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Le dessin, l’enregistrement de la voix haute de la pensée : entretien avec Philippe Piguet, directeur artistique de Drawing Now

23 mars 2015
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Drawingnow

Le dessin, l’enregistrement de la voix haute de la pensée : entretien avec Philippe Piguet, directeur artistique de Drawing Now

Le 23 mars 2015

Le 23 mars 2015

Philippe Piguet est le directeur artistique de Drawing Now — foire consacrée au dessin contemporain—, dont la neuvième édition se tiendra du 25 au 29 mars au Carreau du Temple. Lancé en 2007 par Christine Phal, l’événement accueille cette année 73 galeries du monde entier et propose une exposition consacrée au dessin engagé, des entretiens d’artistes, des tables rondes, et une programmation vidéo afin de présenter les multiples facettes d’un art dont le salon veut montrer la qualité et la vitalité.

Comment êtes-vous arrivé à Drawing Now ?

Personnellement je m’intéresse au dessin depuis très longtemps — c’était ma spécialité lorsque j’étudiais à l’école du Louvre. En 2006, Christine Phal, la présidente et fondatrice de la foire, est venue me parler d’un projet de salon. Je lui ai alors répondu qu’il serait intéressant de se distinguer de ce qui se faisait à Paris en se consacrant au dessin contemporain. C’est ce qu’elle a fait.

Dès la deuxième édition, je suis devenu membre du comité de sélection, puis directeur artistique à partir de la quatrième, lorsque Christine Phal a voulu professionnaliser significativement le salon. C’est à cette période — pour éviter toute confusion avec le Salon du Dessin ancien — que nous avons choisi le titre Drawing Now. Nous sommes restés quatre ans au Carrousel du Louvre avant de nous déplacer au Carreau du Temple en 2014 pour, si j’ose dire, nous mettre à la lumière.

Comment fonctionne votre comité de sélection et quel est votre rôle en son sein ?

Mon rôle est de constituer le comité, tout simplement. Nous ne le modifions pas chaque année, mais nous avons un certain roulement. Cela dépend aussi de la disponibilité des membres.

Le rôle du comité est d’ « éplucher » les dossiers de candidature puis de les sélectionner. Pour ce faire, nous procédons par vote. Le comité est en grande partie institutionnel, car il faut des gens qui connaissent le terrain, mais également international – nous avons avec nous le responsable des cabinets d’art graphique de Berlin et une conservatrice de l’Albertina de Vienne – et ouvert au renouvellement puisque nous accueillons cette année un jeune collectionneur de Marseille, qui achète volontiers du dessin.

Philippe_PiguetQuelles seront les nouveautés sur le salon cette année ?

Premièrement, nous limitons l’événement au Carreau du Temple (en 2014, Drawing Now avait une antenne à l’Espace Commines, NDLR). Le nombre d’exposants s’en trouve réduit, mais cela nous convient mieux. Nous voulons la « crème de la crème ».

A propos de notre exposition culturelle, dont je suis responsable, nous mettrons l’accent sur le dessin engagé, pour faire écho à l’actualité. Avec les attentats à la rédaction de Charlie Hebdo, on a tellement entendu parler de dessin depuis janvier, malheureusement, que cela nous a paru incontournable. Cette petite opération culturelle, au sein d’une foire, commerciale par nature, doit rappeler que l’engagement chez les artistes plasticiens existe depuis toujours et se produit aussi dans le dessin.

Cela s’accompagnera de toute une série d’entretiens, les Drawing Talks, avec des artistes engagés tels que Ernest Pignon-Ernest, Alain Declercq, qui travaille sur la surveillance, Lucie et Jorge Orta, qui abordent des questions écologiques et humanitaires, et Nazanin Pouyandeh, une artiste iranienne venue s’installer en France après l’assassinat politique de son père. Nous aurons aussi des tables rondes, organisées par Christine Phal, et les Drawing vidéos, sélectionnées par Brett Littman, du Drawing Center de New York, qui collabore avec nous depuis quatre ans.

Quelle place offrez-vous à la vidéo dans un salon dédié au dessin contemporain ?

La présence des supports graphiques singuliers, différents du papier, nous tient à coeur. Il faut encore que ce soit bon, bien entendu. Mais il y a un marché limité. Pour le moment, il y a peu de collectionneurs qui se tournent vers le dessin vidéographique. Mais c’est bien un travail de dessinateur, qui passe cette fois par les technologies contemporaines.

Dans votre sélection, à quelle période correspond le dessin contemporain ?

Il s’agit des quatre dernières décennies. En deçà, nous ne fermons pas non plus de portes et nous pouvons aussi toucher au dessin moderne, si une galerie propose de nous présenter les premières œuvres – des travaux remontant aux années 1960 – d’un artiste contemporain, cela peut aussi nous intéresser.

L’exemple des œuvres vidéographiques en témoigne : le dessin est une discipline extrêmement complexe et diversifiée, qui semble échapper à l’exercice de définition. Quel serait, selon vous, le dénominateur commun à toutes les œuvres que vous présentez ?

C’est une question terrible, mais à laquelle je me suis inventé une réponse : « Le dessin, c’est l’enregistrement de la voix haute de la pensée ». Une formule que je me suis donnée en 1984.

Car le dessin me paraît être dans une relation étroite de proximité avec la pensée. Il en est la première expression. Quand un analphabète doit signer, il fait une croix. Comme pour dire : « Je suis là ». Finalement la notion de dessin, dans ses aventures philologiques – on l’écrivait d’abord « dessein » – c’est une projection. On est en amont de toute forme d’expression.

Selon vous — entre ses nouveaux supports, ses nouvelles techniques, etc. — le dessin est-il dans une phase de remise en question, disons ontologique, poussée par les nouvelles technologies ? Est-il dans une période de redéfinition ?

Cela n’est pas nouveau, car le médium s’inscrit irrésistiblement dans un principe de hauts et de bas, dans une alternance entre périodes de découvertes et périodes de rentabilité et de développement. Chaque changement technique a amené une révolution : Raphaël a dessiné à la pointe d’argent, puis il y a eu la pierre noire, la sanguine, etc. À chaque fois ces supports ont remis en question la pratique.

Le dessin s’invente perpétuellement de nouveaux possibles afin de trouver le meilleur écho par rapport à l’époque dans laquelle il s’inscrit. C’est par le développement de nouveaux moyens, matériaux et supports que le dessin ne cesse d’avoir — et de gagner — sa présence.

Aujourd’hui, ce qui caractériserait le plus puissamment sa fraîcheur serait le dessin vidéographique. Mais avant que cela n’entre dans les moeurs, avant de trouver chez les collectionneurs un écran sur lequel ils affichent des dessins par télécommande — à côté d’autres dessins encadrés —, il y a encore du temps. Cela existe, mais c’est encore loin d’être habituel.

Nous l’avons évoqué, l’époque est propice à la combinaison des médiums, et le mot « transmédia » est à la mode. Une foire focalisée sur un médium unique ne se place-t-elle pas à rebours des tendances de notre société  ?

Cela me rappelle un livre, À rebours, un des plus beaux de Huysmans. Être « à rebours » n’est jamais négatif si on l’entend de manière prospective. L’idée d’une foire focalisée sur le dessin, à une époque où nous multiplions les transversalités, c’est établir un ilot où nous montrons que le dessin est en amont de tout.

On peut dire que cela fonctionne : les gens viennent voir, parce qu’ils ont besoin de la création et que, à un moment, ils s’interrogent sur ses origines, ce qui les ramène au dessin.

Et le dessin contemporain semble se frayer une place au soleil — entre la donation Guerlain exposée au MNAM en 2014 et la vente d’un Lucian Freud pour 300.000 € chez Christie’s à Paris en 2014.  Est-ce que pour vous, le dessin contemporain retrouve ses lettres noblesses par rapport au marché et au monde de l’art ?

Effectivement, c’est cyclique, mais je reviendrais d’abord sur un point. Il y a quelques temps, on ne parlait que de photo, de vidéo et d’installation, etc. Cela a changé, mais en fait, ce qui change réellement, c’est le regard que nous portons sur ces disciplines. Il en est ainsi de la peinture, un jour décriée, un autre portée au pinacle : le regard est velléitaire.

Il faut aussi noter que, dans un contexte de marché, tout collectionneur qui débute commence généralement par le dessin. C’est un apprentissage de la collection. Généralement c’est un, voire deux zéro(s) de moins qu’une peinture. Mais il y a surtout cette intimité propre au dessin qui est nécessaire à celui qui se lance.

Le dessin c’est le murmure, la parole dite à l’oreille, contrairement à la peinture qui procède d’une élaboration plus complexe, plus intellectualisée. Un collectionneur aura toujours quelque part un dessin. Et il va vous le montrer parce qu’il y a dans le dessin quelque chose qui établit une complicité avec le regardeur. Même un grand format reste à portée de la main.

Et quel avenir voyez-vous pour le dessin ? Est-il encore enseigné, dans son aspect technique, dans les écoles d’art ?

Il y a une tendance à vouloir reprendre en considération un certain enseignement du dessin. Beaucoup d’artistes pratiquent cela, même sur un mode classique si j’ose dire.

Mais c’est aussi à la base de formulations très contemporaines comme l’infographie que se place le dessin. Son avenir est, comme d’autres formes d’art, dans l’hybridation, dans le composite. Je pense que le dessin, non seulement n’y échappera pas, mais en fera son chou gras.

Art Media Agency

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