La BnF présente l’exposition “Baudelaire, la modernité mélancolique”
Le 9 avril 1821 naissait à Paris Charles Baudelaire, que Rimbaud saluera un demi-siècle plus tard comme “le premier voyant, roi des poètes”. La Bibliothèque nationale de France célèbre le bicentenaire de sa naissance par une grande exposition qui plonge au cœur de la création poétique de Baudelaire et de sa modernité, invitant à explorer le rôle capital qu’y joue l’expérience de la mélancolie.
Réunissant près de 200 pièces – manuscrits, éditions imprimées, œuvres graphiques et picturales –, l’exposition offre l’occasion de découvrir, aux côtés des prêts prestigieux dont elle bénéficie, la richesse des collections baudelairiennes de la Bibliothèque, notamment les épreuves corrigées de l’édition originale des Fleurs du Mal et le manuscrit autographe de Mon cœur mis à nu, saisissant autoportrait de la révolte et du déchirement intérieur d’un homme dont l’œuvre a changé le destin de la poésie.
L’exposition de la BnF invite le visiteur à se mettre véritablement à l’écoute de la parole du poète des Fleurs du Mal et du Spleen de Paris, plutôt que de suivre pas à pas les étapes de sa vie. Embrassant les divers aspects de l’œuvre de Baudelaire, elle est avant tout consacrée à son univers poétique et au rôle primordial qu’y tient la mélancolie, “toujours inséparable du sentiment du beau”, comme Baudelaire l’écrivait lui-même. Inséparable aussi de ce qu’il appelait la “modernité” : non la promesse d’un avenir radieux mais la relation vive qu’entretient l’artiste, sommé “de tirer l’éternel du transitoire” (Le peintre de la vie moderne), avec le temps présent. Cette mystérieuse solidarité de la beauté moderne et de la mélancolie, qui est aussi pour Baudelaire une manière d’habiter le monde, guide le parcours de visite. Si les manuscrits, éditions et lettres y occupent une place centrale, les œuvres graphiques et picturales y sont présentes à double titre : pour le rapport historique qui les relient à l’œuvre de Baudelaire – telles certaines des gravures qui ont été à la source de ses poèmes – ; pour la résonance particulière qu’elles entretiennent avec elle et qui permet d’en éclairer la compréhension.
Mélancolie du non-lieu
La première partie est consacrée au sentiment de l’exil si fortement éprouvé par Baudelaire dans sa propre vie et qu’il a lui – même appelé, dans Mon cœur mis à nu, «”a grande Maladie de l’horreur du Domicile” : ainsi son éphémère engagement auprès des révolutionnaires en 1848, ses déménagements incessants, ses relations familiales… Exil et séparation, lieu perdu, séjour impossible à fixer, autant de motifs que Baudelaire développe dans sa poésie, sous trois aspects particulièrement saillants : le thème de la chute, auquel se relie la célébration de la figure de Satan, “Prince de l’exil” ; celui de l’errance (des bohémiens, des saltimbanques et des chiffonniers) ; celui de la partance enfin, entendue comme ce qui fait du voyage un départ sans destination, une pure “invitation”. Animés d’un même “goût de l’infini” (Le poème du haschich), le fumeur d’opium – l’homme des “paradis artificiels” – et la lesbienne – la “femme damnée” – en sont deux incarnations privilégiées.
L’image fantôme
La deuxième partie de l’exposition poursuit l’idée d’une impossible présence au monde, en explorant le thème de l’image telle que la comprend Baudelaire : non pas ce qui donne présence aux choses absentes, mais ce qui avive le sentiment même de leur absence. “Un éclair… puis la nuit !” : c’est la passante, présence fugitive et déjà disparue. Sous cet angle est abordée successivement l’image du monde lointain – l’exotisme baudelairien est la rêverie de tout un monde « absent, presque défunt » (La Chevelure) – et l’image du monde passé, telle qu’elle décide du traitement poétique de la grande ville, et notamment du Paris transformé par les travaux du baron Haussmann, espace où « l’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient ! » (Le Crépuscule du matin). Loin d’avoir quelque vertu consolatrice, l’image redit l’exil du monde, le défaut de l’être, la disparition… Aussi le propos s’achève-t-il sur l’importance particulière qu’occupe l’image de la mort chez Baudelaire.
La déchirure du moi
La dernière partie invite à pénétrer au plus vif de la mélancolie baudelairienne, en l’abordant comme impossible présence à soi-même. L’exposition rappelle d’abord comment la conscience de cette étrangeté à soi a été érigée en critère esthétique qui décide des grandes admirations littéraires et artistiques de Baudelaire, de Chateaubriand à Edgar Poe, de Théophile Gautier à Delacroix, tous représentants de ce qu’il appelait “la grande école de la mélancolie” ; puis elle s’attarde sur ces deux formes de la vie mélancolique que sont d’une part le dandysme, de l’autre l’ironie — “la vorace Ironie / Qui me secoue et qui me mord (L’Héautontimorouménos)” —, telle qu’elle s’exprime notamment dans la théorie baudelairienne du rire et le goût de la caricature.
Ce parcours est encadré d’un prologue et d’un épilogue qui se font écho : l’un qui, exposant la série des lithographies de Delacroix sur Hamlet que Baudelaire avait affichée aux murs de son appartement en 1843, présente le poète tel qu’il s’est vu dans le miroir du héros shakespearien, prince dépossédé, écrasé sous le poids de l’idéal et la conscience du néant ; l’autre qui, rassemblant portraits photographiques et autoportraits dessinés, présente Baudelaire au miroir de lui-même — “Tête-à-tête sombre et limpide / Qu’un cœur devenu son miroir !” (L’Irrémédiable).
[Source : communiqué de presse]
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