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Inauguration de la fondation Bernar Venet : entretien avec l’artiste

20 juin 2014
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Inauguration de la fondation Bernar Venet : entretien avec l’artiste

Le 20 juin 2014

Le 20 juin 2014

Bernar Venet est aujourd’hui l’un des artistes vivants majeurs dans le monde. Ses grandes barres d’acier sont visibles de New York à Shanghai, mais c’est au Muy (Var) que sera inaugurée, le 12 juillet prochain, la fondation Venet. Au cœur de la Provence, un parc de quatre hectares accueillera ses sculptures monumentales, mais aussi les reliques d’une vie menée aux côtés des plus grands artistes, parmi lesquels Sol LeWitt, Frank Stella, Donald Judd, Arman.

Art Media Agency a rencontré l’artiste aujourd’hui âgé de 71 ans, retraçant le fil d’un incroyable destin, à travers rencontres, anecdotes et chefs-d’œuvre.

Comment est née la Fondation ?

C’est un processus qui s’est développé doucement, dans ma tête d’abord. Quand je me suis installé au Muy, je n’en avais pas l’idée. Je voulais uniquement un lieu pour entreposer mes affaires.

Avec le temps, j’ai eu envie d’améliorer mon environnement et celui de mon équipe, mais aussi celui des œuvres de ma collection. J’ai senti la nécessité de préserver ce lieu, d’en faire une fondation, pour que le jour où je quitte mes amis, cet endroit ne soit pas vendu pour payer des impôts…

Vous semblez inspiré par ce qu’a pu faire Donald Judd au Texas.

Oui, j’ai eu beaucoup de chance avec Donald Judd. Je l’ai rencontré en 1967, un an après avoir découvert son travail lors d’une exposition sur l’art minimal. Il habitait encore sur Park Avenue et 18th street et collectionnait déjà. Sur les murs de son appartement, il y avait déjà deux énormes Frank Stella et j’ai trouvé ça formidable. A mon échelle, je commençais également à m’entourer d’œuvres d’artistes français, Villeglé, César, Arman etc. Malgré mon mauvais anglais, nous avons eu un premier dialogue. Par la suite, nous avons emménagé dans le même quartier et nous avons commencé à nous voir régulièrement, je l’ai présenté à Daniel Templon. Lorsque j’ai voulu acheter une de ses œuvres aux enchères et que je lui ai annoncé que pour financer cette acquisition j’avais prévu de vendre un petit Ad Reinhardt, il m’a proposé de m’échanger l’œuvre contre une des siennes. J’ai donc eu en échange une œuvre majeure de Judd.

Lorsque j’ai vu sa fondation à Marfa au Texas, ça a été un choc pour moi. Il avait le sentiment que nous, artistes, étions toujours très mal exposés dans les galeries, qu’il fallait faire des œuvres spécifiques pour ces espaces et que le rendu n’était que rarement pleinement satisfaisant, donc qu’il fallait créer un lieu où ses œuvres seraient parfaitement exposées. Je partageais cette idée et j’ai, de mon côté, acquis ce lieu au Muy. En 25 ans, nous avons créé un environnement idéal pour les œuvres.

Et la chapelle Stella ?

Je n’ai jamais fait de liste avec tels ou tels artistes que je me devais d’avoir dans ma collection. Je connais Frank Stella depuis 1966, et nous sommes devenus vraiment amis près de vingt ans après notre première rencontre. Lors d’une soirée d’anniversaire d’Arman, il est venu me demander comment je faisais pour tordre ces barres de fer, je me suis rendu chez lui quelques jours plus tard et nous sommes restés proches. J’ai finalement acquis une très grande œuvre de Stella.

En ce qui concerne la Chapelle, cela a été compliqué. Dans un premier temps, nous nous sommes tournés vers Rudy Ricciotti. Puis Stella a trouvé un architecte et, après avoir surmonté les difficultés liées aux risques d’inondations, nous pourrons finalement inaugurer cette chapelle au mois de juillet prochain, qui apporte une réelle plus-value à la fondation.

Quelles sont vos attentes en termes de fréquentation ?

Nous ne voulons pas que cela soit comme un musée ou une fondation qui a besoin de faire venir du public pour vivre. Au départ, cela sera relativement privé, sur rendez-vous. Tant que j’y habite, ça restera probablement comme cela. Nous avons fait un début d’expérience de grand public il y a deux ans, et nous avons pu constater que ce n’était pas ce que nous voulions pour l’instant. Les gens venaient alors se balader dans le parc et ne s’intéressaient même pas tous aux œuvres, qui sont un peu pointues. Nous préférons des visites guidées de dix, quinze personnes, avec un rapport plus direct aux œuvres, plus riche et plus personnel, mais destiné aux personnes vraiment intéressées. Nous sommes prêts en revanche à mettre en place une exposition annuelle, ouverte aux amateurs d’art.

Pouvez-vous nous parler de l’œuvre Effondrement de 150 tonnes ?

À un moment de ma vie, je me suis dit que je n’avais encore rien fait de mon existence et j’ai donc eu envie de faire quelque chose de particulier, en l’occurrence « un effondrement ». J’ai donc commandé à mon fournisseur hongrois 150 grands arcs, pesant chacun une tonne. Nous sommes en train de l’installer spécialement pour l’ouverture de la Fondation.

Vous habitez aux États-Unis depuis très longtemps, percevez-vous une différence entre l’appréciation de votre œuvre là-bas et ici en France ?

Oui, j’y habite depuis l’âge 24 ans. Lorsque je suis arrivé aux États-Unis dans les années 1960, il était difficile pour un artiste français de s’imposer là-bas. Ma chance a été d’arriver sans être connu et de ne pas parler anglais. Les Américains n’auraient pas réservé un bon accueil à un artiste déjà reconnu en France. Alors qu’à mon arrivée, j’ai pu rencontrer Sol LeWitt, Dan Flavin, Leo Castelli et puis, doucement je suis rentré dans le milieu, sans prétention. Je dois dire que les résultats sont très vite arrivés.

À partir de 1968 j’ai commencé à être invité dans des expositions, chez Paula Cooper, chez Leo Castelli, chez Virginia Dwan, et j’ai été exposé à l’international, à Düsseldorf à la « Prospect » et en 1971 j’ai fait une rétrospective à New York. En France ou en Allemagne, la reconnaissance est venue grâce à ce succès aux États-Unis. Il est faux de dire que je suis plus connu aux États-Unis qu’en France, mais mon marché est bien plus fort aux États-Unis qu’en France, bien que je ne fasse rien pour le développer en France — où je n’expose pas en galerie par exemple.

Quelles raisons vous ont poussé à vous expatrier aux États-Unis ?

Je suis parti parce que je mourrais de faim à Nice. Je savais qu’Arman, Yves Klein, Martial Raysse – qui étaient dans mon environnement – exposaient aux États-Unis, et je rêvais de partir. Raysse me parlait de Warhol. Un jour Arman m’a offert une œuvre afin que je puisse la vendre pour financer mon voyage.

L’exposition à Versailles a-t-elle changé quelque chose en France ?

Oui en effet. Cela a été un déclencheur pour de nombreuses choses, mais également pour l’appréciation auprès du grand public.

Vous produisez du monumental, vendez-vous des grandes pièces à des particuliers ?

Aujourd’hui je ne fais quasiment pas de pièces petit format. Je souhaite que mon marché soit celui des grandes pièces. Et il y a un marché privé pour les pièces monumentales.

Quelle est la place des mathématiques dans votre travail  ?

Il ne faut pas surestimer mes compétences dans le domaine ! Lorsque sur mes tableaux je montre les textes de Kurt Gödel, il n’y a au maximum que deux ou trois mathématiciens français qui peuvent comprendre ce qu’il y a dessus. On utilise des sujets pour élargir le champ de l’art, cela permet de faire de nouvelles propositions. Lorsque Kandinsky a fait ses premiers tableaux abstraits, les gens ne voyaient plus aucune issue, mais il y a eu des conséquences énormes, que l’on connait désormais. Lorsque vous avez devant les yeux un diagramme mathématique, vous faites face au plus haut degré d’abstraction auquel vous pouvez être confronté, théoriquement, cela créé un trouble dans l’esprit des gens.

Repousser les limites est donc primordial ?

C’est le seul objectif. Soit vous voulez faire de la décoration, soit vous voulez faire des tableaux qui ressemblent à des tableaux, de l’art qui ressemble à de l’art et de toute évidence vous n’en ferez pas, j’ai compris cela très tôt. J’ai eu la chance d’avoir une mère qui m’a offert beaucoup de livres d’art. J’ai compris que les vrais artistes étaient ceux qui avaient apporté quelque chose à l’histoire de l’art. Être peintre et être artiste ce sont deux métiers différents. Les assistants sont parfois meilleurs peintres que l’artiste, mais ils n’ont pas ses idées. 

Art Media Agency

[Visuel :  © Philippe Chancel Paris ]

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