La Double Mort de l’horloger – Théâtre National de Chaillot
Le metteur en scène André Engel, qui a une prédilection pour les auteurs d’Outre-Rhin et notamment Horvàth, réunit ici Meurtres dans la rue des Maures et L’inconnue de la Seine, écrites respectivement en 1923 et 1933.
Dans la première pièce qui se déroule en Allemagne, le meurtrier de l’horloger est un jeune homme perdu qui tente en vain de renouer avec sa famille. Accablé et désespéré, la conscience hantée par son crime, il revient se pendre dans le salon de la maison où l’indifférence règne et où les vivants amorphes cèdent la place au spectre de la victime. L’atmosphère de la République de Weimar s’immisce dans cette demeure au père absent et dont les enfants mal-aimés vacillent entre une mère dépassée et la recherche d’autorité sous les traits d’un fiancé brutal.
Dans la deuxième pièce qui se déroule à Paris, le meurtrier est un jeune homme sans le sou qu’une rupture amoureuse entraîne un peu plus à la dérive. C’est vers celle qu’il a aimée, une fleuriste, qu’il revient en vain chercher de l’aide avant de s’introduire chez le bijoutier pour le cambrioler. Le vol tourne mal et l’assassinat a lieu. C’est alors que surgit une jeune fille de vingt ans, prête à tout pour le sauver au nom de l’amour. Le meurtrier profite de son faux témoignage pour être disculpé avant de retourner chez la fleuriste reconquise. Le calcul de boutiquier à la petite semaine s’entremêle à la trahison de l’amour le plus pur. Le mensonge tranquille des voisins, la prudence bourgeoise des familles, les lâchetés presqu’invisibles des badauds, tout y est pour que monte à travers la rubrique des chiens écrasés l’esprit de collaboration qui facilitera comme on le sait la tragédie de la grande Histoire.
Rouages imbriqués
Le scénographe Nicky Rieti, complice coutumier d’André Engel, organise le plateau avec un enchevêtrement ordonné de maisons et de vitrines de magasins, où l’atmosphère de quartier bon enfant tranche avec ce qui se passe à l’intérieur des murs familiaux. Pour passer d’une ruelle à l’autre ou de l’Allemagne à Paris, les façades mobiles et inachevées sont déplacées et s’agencent au millimètre près comme les pièces d’un puzzle.
Sous les lumières de André Diot, les rouages de la mécanique d’une horloge sont alors projetés en noir et blanc et les détails amplifiés par des scansions musicales déroulent énigmatiquement la machine du temps. En rapprochant et confrontant ces deux pièces, André Engel montre dans une ambiance fantastique et étrange la cruelle répétition des faits divers où les nuances de comportements sont menues. Malgré les effets du temps et en des circonstances différentes, le vieil horloger juif semble en effet voué à être assassiné d’un point à l’autre de l’Europe.
Le diptyque se tient sur une corde sensible avec les mêmes comédiens qui semblent glisser à travers le réel cauchemardesque. Ils jouent sur ce fil en un rythme régulier, donnant finement à entendre les échos d’une pièce à une autre, tendant des passerelles tristes et angoissantes.
L’atmosphère dramatique habilement emboitée, si régulière qu’elle est presque berçante, est juste brisée par la jeune fille qui donne tout son amour au criminel. Frêle, elle éclaire le plateau tel un lumineux grain de sable dans la pénombre du mal qui rôde inexorablement. Le tic-tac inquiétant instauré dans tous les interstices de la mise en scène fonctionne bien mais un défaut de puissance prend le risque d’entraîner le spectateur dans l’engourdissement de ces consciences fantomales plutôt que de le tenir à une distance minimale d’observation.
Isabelle Bournat
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La Double Mort de l’horloger
D’après deux pièces d’Odön von Horvàth
Mise en scène d’André Engel
Avec Caroline Brunner, Yann Collette, François Delaive, Evelyne Didi, Yordan Goldwaser, Jérôme Kircher, Gilles Kneusé, Manon Kneusé, Arnaud Lechien, Antoine Mathieu, Tom Novembre, Ruth Orthmann, Julie-Marie Parmentier, Natacha Régnier et Marie Vialle
Du 17 octobre au 9 novembre à 20h30
Le dimanche à 15h30
Tarifs : de 8 à 33 euros
Réservations : 01.53.65.30.00
Durée : 2 h sans entracte
Théâtre Nationale de Chaillot
1, place du Trocadéro
75016 Paris
M° Trocadéro
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