez-vous, subtiles et innombrables. La capacité folle du groupe à élever ses morceaux vers des contrées psychédéliques, voluptueuses et stratosphériques reste intacte et prend forme au fil des écoutes.
Finalement, Radiohead ne fait, dans son King of Limbs, ni plus ni moins que du Radiohead et c’est étrangement peut-être là que réside son principal défaut car il laisse une triste sensation d’inachevé. A trop chercher la complexité et la création à tout prix, le groupe semble oublier le principal, créer des morceaux, au risque de perdre son auditoire. Il devient donc difficile d’en identifier un qui se dégage véritablement du lot.
« Pourquoi tant de bruit pour si peu ? »
« Radiohead fait Radiohead ? » Rien de plus normal direz-vous … Oui et non ; car s’il y a effectivement peu d’intérêt à attendre autre chose du groupe que ce qu’il fait de mieux, il y perdrait sans doute son identité. Seulement « touche-à-tout » est justement ce qui constitue son identité et a contribué à son ascension, le groupe ayant habitué ses fans à toujours être pris à contre-pieds, leurs prouvant qu’ils pouvaient se faire successivement maîtres du rock, de la musique électronique et de la pop. Mais la déception que peut susciter l’album est en grande partie le fait du groupe, piégé par sa propre stratégie de communication. A sur-communiquer sur l’unicité de sa démarche commerciale, les attentes autour de l’album en seraient logiquement d’autant plus importantes. De là une question sans appel se pose : « Pourquoi tant de bruit pour si peu ? » et ce même si l’on a déjà vu chez bon nombre d’artistes promotions plus drastiques pour des résultats hautement moins honorables. Il ne faut pas, pour autant, y voir là un loupé et remettre en cause la qualité bien réelle de l’album car ce ténébreux King of Limbs renferme sans conteste bon nombre de trésors que les plus patients et plus passionnés parviendront sans doute à déterrer à force d’écoute.
Avec ce huitième album, Radiohead retourne à ses expérimentations électroniques initiées sur Kid A onze ans plus tôt et dans laquelle le groupe excelle toujours autant. Seulement contrairement à son aîné, the King of Limbs peine souffre du manque de ce « petit quelque chose en plus » pour totalement convaincre et ne restera peut-être pas tant dans les mémoires pour sa réelle qualité que pour la forme de sa commercialisation. Mais comme avec Radiohead il faut savoir s’attendre à tout, il ne faut pas compter sur le groupe pour s’arrêter là et nul doute que la formation anglaise réserve encore à son public bon nombre de surprises.
Yann Soroka
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Radiohead – The King of Limbs
Télécharger l’album de Radiohead
www.radiohead.com
Sortie digitale : Vendredi 18 février 2011
Sortie CD : 28 mars 2011
Sortie version collector : Mai 2011
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