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Le jeune marché de l’art chinois : Entretien avec Hadrien de Montferrand

28 mai 2014
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Pekin-Beijing-China

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Le jeune marché de l’art chinois : Entretien avec Hadrien de Montferrand

Le 27 mai 2014

Le 27 mai 2014

Après différentes expériences dans différentes maisons de vente, et notamment en tant que directeur marketing chez Artcurial, Hadrien de Montferrand s’est installé en Chine il y a sept ans. Grâce à son expérience du marché chinois, Hadrien de Montferrand dispose d’un certain recul sur l’évolution de ce marché et de ses caractéristiques.

En 2009, il fonda sa première galerie d’art à Pékin. Sa galerie était alors la première en Chine à présenter des œuvres contemporaines sur papier. En novembre 2013, il a lancé une nouvelle galerie dédiée à la promotion d’artistes émergents à Hangzhou. Afin de mettre en perspective le marché chinois avec le marché mondial, AMA a rencontré Hadrien de Montferrand à l’occasion d’Art Basel Hong Kong.

D’une manière générale, comment définiriez-vous le marché chinois par rapport aux marchés occidentaux ?

Le marché chinois est avant tout un marché particulièrement jeune. Prenons l’exemple de la voiture en Chine : les chinois ont une réputation de mauvais conducteurs. Mais c’est normal puisqu’étant jeunes, ils n’ont pas été transportés en voiture. Ils n’ont donc pas pu acquérir des réflexes, même inconscients, liés à la conduite. C’est la même chose avec le marché de l’art. La plus ancienne maison de ventes chinoise a vingt ans, tandis que les grandes maisons de vente internationales, telles que Sotheby’s ou Christie’s, ont 300 ou 400 ans d’existence. Cette mise en perspective permet de comprendre certains aspects du marché chinois et certaines attitudes des acheteurs. Cela permet par exemple d’expliquer les retards de paiement ou l’absence même de paiement, le fait que l’acte d’achat n’est pas vraiment un acte d’achat…et cela au-delà même des différences culturelles, et la grande flexibilité que l’on pourrait accorder aux Chinois. Tout cela est lié à la jeunesse du marché. Pour la même raison, il est parfois difficile de se fier aux résultats officiels des maisons de vente chinoises. Le marché est jeune, et chacun essaie de trouver sa place, quitte à biaiser un peu les chiffres. En Chine, cinq ou six maisons de ventes se livrent à une compétition sans merci, avec Guardian et Poly en tête.

Quel est l’impact de l’arrivée récente des maisons de vente occidentales sur le marché chinois ?

À mon sens, l’impact a été plutôt limité. L’entrée de nouveaux acteurs montre plutôt que le marché s’ouvre progressivement. Pour autant, l’adoption de normes internationales en matière de ventes aux enchères ne semble pas encore avoir eu lieu en Chine. Par exemple, il est possible pour l’acheteur chinois de négocier son premium acheteur. Si Sotheby’s et Christie’s ne s’adaptent pas à cette particularité, ils se mettent d’emblée dans une position désavantageuse. Mais le plus probable est que Guardian et Poly adoptent peu à peu les normes internationales. De la même façon, de l’environnement chinois peuvent tout à fait découler de nouvelles règles.

Mais dans l’avenir, le marché tendra sûrement plutôt à se réguler et à se normaliser. On observe d’ailleurs une professionnalisation des nouvelles générations de Poly ou Guardian, ce qui est un bon signe pour l’évolution du marché.

La montée en puissance du marché de l’art chinois bouscule l’ordre établi. Selon vous, de quelle nature sont les interactions entre les différents marchés ?

Plusieurs anecdotes vont me permettre de répondre à cette question. Cela est bien connu, cette année est une année un peu particulière pour les relations France-Chine. C’est bien évidemment la célébration du 50e anniversaire de la reconnaissance de la Chine communiste par De Gaulle. Mais c’est aussi et avant tout une date cruciale pour le marché de l’art. Tout d’abord, en 1964, Rauschenberg gagne le grand prix de la biennale de Venise. La créativité passe de l’Europe aux États-Unis. D’autre part, en 1964, Sotheby’s a acheté Parke-Bernet, une maison de vente américaine. Aussi bien au niveau de la création que du marché, un deuxième pôle mondial est apparu. On observe cette même évolution aujourd’hui, avec l’émergence d’un troisième pôle pour le marché de l’art. L’ensemble du marché accorde désormais une place de choix à la Chine avec la consécration de l’art chinois au MET, des maisons de vente internationales qui s’installent en Chine, des maisons de vente chinoises qui s’installent à l’étranger et des foires d’art qui ont des sections dédiées à l’art chinois. Le marché de l’art et la créativité est désormais divisé en trois pôles au niveau mondial. Mon sentiment cependant est que les États-Unis sont toujours les leaders du marché, si l’on prend en compte les transactions privées. J’ai le sentiment que les collectionneurs chinois ne se sentent pas encore suffisamment en confiance pour acheter des œuvres onéreuses par ce canal.

Quelles peuvent être les différences entre les collectionneurs chinois et occidentaux ?

Les collectionneurs chinois semblent acheter davantage avec leurs oreilles qu’avec leurs yeux. Ce n’est pas encore un achat plaisir, mais plutôt un investissement. L’achat plaisir est sans doute en constante augmentation, mais reste à ce jour une minorité. C’est un investissement, un outil financier. Et aussi un vecteur de valorisation sociale, mais comme partout.

Cette année lors d’Art Basel Hong Kong, nous avons remarqué que les habitudes d’achats des collectionneurs chinois avaient légèrement évolué. Au niveau de ma galerie, nous avons surtout intéressé des collectionneurs chinois et taiwanais. Mais cela est dû au fait que nous avons des œuvres pour eux, comme de la calligraphie de Chu Teh Chun. La calligraphie intéresse surtout les chinois, pas les occidentaux. Parallèlement cette année, mes confrères ont noté que les chinois ont aussi beaucoup acheté des œuvres étrangères. Cela témoigne d’une évolution du marché vers plus de maturité. Cela montre aussi qu’ils deviennent plus sensibles à une esthétique occidentale. La peinture à l’huile est sans conteste d’origine occidentale, et n’est pas liée à la culture chinoise. Les chinois font donc l’acquisition de telles œuvres en tant qu’investissement, pour la reconnaissance sociale et enfin pour montrer qu’ils sont ouverts, qu’ils ont voyagé.

Comment voyez-vous l’évolution future du marché et quel est selon vous le potentiel du marché chinois ?

Il est toujours délicat de se fier aux données officielles chinoises, mais il est évident que le marché chinois est en forte croissance. Et je crois d’ailleurs qu’il faut mettre de côté l’idée de bulle concernant ce marché. Pour moi, une bulle se créée à cause de systèmes financiers complexes, rendant l’endettement non-viable sur le long terme. Or, les chinois achètent comptant, n’empruntent pas. Et les acheteurs sont surtout individuels, pas tellement institutionnels. Le marché en Chine s’étend juste.

Vous avez ouvert votre galerie en 2009 à Pékin, quels changements majeurs avez-vous pu observer depuis cette date ?

Un événement marquant a été l’ouverture d’espaces à Hong Kong par les grandes galeries internationales comme la Pace, Gagosian… Cela a eu un impact sur mon activité car le niveau de connaissance en art contemporain étranger a augmenté. Et mon activité a été portée par cette évolution. Le marché chinois est particulièrement large, et plus il y a d’acteurs sur le marché, plus c’est intéressant. D’une manière générale, le développement de Hong Kong ne porte pas préjudice à Pékin. Je pense que Pékin restera une plateforme importante de création. Mais Hong Kong continuera à être le leader du marché asiatique. Je ne crois pas beaucoup à la volonté politique de Singapour, ni à celle de Shanghai concernant le développement du marché de l’art. Le marché asiatique est vraiment divisé entre Hong Kong et Pékin. Une partie de la création traditionnelle est d’ailleurs soutenue politiquement à Pékin, grâce à l’allocation de fonds pour réaliser des expositions par exemple. Et la commande publique d’œuvres d’art est par ailleurs importante en Chine.

À Hong Kong, c’est le marché qui a été moteur, et le soutien politique est venu par la suite. À Pékin, la création et le marché ont initié le mouvement, qui a par la suite été soutenu politiquement. Il ne fait aucun doute que l’environnement légal et économique, et les règles concernant la taxation ont été des moteurs pour le développement du marché à Hong Kong.

Pour le moment, le cadre légal chinois n’est pas très bien établi, mais à l’avenir la Chine se dotera sûrement d’une fiscalité et d’un cadre légal spécifique au marché de l’art. Les importations d’œuvres d’art sont déjà encadrées, et sont pénalisées par une importante fiscalité. Mais les législateurs chinois ne portent que peu d’attention à ce marché pour le moment, car il est encore très jeune. Et en Chine, du temps est nécessaire pour que les différents acteurs de ce marché soient au courant du cadre légal. Par exemple le terme de fondation n’existe pas, tout comme le concept de charité est assez abstrait en Chine. Les contours du cadre légal s’établissent graduellement, en s’adaptant à la réalité des faits. Il est intéressant de noter que les maisons de ventes occidentales étaient autorisées à faire des ventes en Chine depuis 2001, de façon autonome. Mais personne n’a pu le faire à cause de ce temps d’adaptation, et de l’absence d’un cadre légal cohérent. La décision d’autoriser les maisons de ventes à opérer sur le sol chinois est une décision politique provenant des gouvernements locaux. Sans l’impulsion et la volonté politique du gouvernement local de Shanghai, Christie’s n’aurait pu opérer en Chine.

Au final, nous disposons d’une grande liberté en Chine, mais nous sommes également à la merci des circonstances changeantes. L’expérience chinoise est donc très excitante !

Art Media Agency

 

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