Les Fleurs Amères – Un drame d’Olivier Meys
Lina, une jeune femme ambitieuse, laisse son mari et son fils en Chine pour partir à Paris afin de leur assurer un avenir meilleur. Mais une fois en Europe rien ne se passe comme prévu et elle s’enferme dans un monde de mensonges pour ne pas abandonner son rêve.
Entretien avec Olivier Meys
Comme vous est venue l’idée du film Les Fleurs Amères ?
C’était en 2008. J’étais à Paris pour présenter un de mes documentaires au Festival du Cinéma du Réel. Entre deux séances, je me baladais dans la ville et je suis tombé par hasard sur un petit groupe de femmes qui faisaient les cent pas. A leur accent, à leur physique, j’ai compris que c’était des Chinoises du Nord-Est. Ce n’était pas des Chinoises de Paris, qui proviennent en grande majorité du Sud de la Chine. Et pourtant il était évident qu’il ne s’agissait pas non plus de touristes. Je me suis alors intéressé à ce groupe, à ceux qui travaillent avec ces femmes, comme Médecins du Monde.
Quel cheminement était celui de ces femmes ?
Il est atypique. Leur région, le Dongbei, a longtemps été privilégiée, grâce à une industrie lourde qui attirait plutôt des gens d’autres provinces voulant y travailler. Il a fallu les changements socio-économiques en Chine dans les années 1990 pour que commence un processus d’émigration. Essentiellement, celles de femmes issues du Dongbei que les familles chinoises installées à Paris depuis longtemps appréciaient, parce qu’au Dongbei on parle le meilleur mandarin, et que, dès lors, comme nounous elles pouvaient l’enseigner aux enfants.
Ce n’est pas la misère qui les poussait à s’expatrier ?
Non, pas du tout. C’était l’espoir de gagner plus d’argent pour l’envoyer aux familles restées au pays, et ainsi progresser dans l’échelle sociale. Une opportunité à saisir. Le titre chinois de mon film se traduit par « se jeter à l’eau ». Et même quand les salaires offerts ont baissé, poussant certaines à la prostitution, il s’agissait de prostitution consentie. L’héroïne du film assume cela. Elle a son libre arbitre tout au long. Elle exprime ce sens du sacrifice des femmes chinoises, ce rapport au temps qui fait qu’on met le présent entre parenthèses pour assurer l’avenir des siens. Ces femmes envoient chaque mois environ 2000 euros à leur famille, ce qui là-bas représente beaucoup d’argent.
Comment s’est prise la décision de ne pas faire un documentaire mais un film de fiction ?
Si je faisais un documentaire, il allait forcément être axé sur la parole, sur l’information, et avec visages floutés vu le tabou que le sujet représente. Il s’imposait de faire une fiction pour aller au cœur humain des choses.
L’interprétation est remarquable, de l’actrice principale aux plus petits rôles. Comment avezvous opéré vos choix de casting ?
Mis à part pour le couple central et l’amie qui la rejoint, joué par des acteurs reconnus (Xi Qi, interprète de Lina, a joué dans plusieurs films d’auteur, dont Mistery de Lou Ye, qui est passé à Cannes), j’ai fait mes choix, à l’intuition, parmi des gens qui, soit n’ont aucune expérience d’acteur, soit ont tout juste fait quelques brèves apparitions, un peu de figuration. Il y a même, dans le groupe, une femme dont le parcours est à peu près semblable à celui des nounous devenues prostituées du film. Je pense que mon expérience du documentaire a aiguisé mon intuition. Je me suis fait confiance. Avant d’apprendre le chinois, j’avais développé -je crois- un sens particulier pour tout ce qui relève du non-verbal, du ressenti des personnes. Je parle la langue, à présent, mais j’ai gardé un peu de ça…
Pour l’image, vous avez choisi Benoît Dervaux, connu pour son travail avec les frères Dardenne.
Je voulais ancrer le film dans cette ville de Paris où nous n’avions pas les moyens de bloquer une rue et de prendre des figurants. Alors il fallait tourner à l’arrache ! Benoît est aguerri à ça. Et c’est un ami, que j’ai rencontré à l’occasion de la présentation de documentaires belges en Chine, où on l’avait fait venir pour présenter son travail de réalisateur. Quand il tient la caméra, il trouve toujours la juste distance entre elle et les personnages qu’il filme. Une distance juste et humaine, dans le respect et dans le partage. On est à la fois avec et pas dans le gluant du dedans. Comme les personnages sont socialement et familialement fragilisés, je ne voulais aucun pathos, je ne voulais rien d’appuyé.
Le film sera-t-il montré en Chine, et comment les Chinois réagissent-ils à votre regard sur des thèmes qui les concernent d’aussi près ?
Il y aura plusieurs projections au mois de mai, à Beijing, Shanghai et Hong Kong. Mais j’ai déjà montré le film dans plusieurs festivals, et des Chinois sont venus me parler. Ils sont généralement très touchés par le regard que je peux porter sur les femmes chinoises (qui ont été le plus touchées par les transformations de leur pays), et aussi étonnés par la justesse de ce regard, venant d’un étranger. Le film ne devrait pourtant pas avoir de sortie officielle là-bas. Pas tellement à cause du sujet de la prostitution, mais surtout pour cette idée qu’un avenir meilleur passe par un voyage à l’étranger…
Propos recueillis par Louis Danvers
[Source : communiqué de presse]
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