La Cinémathèque française organise une rétrospective pour rendre hommage à Alain Resnais
Alain Resnais a aussi bien mis en scène les mots de Marguerite Duras que des extraits de chansons populaires, rendu compte des événements historiques de son époque qu’expérimenté les formes les plus ludiques. Il a surtout tissé une œuvre qui permet de repenser la place de l’humain dans le monde moderne.
Contrairement à la plupart de ses contemporains de la Nouvelle Vague, Resnais a fait des traumatismes de son siècle la matière première de la plupart de ses premiers films : les camps dans Nuit et brouillard, la guerre d’Algérie dans Muriel ou le temps d’un retour, le franquisme dans La Guerre est finie… Il l’a surtout fait d’une manière très moderne : non pas en représentant directement les événements mais en témoignant de leur répercussion existentielle sur la nature humaine. Comme l’écrit Serge Daney à son sujet : « Il lui est arrivé cette chose terrible de capter l’événement fondateur de la modernité : qu’au cinéma comme ailleurs, il faudrait compter avec un personnage de plus : l’espèce humaine. Or ce personnage venait d’être nié (les camps de concentration), atomisé (la bombe), et le cinéma traditionnel était bien incapable de rendre cela. Il fallait trouver une forme. Ce fut Resnais. »1
Une forme qui va prendre des aspects très divers et pourrait laisser penser qu’il y a peu de rapport entre le Resnais de Nuit et brouillard et celui des Herbes folles. Mais un fil court tout le long de la filmographie du cinéaste : non pas témoigner d’une réalité ou d’un temps menacé de tomber dans l’oubli mais faire vibrer les possibles de l’existence humaine. Lui-même le confiera à Robert Benayoun : « Malgré tout ce qu’on a écrit à ce sujet, je n’ai pas de fascination pour la mémoire, d’ailleurs je trouve ce mot trop restrictif. Je préfère parler de l’imaginaire ou de la conscience. »
Plus précisément, ce n’est pas que le temps passé ne compte pas chez Resnais, c’est plutôt que le cinéaste, monteur de formation, ne l’envisage pas dans une perspective classique. On cite généralement ses affinités avec le surréalisme ou son amour de cultures de plus en plus ouvertement populaires avec les années, comme le théâtre de boulevard (Mélo), la bande dessinée (I Want to Go Home) ou l’opérette (Pas sur la bouche) pour expliquer sa recherches de formes ludiques, fantaisistes, en tout cas jamais collées à un supposé réel. Avec le recul, on peut se dire que Resnais rejoint aussi les avancées scientifiques les plus modernes, celles de la physique quantique.
Parallèlement à celle-ci, qui remet en question la linéarité et l’irréversibilité du temps, Resnais, de film en film, ne va cesser de substituer la liberté de l’accumulation à la nécessité du choix irrévocable sur laquelle repose habituellement l’art du récit. Dès Hiroshima mon amour, les personnages rejouent, avec des variantes, la même histoire. En ce sens, ils pourraient être comparés à de grands amnésiques, mais dans un monde où la mémoire ne concerne pas tant la sphère du passé que celle de l’imaginaire, et où l’histoire n’est plus relation de faits révolus mais de potentialités activables selon que notre conscience leur prête une attention. Potentialités que Resnais érigera en principe dans No Smoking et Smoking, en filmant les différentes alternatives qu’offre un même point de départ narratif. Resnais a travaillé à ses débuts avec l’un des chefs de file du Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet, qui signe le scénario de L’Année dernière à Marienbad. Mais loin d’exprimer une « ère du soupçon », pour reprendre l’expression de Nathalie Sarraute, Resnais va devenir le chantre de l’ère des possibles. Ses récits démultipliés, ses décors ouvertement artificiels qui rompent l’illusion de réel, ses personnages interrompus par des extraits de films, des réactions de rats de laboratoire et les commentaires d’Henri Laborit dans Mon oncle d’Amérique, ou traversés par des bribes de chansons populaires, dans On connaît la chanson, ne sont pas le reflet d’un monde qui a perdu sa cohérence, mais des appels d’air vers d’autres virtualités.
À la mort, à la vie
« L’Amérique, ça n’existe pas. Je le sais, j’y ai vécu. » Cette phrase de Zambeaux dans Mon oncle d’Amérique illustre bien la brèche entre la réalité et l’existence, dans laquelle peut s’engouffrer la liberté humaine. À condition que le cinéaste sache exploiter les puissances de l’imagination. Et le spectateur celle du hors-champ, particulièrement présent dans le dernier film d’Alain Resnais, Aimer, boire et chanter, qui tourne autour de la mort annoncée d’un certain George, personnage concentrant toutes les attentions mais que nous ne verrons jamais. Tel un trou noir à la force gravitationnelle irrésistible, il aspire les regards mais ne se laisse pas saisir. Car encore une fois, il n’y a pas de réalité à saisir, juste un réel à faire bruisser de ses possibles sans cesse réenvisageables.
L’une des expériences les plus célèbres de la physique quantique est celle du chat de Schrödinger, qui rend compte de la place essentielle de l’observateur. Tant que l’on n’a pas ouvert la boîte où a été enfermé le chat pour voir l’état dans lequel il est, l’animal est à la fois mort et vivant. Quand l’image finale du dernier film de Resnais nous abandonne à la contemplation du cercueil de George, on peut se prendre à repenser à ce chat qui remet en question la frontière la plus infranchissable. Et bien sûr à Resnais, décédé avant la sortie du film et dont on ne cessait de répéter qu’il devenait de plus en plus jeune et facétieux avec l’âge.
Fidèle au monde quantique auquel il a donné corps dans ses films, le metteur en scène de L’Amour à mort nous laisse donc une ultime responsabilité. Non, pas responsabilité, cela ne sied pas à son esprit facétieux et amoral, mais carte à jouer. Celle de concevoir que dans les multiples possibles de la vie, il y a aussi celui de la mort.
[Source communiqué de presse]
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