La Tortue rouge – film d’animation de Michael Dudok de Wit
La Tortue rouge De Michael Dudok de Wit Durée : 80 min. |
Sortie le 29 juin 2016 A travers l’histoire d’un naufragé sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux, La Tortue Rouge raconte les grandes étapes de la vie d’un être humain. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=0tFqE_k3iDk[/embedyt] Festival de Cannes 2016 Entretien avec Michael Dudok de Wit Parmi tes courts-métrages d’animation, deux au moins sont « cultes ». Le Moine et le poisson, réalisé au studio Folimage de Valence, reçoit un César en 1996 et une nomination à l’Oscar ! Puis vient Father and Daughter qui, en 2001, va être salué d’une foule de grands prix (Annecy, Hiroshima etc.) et d’un Oscar. Une petite fille voit disparaître son père, dont le souvenir la poursuit durant toute une vie. Tu exprimes là un sentiment indéfinissable : le « longing »… Oui, c’est dur à définir car c’est subtil, mais je pense que beaucoup de gens connaissent ça. C’est une aspiration à quelque chose qui semble inaccessible, un grand désir silencieux et profond. Pour un artiste, cela peut être un désir de perfection, d’un idéal en musique, en dessin, en poésie… C’est un manque douloureux et pourtant très beau. Tu ne peux pas imaginer les témoignages très touchants que j’ai reçus d’amis ainsi que d’inconnus. Ils disaient que le film leur parle d’évènements qu’ils ont vécus. J’ai une chance énorme, c’est devenu un classique. En 2004, tu es membre du jury au festival d’Hiroshima. Y as-tu rencontré Isao Takahata ? En effet, nous avons eu un petit échange, il m’a même dit quelques mots en français. Il adore la culture française. Mais j’ai eu la surprise, peu de temps après, au festival de Séoul où je donnais une conférence sur mes travaux devant des étudiants, de le voir entrer avec un traducteur. Je pensais qu’il venait simplement me saluer, mais non, il a assisté à toute la conférence ! Peut-être pensait-il déjà à un travail en commun ? En novembre 2006, tu reçois un mail inattendu de Tokyo. Avec deux questions. Dans la première, le musée Ghibli me demandait si j’acceptais qu’ils distribuent au Japon Father and daughter. Dans la deuxième, si j’étais intéressé de travailler avec leur studio sur un long métrage de ma création… Jusque là, je n’avais pas vraiment pensé au long métrage. Certains de mes amis, à qui on a fait des promesses magnifiques, sont partis en Californie pour en revenir déçus après avoir vu leur projet remanié par les producteurs. Mais avec Studio Ghibli, c’est différent. Ils m’ont précisé que l’on travaillerait sous la loi française, qui respecte le droit d’auteur. Ils m’ont donné plusieurs mois pour écrire le scénario. J’avais en germe le thème d’un homme sur une ile déserte, thème devenu entre temps super présent à la télévision, mais j’aimais cette idée archétypale. Non pas pour raconter comment il survit, car cela a déjà été fait si souvent. Il me fallait plus. J’ai donc fait un séjour sur une petite île des Seychelles, nom synonyme de vacances de luxe, mais j’ai fait un choix plus simple, logeant chez l’habitant, pendant dix jours. Je me promenais seul, à tout observer et à prendre des milliers de photos. Il n’était pas question de tomber dans le look « brochure de vacances ». Mon naufragé ne doit pas adorer l’endroit, il veut à tout prix rentrer chez lui, car l’île n’est pas si accueillante que ça. Il y a des dangers, l’extrême solitude, il pleut, il y a des insectes… J’ai fait l’erreur classique : mon scénario était trop détaillé. Le film aurait été trop long. Mais la base de l’histoire était bonne. Dans l’étape suivante, l’animatique, qui est la version très simplifiée du film dessinée avec des images fixes sans mouvements, je découvrais que ce n’était parfois pas évident de traduire cette histoire en langage cinématographique. Il restait des noeuds que je n’arrivais pas à défaire. Alors Pascal Caucheteux, le producteur de Why Not Productions, m’a proposé de rencontrer Pascale Ferran. Pendant plusieurs mois, nous nous voyions régulièrement. On discutait à fond de l’ensemble du film, car nous ne pouvions pas changer des éléments isolés sans affecter tout le reste. Elle m’a aidé à identifier les problèmes et à rendre le narratif plus clair et puissant. En plus, elle aimait beaucoup l’idée Un des thèmes est à nouveau le « longing », cette attente du héros face à la mer… Mais aussi ce que tu appelles « timelessness », l’intemporel. C’est présent dans tous tes films, on le sent dans les plans sur les arbres, le ciel, les nuages, les oiseaux qui tourbillonnent… Oui, ce sont des moments purs et simples, qu’on connaît tous. Il n’y a ni passé ni futur, le temps n’existe plus. Mais le temps est circulaire aussi. Les générations se suivent. L’enfant fait les mêmes gestes que le père, franchit les mêmes rochers, subit les mêmes dangers. Chez les animaux, c’est un autre cycle : le poisson mort nourrit les mouches, qui sont mangées par l’araignée, le crabe est emporté par l’oiseau etc… C’est ça. Le film raconte l’histoire de façon linéaire et circulaire. Et il utilise le temps pour raconter l’absence de temps, un peu comme la musique peut mettre en valeur le silence. Ce film raconte aussi que la mort est une réalité. L’être humain a tendance à s’opposer à la mort, à avoir peur de la mort, à lutter contre et ceci est très sain et naturel. Et pourtant, simultanément, on peut avoir une compréhension intuitive très belle qu’on est la vie pure et qu’on n’a pas besoin de s’opposer à la mort. J’espère que le film transmet un peu ce sentiment. Autre élément essentiel : l’apparition de la tortue, son côté mystérieux. L’idée de créer une histoire avec une grande tortue est venue assez vite. Il fallait une créature de l’océan impressionnante et respectée. La tortue de mer est solitaire, paisible et elle disparaît pendant des longues périodes dans l’océan infini. Elle donne l’impression d’être proche de l’immortalité. Sa couleur rouge intense lui va bien et la créature ressort visuellement. Nous avons beaucoup réfléchi à quel point nous voulions garder un certain mystère dans l’histoire. Dans les films du Studio Ghibli, par exemple, la présence du mystérieux est très bien utilisée, je trouve. C’est évident que le mystère peut être magnifique, mais il ne doit pas être tel que le spectateur déconnecte de l’histoire. Il faut gérer cela de façon subtile… Et sans paroles, puisque le film est sans dialogue. C’est tellement simple d’expliquer les choses par une réplique, mais il y a d’autres moyens, bien sûr. Je pense en particulier aux comportements des personnages, à la musique et au montage. Et, en l’absence de dialogue, les sons des respirations des personnages deviennent naturellement plus expressifs. Parlons technique : apparemment, tu as découvert le numérique à Prima Linea Productions. C’est vrai. Prima Linea est le studio – à Paris et à Angoulême – où l’équipe principale et moi avons fait le film. Pendant nos premiers tests d’animation, une autre équipe y finissait le film Loulou, l’incroyable secret et ils utilisaient le Cintiq, un crayon numérique qui permet de dessiner sur une palette qui est un écran d’ordinateur. Avec cet outil, on peut voir le résultat de son animation tout de suite, sans avoir à scanner les dessins séparément. C’est plus économique et cela donne plus de marge créative, un plus grand contrôle pour les retouches. Nous avons animé deux versions d’un même plan, un avec crayon sur papier et un avec ce crayon numérique. La ligne du crayon numérique était plus belle et cela nous a convaincus. Comment a été conçue la musique ? Elle est très importante puisqu’il n’y a pas de dialogue. Je n’avais pas d’idée précise pour un style de musique spécifique. Laurent Perez del Mar a fait plusieurs propositions, dont une avec une très belle mélodie qui était parfaite pour le thème musical principal et j’étais ravi. Très vite, il a proposé de la musique à des endroits où je n’aurais pas pensé en mettre et il avait raison. Oui, il m’a souvent surpris. Comment se sont passées les rencontres avec Isao Takahata ? En fait, il y avait trois producteurs depuis le début : Isao Takahata et Toshio Suzuki, les deux producteurs du Studio Ghibli, ainsi que Vincent Maraval de Wild Bunch. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois au Studio Ghibli et les deux premiers sont aussi venus en France. Dans les conversations, j’échangeais surtout avec Takahata. On parlait parfois de détails comme les habits des personnes, par exemple, mais surtout de l’histoire, des symboles et des points philosophiques : ce que le film veut vraiment raconter. Il y avait des occasions où je sentais nos différences culturelles. Pour donner un exemple, à un moment donné il y a un feu dans l’histoire et pour lui, le feu avait une valeur symbolique un peu différente que pour moi. Généralement nous étions sur la même longueur d’onde, heureusement, et je trouvais nos conversations fines et passionnantes. Il a beaucoup participé et il est officiellement qualifié en tant que « producteur artistique ». Combien de temps a pris la réalisation ? J’ai commencé en 2007 à écrire le scénario et à dessiner l’animatique, ce qui a pris beaucoup de temps, car c’est là que j’ai découvert que l’histoire ne coulait pas. Pendant plusieurs années, je travaillais en permanence (parfois seul, parfois avec des collaborateurs), mais trouvant que ça prenait beaucoup de temps. Et là, je dois remercier mes producteurs : ils me rassuraient et ne trouvaient pas étonnant que ce soit long, précisant que la phase la plus coûteuse viendrait après et qu’il valait mieux démarrer la production sur une histoire vraiment solide. Il y a des producteurs qui auraient décidé de résoudre l’histoire pendant la phase d’animation pour ne pas perdre trop de temps. Je comprends ça, mais ça aurait été trop risqué avec moi. La production a commencé en juillet 2013, à Prima Linea, à Angoulême. Tout le côté artistique a été assuré par Studio Ghibli, Why Not et Prima Linea où j’ai pu m’appuyer sur un excellent chef animateur, Jean Christophe Lie, le réalisateur de Zarafa. Il avait aussi une vraie sensibilité de réalisateur et il a été un des piliers du film. Extraits d’un entretien avec Bernard Génin, à paraître dans Positif N° 665 (juillet/août 2016) [Source texte : dossier de presse // Visuel : Wild Bunch Studio Ghibli] |
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