Laubiès – Galerie Alain Margaron
Laubiès est l’un des rares artistes abstraits dans le monde à avoir tenu une longue distance : plus de quatre décennies de peintures abstraites, sans changement spectaculaire d’une période à l’autre, tout en gardant la même intensité.
Il s’était senti à l’étroit en France, dans l’atmosphère confinée de l’Ecole de Paris d’après guerre et des années 50. Ses nombreux séjours à l’étranger pour peindre (George Salle disait de lui que son atelier était de partout sauf à Paris) et son année passée aux Etats-Unis en 1957 où il s’est confronté à de très grands formats ont sans doute contribué à lui donné le souffle nécessaire pour donner toute son ampleur à son paysagisme abstrait. Ses œuvres de petit format n’ont rien d’étriqué, mais au contraire paraissaient sans limites comme des fragments d’infini.
Grâce à des soutiens précieux comme récemment celui de Daniel Cordier, de conservateurs allemands et français, l’importance de son œuvre commence à être reconnue. René Laubiès est représenté par la Galerie Alain Margaron depuis 2001.
René Laubiès est décédé en 2006, à Mangalore, dans la région de Varkala en Inde où il passait, depuis 1969 une partie de l’année car il trouvait là, les conditions nécessaires à son travail, une « atmosphère en dehors du matérialisme et de la consommation », disait-il, et un rapport différent au temps : « Le temps, en Inde, s’écoule lentement. Comme j’ai besoin d’espace et de lumière, je travaille mieux là-bas. Le temps n’est pas morcelé et dissipé en stupidités paperassières ou autres. Je peux y trouver mon inspiration sur le sable et dans le ciel et si je laisse quelques traces de cette poésie, de cette musique, cela me suffit et j’espère que cela vous suffira aussi ». Il était né en 1922 à Saïgon et il a vécu en Indochine jusqu’à l’âge de quatorze ans. Il restera imprégné de culture extrême-orientale, sera profondément marqué par la philosophie taoïste et ne reconnaîtra pour maîtres que les « peintres chinois de haute époque ». En 1950, il traduira le « Traité sur la peinture » du peintre chinois Khuo-Chi (période Song). Il est lui-même une sorte de peintre lettré. Proche des poètes, il réalisera la première traduction française des « Cantos » d’Ezra Pound dont il fut l’ami.Après des études de droit au Maroc, il s’installe à Paris en 1949 et commence à exposer dans différentes galeries : Colette Allendy, Facchetti, Iris Clert, Yvon Lambert,ainsi que dans d’importants musées et galeries aux Etats Unis, en Allemagne et en Italie. Il est alors défendu par d’importants critiques en France et à l’étranger.
Laubiès a trouvé sa « voie » presque dès le début, il ne la quittera plus. « Je peins dans la nature et la nature est abstraite, comme disent les taoïstes ». Son abstraction est aussi éloignée de l’art géométrique que de l’abstraction lyrique et gestuelle. Sa production est régulière mais non systématique. Chaque tableau correspond à un moment privilégié de contemplation de la nature, à un lieu, une lumière, une émotion. Mais la sensation initiale est décantée et l’artiste ne garde que la quintessence d’une expérience à la fois visuelle et spirituelle : bien souvent, le pigment est raclé avec une lame de rasoir, de façon à réduire la matière, le geste, la forme, à un résidu. L’éblouissement poétique dont résultent ces œuvres, et qu’elles produisent à leur tour, tient au sentiment effusif de la splendeur du monde mais aussi à l’acceptation de la fragilité et de l’évanescence de toutes choses et à une morale du détachement. Laubiès définissait sa pratique de la peinture comme « une physique de la sérénité ».
La synthèse vivante de l’abstraction et de la figuration que l’on découvre dans l’œuvre de Laubiès est aussi celle du spirituel et du temporel. C’est tout le sens de sa matière de peindre sans aucune épaisseur, malgré tout ce que son œuvre montre, ce qui étonnait beaucoup Fautrier. « La matière ne m’intéresse pas, disait-il. L’huile, l’encre, l’aquarelle ne sont pour moi qu’un support, pas une fin en soi. Je n’ai jamais cherché à faire une œuvre, mais à participer au flux de l’univers, à la vie… »
« Dès son commencement, tel que nous le connaissons, l’œuvre marque déjà cette distance : pas d’images, pas de gestes, pas de matières épaisses, rien de ce par quoi s’affirmait alors la peinture en ce début des années 1950. Les traces qui habitent ces œuvres semblent plus en voie d’effacement, écritures subsistantes d’un langage en perdition que gestes décisifs ou paraphes triomphantes. »
Daniel Abadie
LAUBIÈS
Du 28 janvier au 06 mars 2010
du mardi au samedi 11h/13h – 14h30-19h30
Galerie Alain Margaron
5, rue du Perche
75003 Paris
tél 01 42 74 20 52
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