Les Bohèmes – galeries nationales du Grand Palais
La scénographie, imaginée par le commissaire d’exposition Sylvain Amic, nous plonge dans l’univers fascinant des artistes qui ont marqué la fin du XIXème et le début du XXème siècle.
Les vers du poème de Charles Baudelaire, Bohémiens, accueillent le visiteur, invité à suivre le fil chronologique d’une histoire picturale qui situe l’apparition des toutes premières représentations des bohémiens à la Renaissance, et dont on peut découvrir un très beau tableau de Léonard de Vinci intitulé Un homme trompé par des tsiganes. Autant dire que ce titre peu élogieux nous renvoie à l’image négative d’un peuple nomade en perpétuel exode. La peinture contribue à la construction d’un imaginaire collectif dépréciant le gitan, le tsigane, le bohémien, le Rom, le vagabond, l’étranger, celui qui fait défaut par ses différences physiques, sa transhumance, ses activités oisives. Ce sont ces mêmes attributs qui transforment l’archétype du bohémien trompeur, voleur, affabulateur, en un personnage emprunt d’exotisme au goût manifeste pour le voyage, la danse et la musique.
Le choix d’une scénographie chronologique permet de saisir les moments cruciaux qui ont construit le mythe de la bohème, reflet d’un style de vie précaire au sein duquel l’artiste détaché de toutes contraintes, hors normes, presque hors la loi et talentueux, en tire une richesse créatrice foisonnante. Du rejet à la reconnaissance, la figure du bohémien intrigue ne tardant pas à intéresser les écrivains et les compositeurs. Le bohémien devient même l’un des protagonistes principaux d’œuvres majeures tant en littérature qu’en musique. Il arbore souvent les traits d’une femme à la sensualité exacerbée et envoûtante, au caractère fort et passionnel, revendiquant autonomie, indépendance et liberté.
Prosper Mérimée, après un séjour en Andalousie, écrit la nouvelle Carmen. Elle est la « Gitanilla » de Cervantès. Bien évidemment, nous ne pouvons pas ne pas évoquer Esmeralda de Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Franz Liszt quant à lui compose Les Trois tsiganes en s’inspirant de la musique qui a marqué son enfance en Hongrie, et jouée principalement par les Roms de son pays. La peinture, elle aussi, regorge de portraits de bohémiens qu’il s’agisse de musiciens manouches, diseuses de bonne aventure, joueurs de cartes, ou voleurs sur les marchés.
La peinture révèle également un quotidien qui se vit en roulotte et toujours sur les routes. Watteau, Gainsborough, Corot, Courbet, Van Gogh ou encore Renoir, nombreux sont les peintres qui se sont penchés sur ces ethnies, montrant leurs us et coutumes. Les photographies extraites de la série « voitures de Paris » d’Eugène Atget en sont aussi une illustration.
Après cette ouverture, la visite se poursuit au deuxième niveau des Galeries et nous fait entrer dans un univers différent où l’on cherche davantage à recréer les atmosphères d’une époque, celle de la fameuse Bohème, qui se veut essentiellement parisienne. Des origines du mythe, nous passons à son incarnation. La scénographie est inattendue et nous ne saurions gâcher le plaisir délectable de la découverte en en révélant son contenu. Nous laisserons la magie opérer en préservant l’effet de surprise.
L’exposition dans sa densité se veut joyeuse. En nous projetant un siècle en arrière, nous découvrons le monde festif et effervescent de la création rythmant le quotidien des artistes. Nous allons à la rencontre d’œuvres incontournables, nous arrêtant sur les lithographies débordantes d’humour d’Honoré Daumier accompagnée par la Bohème de Puccini. Nous nous arrêtons sur un autoportrait de Delacroix, puis les toiles de Toorop, Géricault, Degas, Von Dongen ou encore Cézanne. Une promenade où le visiteur côtoie aisément des artistes qui ont nourri notre imaginaire et éveillé notre sensibilité. Nous sommes ensuite conviés à pénétrer dans l’intimité tumultueuse des poètes Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, artistes emblématiques de la Bohème.
La visite s’achève enfin sur une série de portraits, Bohémiens dans les Balkans, d’Otto Mueller, saisissant de vérité sensuelle. Les œuvres de l’artiste, après sa mort, sont exposées à titre d’exemple, par les nazis, en tant qu’art dégénéré. La communauté tsigane, avec l’avènement du troisième Reich, est inclue dans le programme d’extermination des « races dites impures » initié par Hitler. A la même époque, Leni Riefenstahl, réalisatrice adulée du Führer, tourne Tiefland, film où elle interprète Marta, une fille de tsiganes. Elle n’hésite pas à recourir à la figuration d’une centaine d’entre eux, provisoirement sortis des camps, pour les besoins du film.
Derrière une apparente légèreté, l’exposition soulève néanmoins des questions encore très actuelles sur le droit à la différence, la peur de l’étranger et l’impact des images comme des écrits constitutifs d’une légende. Toutefois, la place est laissée au rêve. Sylvain Amic témoigne ici d’une volonté de rendre plus vivantes les œuvres à travers une scénographie pensée avec minutie et soignée dans le moindre détail. Une exposition qui apporte avant tout évasion et plaisir tel un songe éveillé…
Géraldine Tachat
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Aux mêmes dates au Grand Palais :
– Edward Hopper (du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2013)
Bohèmes
Commissaire : Sylvain Amic, directeur des musées de Rouen
Scénographie : Robert Carsen
Du 26 septembre 2012 au 14 janvier 2013
Tous les jours sauf le mardi, de 10h à 20h
Nocturne jusqu’à 22h le mercredi
Plein tarif : 12 € // Tarif réduit : 8 € (16-25 ans)
Gratuit pour les demandeurs d’emploi (grâce au soutien de la Macif), bénéficiaires du RSA et du minimum vieillesse et nouveau, gratuit jusqu’à 15 ans (au lieu de 13 ans)
Audioguides : 5 € français, anglais, jeune public
Grand Palais
Entrée Clemenceau
M° Champs-Elysées-Clemenceau
[Visuel : Vue depuis la Tour Eiffel, le Grand Palais, Paris, (France). Auteur : Gérard Ducher (user:Néfermaât). Licence Creative Commons Paternité – Partage des conditions initiales à l’identique 2.5 générique]
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