Le statut hors normes du land art
Le statut hors normes du land art |
« Le travail n’est pas installé dans un lieu, c’est le lieu même », a déclaré l’artiste américain, Dennis Oppenheim, pour évoquer le land art. Dans les années 1960, les artistes commencent à créer des installations dans les déserts de l’Ouest américain. Nommées Earthworks (terrassements), ces œuvres monumentales sont les premières à marquer la naissance du land art. Le principe même du land art n’est pas simplement de représenter la nature, mais de la travailler in situ tout en utilisant la nature elle-même comme médium dominant. Ainsi, contrairement aux autres courants artistiques — le minimalisme, le pop art, le massurréalisme, pour n’en citer que quelques-uns — le land art est une discipline créée pour sortir des musées, de leurs horaires imposés et de leurs files d’attente. Les artistes du land art n’ont pas simplement inventé une nouvelle forme d’art, ils ont inventé une nouvelle forme d’exposition, extérieure et avec des œuvres visibles du public à tout moment. Les questions d’éclairage, de mise en scène et de curation ne dépendent plus que de l’environnement naturel. De la même façon, ne subissant pas les contraintes spatiales des galeries, les œuvres du land art ont pour particularité d’être incroyablement imposantes. Pour avoir une idée de l’ampleur colossale de ces travaux : la fameuse Spiral Jetty (1970) de Robert Smithson est une longue jetée de cinq mètres de large pour 457 mètres de longueur ou encore la Double Negative de Michael Heizer (1969) pour laquelle pas moins de 240.000 tonnes de roches ont été amenées dans le désert du Nevada. Un art éphémère À la fin des années 1960, un des précurseurs du land art, Robert Smithson (1938 – 1973), s’intéresse aux lieux d’exposition de l’art. Il établit alors la différence entre sites et non-sites. Le « non site » de Smithson est un travail en intérieur, une œuvre destinée à être en galerie, faite à partir de matériaux naturels et qui a pour unique but de désigner un lieu en particulier. Il ne s’agit évidemment pas de n’importe quel lieu, mais d’un lieu naturel, changeant, qui subit les aléas du temps. Il est illusoire de penser que le lieu que veut montrer l’artiste est réel, il représente un espace entre atelier, plein air et lieu d’exposition, autrement dit une référence artistique à un espace non-artistique. Les sites, à l’inverse, sont des œuvres extérieures, monumentales, que l’américain soumet à des bouleversements pour trouver un certain équilibre. Toutes les installations de Smithson sont mises en place pour être soumises aux changements climatiques et temporels. Les œuvres de land art sont faites, non pour disparaître, mais pour être éphémères. Les installations visent à renouer avec la durée, le temps et la mort : la mortalité de l’œuvre est nécessaire, car elle est une proposition. La montée des eaux, le vent, la pluie, les tempêtes et l’érosion naturelle sont toutes les causes qui ont provoqué les transformations et parfois même, la disparition de certaines œuvres. Créée à Great Salt Lake (Utah) en avril 1970, la Spiral Jetty de Robert Smithson a été engloutie par la montée des eaux de 1972. Si la spirale a résisté en partie, la structure à base de cristaux de sel, de roche et de boue a été modifiée par son environnement, exprimant la fascination de son créateur pour l’entropie — mutation obligatoire provoquée par les forces de la nature. Avec le temps, la spirale s’efface, et aujourd’hui l’Utah cherche à la préserver. Même si le geste dénote d’une réelle survivance de l’artiste, il n’est pas certain que c’est ce qu’il aurait souhaité pour son œuvre. La photographie, une complice imposée « Avec mon appareil photographique, je retrace le cours des saisons et leurs effets sur mes créations, leur croissance et leur déclin », a déclaré Nils-Udo en 1984. Une des particularités du land art est que ses artistes, de par la taille et la nature de leurs installations, travaillent dans des lieux reculés de la civilisation, hors des centres urbains. Ainsi, pour la visibilité de leurs œuvres, ils sont obligés d’effectuer d’autres travaux pour compléter leurs Earthworks. Très vite, la photographie s’est imposée comme moyen nécessaire pour faire connaître les œuvres. Ce support est finalement le seul témoignage de beaucoup des travaux de land art, tout le monde n’ayant pas l’occasion de se rendre sur les lieux et de louer un hélicoptère ou un avion pour apprécier toute la dimension de l’installation. Pensons aux nombreux nids de Nils-Udo ou encore à A Snowball Track de Richard Long dont on ne peut voir l’intégralité du dessin que depuis un endroit surélevé. Mais la photographie pour le land art a aussi un rôle de conservation. Comme pour les graffeurs, les artistes savent qu’ils créent pour voir leurs œuvres se dégrader ou disparaître. Tout le paradoxe du land art (comme pour les tags) est que les créateurs ne cherchent pas à faire perdurer leurs travaux dans la nature, mais les immortalisent avec des photographies, des croquis, des reportages ou encore des vidéos. Ainsi, même quand la nature les efface de son territoire, elles restent dans les mémoires. Ces nouveaux supports permettent à l’artiste non seulement de montrer ses travaux — intransportables — à travers le monde, mais aussi de les exposer dans des galeries, des musées, et surtout d’en vivre. Artiste du land art, artiste à part Le land art n’est pas un mouvement artistique organisé, ni même reconnu. Il est la rencontre de plusieurs artistes d’une même génération qui se sont inspirés du minimalisme américain. Ainsi, quand landart.fr demande à Chris Drury s’il se considère comme un artiste de land art, il répond : « Pas vraiment. Dans la mesure où c’est réducteur. Car être un artiste de land art suppose que l’on doive produire une œuvre sur la terre. Mais lorsqu’on considère la nature, c’est une chose immense ! Je veux dire par là que nous faisons partie de la nature, et tout ce que nous faisons est nature. […] Être un artiste de land art, c’est trop réducteur : je veux pouvoir faire des films si j’en ai envie. Je veux pouvoir créer avec un ordinateur si l’information provient de cette source. Voilà ce que je veux faire. » Et plus tard dans l’entretien : « Je pense que ce mouvement s’est ramifié en plusieurs branches de nos jours. Il y a des artistes qui travaillent avec la terre, mais il y a des artistes qui travaillent avec la terre en se servant de nouveaux moyens. Et ils n’aimeraient pas être considérés comme des artistes de land art. D’ailleurs, je n’ai jamais rencontré un artiste de land art qui veuille être considéré sous cette étiquette. » La raison de cette non-légitimité du mouvement artistique est aussi financière. Comment vendre une œuvre qui appartient à tous ? D’autant que le land art définit l’œuvre comme un objet sans valeur marchande qui se doit d’être uniquement une expérience liée à la nature. Mais si les installations peuvent s’en contenter, leurs créateurs, eux, ont besoin de plus pour vivre. Ainsi, ils ont trouvé d’autres moyens de vivre : dans les années 1970, les installations du land art font leur apparition dans les musées et galeries, d’abord par le biais de la photographie et ensuite en entrant directement dans les espaces intérieurs. Richard Long en est l’exemple le plus représentatif avec plus de 70 expositions intérieures — dont « White Foot Circles » au Porin Taidemuseo en Finlande en 1986, « Line of Lake Stones » au Antonio Tucci Russo à Turin (1984), ou encore « Red Slate Circle » au Guggenheim de New York la même année. De la même façon, Christo — dit « l’emballeur » — vend très bien les croquis de ses projets, démarches qui lui permettent de financer d’autres installations. Pour résumer, on peut dire que le fait que le land art ne soit pas reconnu est compréhensible par la nature publique des œuvres qui semblent être à l’entière disposition des spectateurs, mais aussi du temps et de l’érosion. En revanche, le land art est avant tout une véritable démarche artistique qui dénote une envie des artistes de partager et de communier avec la nature. Comme l’a expliqué à AMA, l’artiste Patrick Dougherty : « Je crois que la nature et l’art sont inséparables et nous portons tous dans notre ADN le besoin d’être connecté à la Nature, un héritage de notre passé commun. Notre challenge contemporain est de savoir comment se reconnecter et vivre en harmonie avec les plantes et les animaux avec qui nous partageons la terre. Les sculptures de brindilles et les autres initiatives environnementales nous aident dans ce sens. » Quoiqu’on dise, le land art est une des rares disciplines complètement intemporelles qui fascine autant les passants qui croisent ces œuvres que les professionnels qui les intègrent par la photographie, les croquis ou de façon concrète dans leur galerie. Art Media Agency |
Michael Heizer
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