L’Ennemi – Un thriller avec Jérémie Renier en coupable potentiel
Un célèbre homme politique est accusé d’avoir tué son épouse retrouvée morte, une nuit, dans leur chambre d’hôtel. Est-il coupable ou innocent ? Personne ne le sait. Et peut-être lui non plus.
Entretien avec Jérémie Renier
On n’imagine personne d’autre que vous dans le rôle de Louis Durieux. Comment le projet de L’Ennemi est-il arrivé jusqu’à vous ?
Stephan m’a envoyé le scénario. Si je ne connaissais pas le fait divers qui inspire lointainement le film, je connaissais très bien le long métrage précédent de Stephan, Noces. Je dois avouer que j’avais pris une grosse claque devant. La maitrise du sujet, la mise en scène, les acteurs…. Tout m’avait impressionné et a bien sûr énormément joué dans mon envie de travailler avec lui. Ensuite, il y a eu un travail de recherches assez long. Stephan est quelqu’un qui a besoin de rencontrer dans l’intimité la personne avec qui il va travailler. Le travail commence donc longtemps en amont du tournage. On parle du rôle, de ce qu’on imagine… On a échangé autour du fait de me transformer, de me vieillir… Le projet s’est mis en place au fur et à mesure.
Dans L’Ennemi, on a l’impression d’une relation fusionnelle entre vous et la caméra.
La collaboration avec Stephan s’est très vite fixée dans ce que je pourrais appeler une forme de transe, de partage spirituel. Stephan est très ouvert à ça, il y est très sensible. Physiquement j’ai perdu énormément de poids, parce qu’on avait dans l’idée avec Stephan d’un personnage en souffrance et détruit intérieurement et j’avais envie que ce soit visible physiquement, à l’extérieur. Et du coup, le fait de ne pas manger est assez particulier, parce que l’esprit fonctionne différemment. J’étais dans une forme d’exaltation… Stephan demande énormément d’investissement, même quand il y a peu de choses à jouer. Pour lui, l’anodin n’existe pas. Il y a toujours une énergie à aller chercher. Il me stimulait énormément pour me dépasser à chaque fois. C’était assez grisant.
Comment définiriez-vous votre travail pour devenir Louis Durieux ?
Le mot qui me vient est le mot d’abandon. Stephan m’a très tôt dit qu’il voulait que je m’abandonne au rôle. Je lui répondais que j’étais prêt mais qu’on se connaissait encore mal, donc qu’il fallait que j’aie confiance en lui pour ne pas me casser la gueule. Quand on interprète ce genre de personnage, on est très à fleur de peau, sensible, fragile. Le paradoxe est que Stephan s’intéresse avant tout à l’intime et, en même temps il a choisi de conserver une opacité sur le personnage. On a du mal à percevoir ce qu’il y a dans sa tête, même si on le suit et qu’on souffre avec lui. Il y a un blackout volontaire, ou involontaire. On est dans l’intime… mais on ne sait pas tout.
Justement, est-ce que ça a été compliqué pour vous en tant qu’acteur d’entretenir cette dualité : tout montrer, tout en restant opaque ?
Ça c’est le travail de la mise en scène. Moi, ce dont j’avais besoin, c’est de me dire des choses très concrètes comme « Tiens, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il sait ? Qu’est-ce qu’il met de côté ? Est-ce qu’il ment ou pas ?… ». C’est là où L’Ennemidevient un film passionnant, c’est que chaque spectateur peut interpréter ça comme il le sent. Par rapport à sa vision du monde, sa vision de l’intime, sa vision du personnage.
L’Ennemi parle aussi de cette part de soi qui reste constamment inaccessible. Peut-on finalement tout connaître de quelqu’un ?
Je trouve déjà que, personnellement, on en apprend tous les jours sur soi. Sur qui on est, qui on a en face de soi, dans certaines actions… On se découvre en vieillissant, on apprend qu’on n’est pas tout à fait comme on l’imaginait, qu’il y a un certain nombre de projections. Je pense que c’est la recherche de toute une vie, de chercher qui on est profondément. Alors qui est l’autre ?… Ça me parait encore plus vaste, vu qu’on ne se connait même pas vraiment soi-même.
Comment s’est déroulée la collaboration avec les autres comédiens ?
Ce qui était très agréable pour moi, c’est que je suis le seul à interagir avec chacun d’eux. Aucun comédien de L’Ennemi n’a de scène sans moi. Avec Alma, qui est à mes yeux une révélation extraordinaire, on s’entraidait beaucoup, on avait des vraies réflexions par rapport à nos histoires dans le film. Son rôle est très élaboré, très complexe et Alma en a retiré toutes les subtilités. Emmanuelle, je la connaissais personnellement alors que nous n’avions encore jamais travaillé ensemble. Elle est venue avec beaucoup d’enthousiasme sur ce projet qui était exigeant pour elle, vu qu’elle a énormément de texte et que Stephan choisit toujours de faire l’intégralité de la scène à chaque prise. Félix Maritaud, en revanche, je ne le connaissais pas du tout… Stephan avait d’ailleurs souhaité que Félix et moi, on ne se rencontre pas avant le tournage. Félix m’a bluffé, c’est impressionnant de le voir jouer. Il est totalement libre… Enfin, j’étais très heureux de retrouver Peter Van den Begin avec qui j’avais déjà travaillé auparavant et qui est un acteur aussi grand par la taille que par le talent.
L’Ennemi aborde aussi la question d’une Belgique coupée en deux…
C’est un aspect très important du film qui me touche d’autant plus que je suis Belge moi-même. Notre pays est très particulier, politiquement et sociologiquement. C’est vraiment très étrange. Il y a des lieux où le français n’existe pas et vice-versa… On a l’impression d’être dans un demi-pays, c’est particulier à vivre. Une chose est sûre : L’Ennemi est un des films qui en dit le plus sur ce qu’est la Belgique aujourd’hui.
Stephan dit que l’opinion que vous avez sur une personne en dit plus long sur vous que sur la personne. Vous, vous pensez quoi de Louis ?
J’ai du mal à avoir du recul sur les rôles que j’interprète… Louis, c’est vraiment un personnage qu’on accapare ou pas. On est dans son intime tout en étant dans son extérieur, on le suit dans sa souffrance et dans ses choix de vie, que l’on soit pour ou contre. Gaspard Noé touche aussi énormément à ça : qu’est-ce qu’il se passerait s’il m’arrivait ça, jusqu’où je peux perdre pied dans l’amour et qu’est-ce que ça raconte sur moi, comment je me situe par rapport à ça ?… Est-ce que ça me dégoute ? Ça me révulse ?… Il y avait toutes ces choses-là à imaginer. C’était très riche et très puissant à vivre.
[Source : communiqué de presse]
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