Le Printemps du design ? Analyse de l’évolution du marché du design
Le Printemps du design ? Analyse de l’évolution du marché du design Le 23 mai 2014 |
Le 23 mai 2014
Parmi tous les genres bien définis du marché de l’art, le design demeure l’un des plus fluides. Les œuvres de ce média allient décoration et fonctionnalité : les pièces de design prennent forme par une confrontation entre la fonction — la volonté de répondre à un besoin pratique — et l’esthétique. L’aspect fonctionnel rappelle que ce genre reste intimement lié à notre quotidien. De manière comparable au bouleversement que les technologies entraînent sur le travail des designers, leurs œuvres façonnent la façon dont nous utilisons les éléments qui nous entourent. Art Media Agency a exploré les nouvelles frontières de ce domaine en rapide évolution. Le marché du design traditionnel Si la création contemporaine est intimement liée à l’innovation, le marché du design actuel reste majoritairement traditionnel. Les ventes d’œuvres du XXe siècle menées par les plus grandes maisons de ventes reflètent la popularité d’un genre, encore fréquemment présenté dans ses formes les moins innovantes. Les lots proposés alternent ainsi entre sièges, tables, luminaires et services de table. Ces objets répondent à un besoin pratique de base. Bien que fonctionnelle, cette forme de design a pour vocation d’embellir plus que de révolutionner. Ce n’est pas pour autant que ce segment du marché de l’art est sans agrément ou sans intérêt pour les collectionneurs. Les vacations les plus prestigieuses, mises en avant par Sotheby’s, proposent souvent des œuvres dessinées par des artistes de renom tels que Charles Rennie Mackintosh ou Franck Lloyd Wright. Courant avril 2014, la vente d’art décoratif et de design du XXe siècle a réalisé 1 549 975 £, frais compris, pendant que des ventes récentes ont révélé le marché potentiel des pièces notoirement fonctionnelles. Le 8 avril, la « Chicken Cup » de Meiyintang a provoqué une vague médiatique quand elle fut cédée pour 281 240 000 HKD — soit 36,05 M$. Chez Christie’s, le résultat des dernières ventes a confirmé à la fois la stabilité et le potentiel de ce genre. En plus des ventes annuelles qui se tiennent à New York ou Londres, une nouvelle vente de design, qui se déroulera ce mois-ci à Paris, confirme la vigueur de ce département. Des lots de mobilier, luminaire, céramique et sculpture, issus de l’Art nouveau, du mouvement Arts & Craft ou de l’Art déco seront proposés à la vente. La vacation d’avril 2014 « Art décoratif et Design du XXe siècle », qui s’est tenue chez Christie’s, a enregistré un résultat de 1 609 357 £ et le directeur du département, Jeremy Morrison, a parlé d’un grand intérêt de la part des clients asiatiques, ainsi que des enchérisseurs en ligne via Christie’s Live : « Si les œuvres présentées restent traditionnelles, le profil des acheteurs et leur technique d’achat montrent quelques changements. » Sorti des salles de ventes aux enchères, le marché du design contemporain se montre bien différent. Alors que Tiffany et Charles Rennie Mackinstosh sont devenus des noms influents — suivis par de nombreux collectionneurs —, les designers contemporains doivent redoubler d’effort. Si l’estimation des pièces de design du XXe siècle est fondée selon des caractéristiques et marques établies, les œuvres du XXIe siècle sont évaluées selon leur habileté à s’adapter à la technologie, qui influence de plus en plus notre vie quotidienne. Organisé annuellement à Londres, le Forum Mondial du Design se décrit lui-même comme « l’événement du design le plus à la pointe des nouvelles idées ». Regroupant une sélection d’intervenants internationaux, le forum s’interroge sur « la future société humaine et le rôle qu’y tiendra le design ». Ici, le design ne se définit plus seulement comme une réflexion sur la courbe d’un pied de table, mais comme une forme d’art qui aura le pouvoir d’invoquer le changement. Les fondements de ce genre sont à la fois plaisants et importants : dans un climat économique qui a vu les sources de financement de l’art souffrir d’importantes coupes, il est réjouissant de voir une pratique créative être présentée avec une telle importance. D’un autre côté, les attentes selon lesquelles le design pourrait avoir une dimension révolutionnaire sont si exigeantes qu’elles risquent de se muer en contraintes. Une table ronde, lors de la dernière édition du Global Design, portait sur le thème « Imagination, innovation et application ; le voyage d’une idée ». Menée par des chefs de conception HTC, BMW et Microsoft, la discussion a examiné « les idées radicales et perturbatrices » qui « sortent du néant au profit de notre réalité quotidienne ». L’introduction de la conférence a évoqué les exigences du design contemporain, annonçant à l’audience du forum que « si elle ne crée pas de différence pour les personnes, alors l’idée n’est pas une innovation, c’est seulement une idée ». On attend du design contemporain qu’il accomplisse davantage. La présence d’entreprises au Forum Mondial du Design fut particulièrement révélatrice, tout comme la différence proclamée entre l’innovation et l’idée. « Perturbateur » et « innovation radicale » étaient lors de ce forum de fréquents synonymes de design — qui pourrait être monétisé. Rejetées comme étant « seulement une idée », les formes plus subtiles de conception ont été présentées comme de vaillants efforts, plutôt que comme des triomphes. Pour les designers, dont les œuvres ne sont pas présentées dans les ventes des grandes maisons de ventes, la prise de conscience du potentiel que représentent leurs innovations pour les entreprises est devenue incroyablement importante. Le design est de plus en plus associé aux entreprises de pointe en rapide évolution. Alors même que notre vie quotidienne est toujours plus guidée par le numérique, il semble logique que le design suive. Design : la nouvelle école Des cours de conception dans des établissements d’enseignement supérieur répondent à cette évolution technologique. L’une des meilleures écoles de design, le Britain’s Royal College of Art, qui « est en prise avec le design sur plusieurs niveaux », interprète cette discipline comme une « activité culturelle et sociétale ainsi que comme une procédure d’innovation ». Le « design peut fournir de nouveaux éléments, services et manières de développer ou créer une activité — ou encore une nouvelle vision du business ». En décrivant les cours dispensés par le Royal College of Art, son directeur, le professeur Dale Harrow, déclare : « Le design reflète la croyance passionnée que cette discipline — sous toutes ses formes — est à la fois complexe et en constante évolution. Les nouveaux designers doivent toujours se tenir informés afin de relever les défis futurs. Nous faisons en sorte qu’ils le soient. » Les programmes de cette institution encouragent les participants à collaborer avec des partenaires industriels — souvent des firmes mondiales —, dont le développement est focalisé sur les projets qui requièrent — et stimulent — l’innovation. D’autres écoles se concentrent sur le potentiel social du design. Avec l’apport de figures majeures de l’architecture et de l’éducation artistique, la Rhode Island School of Design fusionne la forme et l’esthétique avec la responsabilité sociale et environnementale. Des initiatives, telles que la bourse STEAM, combinent la sensibilité visuelle avec la recherche, en analysant et changeant la manière dont nous rapportons le monde physique. Particulièrement remarqué parmi les initiatives présentées, le projet de collaboration de Mariya Sitnova avec le Musée National d’Histoire et l’initiative Smithsonian X3D est décrit comme « un projet novateur qui permet à tout le monde d’imprimer en trois dimensions les œuvres les plus emblématiques de l’institution ». Des conceptions politiques Le potentiel social et entrepreneurial du design a permis de lier les designers contemporains de manière croissante avec les projets gouvernementaux. Basé à Londres, le Design Council fut créé après la Deuxième Guerre mondiale pour promouvoir l’industrie britannique. Aujourd’hui, cependant, ses objectifs sont beaucoup plus larges, voire internationaux, et portent souvent des implications politiques. Selon le site web du Conseil, l’institution « aide les personnes et les organisations dans les affaires, l’éducation, les services publics et le gouvernement à comprendre la conception et à l’utiliser efficacement dans le cadre de leur stratégie ». Parmi les principales initiatives se trouve la « Plateforme Européenne du Design et de l’Innovation » (EDIP), une plateforme digitale qui a pour vocation de créer un espace pour les designers afin d’échanger des connaissances ainsi que des modèles d’innovation et de conception ». Officiellement lancé à Bruxelles en mars 2014, le projet est financé par la Commission européenne et regroupe 41 partenaires, qui sont pour l’essentiel des institutions de design installées en Europe. Encore une fois, les attentes d’un design révolutionnaire se font grandes. Commentant le programme, Annette Vilhelmsen, ministre de la Croissance et de l’Entreprise du Danemark, a déclaré : « Le design est une source clé pour l’innovation et donc porte les germes d’une solution afin de relever le défi de la croissance auquel l’Europe est confrontée. » Loin de la paisible lueur d’une lampe Tiffany, c’est aujourd’hui l’Europe même qui regarde vers le design. L’apparition d’une nouvelle conception La variété des conceptions du design fait de ce domaine artistique un maelstrom visuellement confus pour le non-initié. Plutôt que de chercher à rationaliser cette variété, les expositions les plus réussies sont celles qui embrassent le genre dans sa globalité, sans cesse mouvant et prolifique. Des institutions, incluant le Victoria and Albert Museum de Londres, le Musée du Design et le MoMA de New York, ont été découragées par les dimensions sociales, environnementales et technologiques du design contemporain. En 2008, l’exposition « Le design et la pensée élastique » du MoMA a puisé dans quelques-uns des projets les plus aboutis de ces 25 dernières années. Plutôt que de proposer une unique ligne de lecture, l’exposition s’inscrivait dans la diversité et cherchait avec succès à fondre ensemble les éléments disparates du design et leur impact sur l’homme. D’après un communiqué de presse, « Le design et la pensée élastique » a « exploré la relation réciproque entre la science et les concepts, qui permettent les plus grandes avancées scientifiques, avec une attention particulière sur les limites de l’homme, ses habitudes et ses aspirations ». Doté d’œuvres telles que le Bone Chair de Joris Laarman (2006), une chaise conçue à partir d’un logiciel d’optimisation en trois dimensions, qui fait littéralement gonfler l’objet en réponse à la pression ; la Google Earth Mashups de Morgan Clement (2006), un projet qui permet de visualiser une carte Google augmentée d’informations scientifiques régionales ; ainsi que le Dumpster, Valentin’s Day, un projet numérique de Goaln Levin, Kamal Nigan et Jonathan Feinberg, qui a consisté à collecter des extraits de textes à partir de sites Internet où les mots « broke up » et « dumped me » apparaissaient. Concevoir une révolution La proximité du design avec la technologie ne doit pas cacher le fait que la perception de ses valeurs esthétiques reste souvent fondée sur la subjectivité. Alors que le design s’intègre de plus en plus dans la technologie, il s’éloigne progressivement des œuvres présentées par les maisons de ventes. Il est de moins en moins ostensiblement « conçu ». Certains arguent que cette forme de design intégrée représente le genre dans sa forme la plus réussie. S’adressant à Art Media Agency, le responsable du département design de la maison de ventes française Piasa, Frédéric Chambre, a déclaré : « Nous ne vivrons plus avec l’art, mais dans l’art. » Cette question n’est cependant pas celle qui anime Paola Antonello, curatrice en chef du département architecture et du design du MoMA : « Comment puis-je décider si quelque chose est plutôt de l’art ou plutôt du design ? Sincèrement, je ne sais pas. Je crois ce que l’auteur me dit. Quand les gens me demandent quelle est la différence entre un artiste et un designer, je réponds simplement qu’un artiste peut choisir de vouloir agir de manière responsable ou pour les autres personnes, alors que le designer doit le faire, par définition même. » Il reste à voir si les pièces les plus innovantes d’aujourd’hui seront incorporées dans nos vies quotidiennes ou figureront dans les expositions à venir. Qu’elles aient été incorporées dans les collections des musées tels que le MoMA prête à penser que la valeur des objets de design a une histoire courte. Le design demeure cependant un genre qui porte beaucoup de promesses quant à la révolution. Art Media Agency |
Articles liés
« Les Misérables », une nouvelle production brillante au Théâtre du Châtelet
Plus de quarante ans après la première création en français, l’opéra d’Alain Boublil et de Claude-Michel Schönberg revient au Théâtre du Châtelet dans une nouvelle version et une mise en scène de Ladislas Chollat. Quarante interprètes dont des enfants...
“Moins que rien” : l’histoire de Johann Christian Woyzeck adaptée au Théâtre 14
L’histoire est inspirée de l’affaire de Johann Christian Woyzeck (1780-1824) à Leipzig, ancien soldat, accusé d’avoir poignardé par jalousie sa maîtresse, Johanna Christiane Woost, le 21 juin 1821. Condamné à mort, il a été exécuté le 27 août 1824....
La Scala présente “Les Parallèles”
Un soir, dans une ville sans nom, Elle et Lui se croisent sur le pas d’une porte. Elle est piquante et sexy. Lui est hypersensible et timide. Il se pourrait bien que ce soit une rencontre… Mais rien n’est moins sûr, tant ces deux-là sont maladroits dans leurs...