La Petite Catherine de Heilbronn aux Ateliers Berthier
Ces cinq actes-là tiennent un peu de tous les genres : feuilleton amoureux à rebondissements, La Petite Catherine est aussi une chronique médiévale, un conte fantastique, un roman policier, une légende de cape et d’épée, un mythe intemporel, un poème mystique, une ballade populaire… un beau voyage dans l’étrange et le magique pour cette période des fêtes ! L’intrigue est folle : Catherine, une jeune orpheline de mère âgée d’à peine seize ans, de naissance modeste, quitte tout, du jour au lendemain, pour suivre sur les routes, sans une plainte et sans un mot d’explication, le Comte Wetter von Strahl. Or rien dans l’existence de la petite Catherine ne laissait présager une vocation de vierge folle ou de fille à soldats… Effaré, son père en vient donc à attribuer des causes surnaturelles à son attitude : selon lui, Strahl doit avoir ensorcelé la malheureuse. Il lui intente donc un procès devant l’imposant Tribunal de la sainte Vehme, afin de le contraindre à rendre compte de ses actes. La pièce s’ouvre sur la première séance du procès, qui voit s’affronter le vieux Théobald et le Comte, qui plaide sa bonne foi et certifie n’avoir jamais vu le visage de Catherine avant une rencontre de hasard qui eut lieu en présence du père. Ce qui est d’ailleurs la stricte vérité. Pourquoi donc, sans que rien ne puisse l’arrêter, la jeune femme s’est-elle précipitée à la suite de Strahl, allant jusqu’à se rompre les deux jambes en se jetant par la fenêtre ?
Contre toute attente, un premier interrogatoire mené par le Comte en personne ne fera qu’aggraver le mystère… On songe à Pascal, notant dans ses Pensées : «je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger». Mais de quoi Catherine porte-t-elle témoignage ? Le sait-elle ? Se pourrait-il que la petite Catherine ait contemplé le visage du bien-aimé en un temps qui ne soit pas de ce monde ? Théobald, qui l’a vue poser son premier regard sur le Comte et tomber aussitôt face contre terre «à ses pieds, comme si un éclair l’avait foudroyée», a peut-être raison de soupçonner l’intervention d’une puissance surnaturelle – mais est-elle nécessairement de nature démoniaque ? La fille d’un simple armurier ne saurait prétendre épouser un aussi noble chevalier – mais s’il fallait pourtant que cela soit, s’il était nécessaire que l’impossible devienne réel ? Pour que l’homme et la femme, ces deux pièces d’un puzzle onirique, puissent se rejoindre, c’est tout un monde qui devra être traversé. Et qui le sera – comme s’il n’en fallait pas moins pour réinventer Eve et Adam.
Texte français : Pierre Deshusses
Version scénique : André Engel & Dominique Muller
Dramaturgie : Dominique Muller
Scénographie : Nicky Rieti
Lumières : André Diot
Costumes : Chantal de la Coste-Messelière
Musique originale : Pipo Gomes
Avec Bérangère Bonvoisin, Evelyne Didi, Hélène Fillières, Jérôme Kircher, Gilles Kneusé, Arnaud Lechien, Claude Lévêque, Tom Novembre, Julie-Marie Parmentier, Fred Ulysse.
Production Odéon-Théâtre de l’Europe
Créé le 10 janvier 2008 aux Ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe.
HEINRICH VON KLEIST
Issu d’une famille de militaires, Heinrich von Kleist fait ses études au collège français de Berlin et à Francfort-sur-l’Oder avant d’entrer dans l’armée prussienne, au sein de laquelle il participe au Siège de Mayence (1793). Il quitte l’armée en 1799. Il confie à sa demi-soeur et confidente Ulrike son intention de dresser “un plan de vie” auquel il entend plier sa vie privée, sociale et intellectuelle, et sans lequel “il est inconcevable qu’un homme puisse vivre”. Il voyage dans divers pays d’Europe. À son retour à Berlin, la lecture de Kant provoque chez Kleist une crise profonde : “nous ne pouvons décider si ce que nous nommons vérité est vraiment la vérité ou si elle nous paraît seulement telle. Dans ce dernier cas, la vérité que nous amassons ici n’existe plus après la mort.”(lettre à sa fiancée Wilhelmine, 22 mars 1801). Kleist adhère avec enthousiasme aux idées de Rousseau. Il rompt ses fiançailles, écrit que les femmes ne comprennent pas le mot “ambition” et qu’il souhaite “mourir bientôt”. Il écrit son Amphitryon, commencé comme une traduction de Molière, qui devient bientôt une oeuvre originale. Kleist obtient un poste dans l’administration. Il achève sa comédie La Cruche cassée. L’armée prussienne est écrasée à Iena (14 octobre 1806). Kleist, ébranlé, rédige la nouvelle Le Tremblement de terre au Chili. Il écrit à Ulrike : “mon système nerveux est détruit”. Soupçonné d’espionnage, il est incarcéré par les Français en 1807 pendant quelques mois au Fort de Joux. Il crée en 1808 la revue littéraire Phœbus, demande la collaboration de Goethe, qui refuse et critique avec sévérité le large fragment de la pièce Penthésilée, contribution de Kleist au premier numéro. La revue, jugée excessivement polémique, cruelle et brutale, est ruinée en un an. Kleist achève la même année La petite Catherine de Heilbronn (“celui qui aime La petite Catherine ne peut passer complètement à côté de Penthésilée, elles forment ensemble le + et le – de l’algèbre”). Puis il rédige La bataille d’Arminius et se plonge dans l’activité politique, jusqu’à la défaite de l’Autriche à Wagram (juillet 1809) où sont anéantis ses espoirs de sursaut national et d’une coalition contre Napoléon. Sa dépression est telle que le bruit de sa mort se répand. Il lance en 1810 un quotidien politico-littéraire, les Berliner Abendblätter. Il y publie des nouvelles et laisse libre court à sa violence patriotique. Ses difficultés avec la censure royale accroissent sa détresse matérielle et morale. Après l’échec de sa dernière pièce Le Prince de Hombourg, qui semble aujourd’hui étrangement classique et sereine, il se suicide le 21 novembre 1811 au bord du lac de Wannsee, près de Potsdam, avec son amie Henriette Vogel. Ses œuvres complètes sont publiées en trois tomes en 1826. Kleist est l’un des rares romantiques qui aient mis pleinement leur pensée en action. La recherche de l’absolu a été sa seule quête dans sa vie publique, littéraire et privée. Sa vie chaotique, faite de passion et de déception aussitôt surmontée (“Tôt ou tard, il faudra que je reparte, tel est mon destin”), d’une densité extrême, est tragique comme la plupart de ses textes, dont il ne faut cependant pas nier la dimension d’humour. Dans la lignée de Shakespeare, il sait à merveille faire entrer dans des canevas classiques la barbarie et le démesuré, le duel éternel du réel et de la subjectivité, l’impossible tentative de dépassement. Chez lui, le rêve n’est jamais un refuge : bien plutôt un ferment de réconciliation avec le réel. L’être doit s’atteindre sans le secours de la raison, qui mène à une impasse, ni de la volonté, souvent stérile.
ANDRÉ ENGEL
Né en France, André Engel a étudié puis enseigné la philosophie. Il fait ses débuts de metteur en scène en 1972, dans le cadre du Théâtre de l’Espérance, associé à Jean-Pierre Vincent, avant de développer ses activités au sein du Théâtre National de Strasbourg. A partir de 1982, il mène une carrière de metteur en scène indépendant. Son répertoire ne se limite pas aux textes théâtraux. Il croise les écrits classiques et contemporains et s’attache à parcourir des sentiers inexplorés. Il déplace le terrain du spectacle hors des théâtres dans des lieux insolites : hangar, haras, hôtel, mine de fer – par exemple dans Dell’inferno, spectacle donné tout d’abord dans une usine désaffectée de la Plaine Saint-Denis en collaboration avec le Théâtre Gérard Philipe en 1982. Il fonde en 1988 le Centre Bilatéral de Création Théâtrale et Cinématographique, financé par le ministère de la Culture et de la Communication, qui lui permet de coproduire la plupart de ses spectacles. Il met en scène entre autres Lulu au Bataclan, d’après Wedekind (Bataclan, Théâtre des Amandiers, 1983), Venise sauvée, d’après Hugo von Hofmannsthal (Maison de la Culture du Havre, Festival d’Avignon, Maison de la culture de Bobigny, 1986), La nuit des chasseurs, d’après Woyzeck de Büchner (Théâtre National de la Colline, 1988), Le livre de Job, d’après la Bible (Théâtre National de Chaillot, 1989), Le Réformateur du monde de Thomas Bernhard (Centre Bilatéral de création, Maison de la Culture de Bobigny, 1990-1991), Légendes de la forêt viennoise d’Odön von Horvath (Maison de la Culture de Bobigny, 1992, spectacle nominé aux Molières 1993 pour la meilleure mise en scène), Le Baladin du monde occidental de Synge (Odéon-Théâtre de l’Europe, 1995). De 1996 à 2004, il est directeur artistique du Centre Dramatique National de Savoie, structure qui a pour particularité de ne pas disposer d’une salle propre, et mène une politique de soutien à la création en partenariat avec les Scènes Nationales d’Annecy et Chambéry. Dans ce cadre, il crée Leonce et Lena de Büchner (spectacle créé à la rentrée 2001 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe qui valut à Eric Elmosnino, dans le rôle de Valério, le Molière de la révélation théâtrale), et plus récemment Papa doit manger, de Marie Ndiaye, créé à la Comédie-Française en 2003, et enfin, toujours à l’Odéon, Le Jugement dernier d’Odön von Horvath (2003, reprise en 2004 : prix du meilleur spectacle décerné par le Syndicat de la critique dramatique). Lorsque l’aventure du CDNS s’achève, Georges Lavaudant lui propose de rejoindre l’Odéon en tant qu’artiste associé. Dans ce cadre, il monte Le Roi Lear aux Ateliers Berthier en 2006. Cette collaboration prend fin avec la création de La Petite Catherine de Heilbronn en janvier 2008. André Engel poursuit par ailleurs sa carrière de metteur en scène d’opéra, dont les jalons les plus récents comptent Don Giovanni (Opéra de Lausanne, 1996, reprise au Théâtre des Champs Elysées en 2006), Siegfried (Scala de Milan, 1997), Der Freischütz (Opéra du Rhin, 1999), The Rake’s Progress (Opéra de Lausanne, 1999 ; Théâtre des Champs-Elysées, 2001), La petite Renarde rusée de Janacek (Opéra de Lyon, 2000 ; Théâtre des Champs-Elysées, 2002), K, d’après Le Procès de Kafka, de Philippe Manoury (Opéra National de Paris ; reprise en avril-mai 2003). Il reprend en 2008 à l’Opéra de Paris Cardillac de Paul Hindemith, créé en 2005, et Louise de Gustave Charpentier, créé en mars 2007. André Engel a reçu en février 1993 le prix Dominique, décerné par un jury composé de personnalités du théâtre.
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