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« Le marché ne doit pas être le seul garant de la créativité » : la troisième voie de Renaud Siegmann

8 octobre 2015
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« Le marché ne doit pas être le seul garant de la créativité » : la troisième voie de Renaud Siegmann

Le 6 octobre 2015

foire copieCritique d’art, commissaire indépendant et spécialiste des scènes émergentes, Renaud Siegmann est le directeur des relations VIP de la foire ArtBahrain dont la première édition se tient du 13 au 16 octobre 2015, à Manama, au Royaume de Bahreïn. Art Media Agency est parti à la rencontre d’un homme engagé pour le rayonnement d’un art contemporain issu de la culture millénaire de Bahreïn.

Il s’agit de la première édition d’ArtBahrain. Comment vous êtes-vous associé à cette foire ?

En tant que professionnel du marché de l’art, des médias et connaisseur de la scène artistique arabe, mon profil a attiré l’attention des organisateurs d’ArtBahrain. Ils m’ont contacté pour savoir de quelle manière je pouvais les aider et, à condition de ne pas répéter un business model traditionnel, j’ai accepté de participer au projet. En fait, nous étions d’accord sur l’identité de la foire : une plateforme créative pour mettre en relation des artistes et des galeries, en compagnie des invités habituels des foires — les collectionneurs et la presse. Cet esprit-là m’intéresse. J’aime prendre les projets à l’origine, car on peut leur conférer une réelle inflexion.

En tant qu’auteur, l’équipe m’a également proposé de réaliser une anthologie des 33 meilleurs artistes de Bahreïn. Cela me permet de poursuivre mon cheminement à travers les scènes émergentes et les projets éditoriaux. Dans mon parcours, c’est l’écriture qui relie tout.

De vos débuts jusqu’à ArtBahrain, vous avez effectivement eu un parcours riche et protéiforme.

J’ai 20 ans d’expérience dans le monde de l’art. J’ai commencé en tant que chargé d’édition chez Artcurial — qui était encore une galerie — dans les années 1990. En travaillant pour des publications comme La Gazette Drouot ou L’Œil, comme ingénieur culturel pour le gouvernement écossais ou encore comme commissaire indépendant pour l’UNESCO, j’ai pu voyager et me spécialiser dans plusieurs aires géographiques — notamment via les douze grandes foires mondiales.

Je suis passionné par le travail à l’international. Dans les années 1990 et au début des années 2000, le marché de l’art contemporain n’avait pas encore explosé et le monde de l’art n’était pas aussi global. En fait, le boom du marché a permis à certaines régions du monde d’émerger et de se faire une place sur la scène artistique internationale. L’art qui s’y produit a incité des institutions — comme le MoMA ou la Tate Modern — à reconsidérer l’Histoire de l’art à l’aune des scènes émergentes, reconnues comme des opérateurs incontournables, notamment depuis Art Basel Miami 2001 et 2002.

Cependant, je n’aime pas trop le terme de « scène émergente ». On l’applique bien souvent à des cultures plus anciennes que la nôtre !

Comment vous êtes-vous spécialisé sur l’art contemporain dans le monde arabe ?

J’ai commencé à me spécialiser sur la scène maghrébine en 2009, en collaborant à la création du magazine d’art marocain Diptyk, lancé par Art Holding Morocco. À cette occasion, j’ai étudié l’art arabe, couvrant la zone qui va de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, notamment en m’entretenant avec des artistes comme Mona Hatoum, Kader Attia, Shirin Neshat ou encore le Cheikh Hassan, une grande figure de l’art contemporain arabe.

Art Holding Morocco m’a alors proposé d’organiser la foire Marrakech Art Fair, en tant que commissaire général. Nous avons fait deux éditions, en 2010 et en 2011. Ce travail m’a permis de mieux connaître les galeries, les artistes, les collectionneurs et les institutions du monde musulman. En partie du fait du Printemps arabe, la foire a été mise en suspens et je suis parti travailler pour des collectionneurs à Londres avant de revenir en France pour m’installer sur la Côte d’Azur. ArtBahrain m’a alors contacté.

Dans un monde comptant près de 400 foires et biennales, il est nécessaire de vous distinguer — à la fois pour créer votre identité et attirer les visiteurs.

Tout à fait. La question de la visibilité est inévitable, tout comme celle du signifiant et du signifié. Dans les foires, le signifiant c’est le business tandis que dans les biennales, le signifié est parfois trop conceptuel et très déroutant. Avec ArtBahrain, nous ne voulons ni produire un événement à fonds perdu ni créer un nouveau un rendez-vous marchand. Cette foire a un aspect plus créatif, plus proche du curating que du commerce. L’idée est de proposer un événement hybride, entre différents modèles.

Une formule hybride vous semble pérenne ?

Aujourd’hui, le monde a changé et cela nous interdit de nous contenter d’une opposition caricaturée entre le privé et l’institutionnel. L’institutionnel se nourrit du privé et ce dernier a besoin de la reconnaissance institutionnelle. Mais il doit exister une troisième voie qui allie la conviction en faveur d’une scène créative et les supports du marché pour la soutenir. Les foires tentent en général d’aller vers cela, mais sans réussir à être aussi ouvertes sur la créativité que nous le voudrions.

Le marché ne doit exister que pour soutenir la créativité. Il ne doit pas s’instaurer comme le seul garant de la créativité.

Vous êtes directeur des relations VIP d’ArtBahrain. Pouvez-vous en parler ?

Au sein de la foire, nous distinguons quatre aspects : la structure, qui organise l’événement, la direction artistique, le service des conférences et de la médiation, et enfin, le service VIP, qui a pour rôle d’attirer les collectionneurs importants.

Il s’agit également d’offrir à ces VIP une expérience culturelle spécifique. Ils viennent sur ArtBahrain pour découvrir la production artistique locale, régionale et internationale, mais aussi pour l’environnement et la culture de l’île.

Aussi bien qualitativement que quantitativement, quels sont les objectifs de la foire ?
Pour la première année, nous mettons la barre assez haut. La foire se déroule sous un immense chapiteau sur Bahrain Bay, à côté de l’hôtel Four Seasons. Nous attendons plus de 200 collectionneurs internationaux, principalement originaires de la région du Golfe et du monde arabe, en plus de Paris, Londres, Bruxelles, l’Espagne ou la Chine.

En outre, cet événement est sous le patronage de l’épouse du roi de Bahreïn, la Princesse Sabika bint Ibrahim Al Khalifa, qui a une liste d’invités très importants. Nous accueillerons également de nombreux représentants de galeries. Au total, nous attendons 2.000 VIP et espérons attirer environ 10.000 visiteurs.

Existe-t-il une volonté du Royaume de Bahreïn de renforcer son soft power ?

Cela fait assez longtemps que le Bahreïn est dans cette dynamique culturelle. La scène artistique est riche de peintres et de sculpteurs depuis le début du XXe siècle. De par sa situation insulaire — au carrefour de la Mésopotamie et de la Vallée de l’Indus, de la civilisation arabique et de la civilisation persane —, le royaume est un pôle culturel historique. Des fouilles y ont révélé la présence de la culture Dilmun, mentionnée pour la première fois dans une inscription datant du XIVe siècle avant notre ère.

De plus, contrairement aux autres pays du Moyen-Orient, qui ont attendu le commerce du pétrole pour éclore, Bahreïn était le leader mondial de l’industrie perlière dès le début du XIXe siècle et jusque dans les années 1930. De ce fait, le pays a oeuvré en faveur de la culture et de l’éducation très tôt. Le Bahreïn s’est ensuite lancé dans l’industrie pétrolière, tout en approfondissant cette politique.

La première grande exposition y a eu lieu en 1956 et a permis de répandre la pratique de l’art. Des artistes du pays ont été envoyés à l’étranger pour étudier, notamment dans les grandes capitales du monde arabe, comme Le Caire.

Aujourd’hui, avec Internet et les moyens de circulation accrus, les nouveaux artistes sont complètement connectés à la scène mondiale.

Constatez-vous un métissage entre l’art global et la scène particulière de Bahreïn ?
Pas exactement. L’héritage culturel et le développement du pays sont très forts. Nous pouvons parler d’ouverture à l’étranger — il s’agit en tout cas de la politique des autorités culturelles —, mais pas vraiment de métissage. Il serait tout à fait faux de parler de reprise des codes et des courants occidentaux ou internationaux.

Dans le contexte général du Moyen-Orient actuel, la culture représente-t-elle la solution pour les économies post-pétrole ?

Oui, mais il est clair qu’il ne s’agit pas d’une mutation. L’art et la culture ne sont pas en hibernation dans ces pays-là. Cependant, l’industrie pétrolière a effectivement provoqué une redistribution des cartes et il est intéressant de constater que la culture millénaire de ces pays dispose de nouveaux représentants qui rejoignent la scène internationale. Cependant, l’art a évidemment un impact sur l’économie que les gouvernements sont loin d’ignorer.

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