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L’art urbain sort de la rue avec Franck Le Feuvre

23 septembre 2015
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L’art urbain sort de la rue avec Franck Le Feuvre

Art média Agency

logo-lefeuvre copieDirecteur artistique de 8e Avenue, salon fraîchement éclos dont la première édition se déroule du 22 au 26 octobre 2015, Franck Le Feuvre est le directeur et fondateur de la Galerie Le Feuvre, à Paris. Comme sa galerie, le salon fera la part belle à l’art urbain, trop souvent tenu à l’écart des célébrations marchandes de l’art contemporain. Avec des artistes tels que Mist, Sowat, Sixe Paredes ou encore JonOne et Invader, la galerie de Franck Le Feuvre est un pilier du marché de l’art urbain. Art Media Agency est parti à la rencontre de ce fervent défenseur d’un art en pleine ascension.

Pouvez-vous expliquer votre parcours à travers l’art urbain ?
J’ai ouvert la galerie en 2005 avant de rencontrer JonOne, deux ans plus tard, alors qu’il n’était pas encore connu du grand public. Tandis que nous préparions une exposition, plusieurs de ses œuvres proposées chez Artcurial ont atteint des prix impressionnants. Notre exposition a eu un succès phénoménal ! Nous avons vendu toutes ses œuvres à des prix plus élevés que ceux des œuvres qu’il avait pu vendre auparavant. Alors d’une part, cela nous a fait connaître et d’autre part cela nous a permis de gagner en crédibilité auprès d’autres artistes urbains ainsi que de rassembler une belle équipe dont j’ai l’exclusivité en France.

Comment avez-vous rejoint l’équipe de 8e Avenue ?
J’avais d’abord participé à Art Élysées comme exposant. C’était une belle opportunité : nous avions bien vendu et rencontré beaucoup de collectionneurs. Cependant, le salon proposait essentiellement du second marché et de l’art moderne ce qui n’était pas vraiment en lien avec notre activité. Alors quand l’un de mes collectionneurs m’a parlé du salon 8e Avenue, principalement consacré à l’art urbain, je me suis naturellement rapproché de l’équipe. Par la suite, le poste de directeur artistique m’a été proposé.

Quelle est la spécificité de ce salon ?
Bien que de l’art contemporain sera présenté à 8e Avenue, le salon est surtout consacré à l’art urbain, généralement peu visible sur les foires et les salons habituels. Cependant, il ne s’agit pas de se contenter de mettre en avant des graffitis parce que c’est à la mode. Nous souhaitons vraiment donner un aspect qualitatif à ce salon. Le lieu le mérite et nous bénéficierons d’une grande visibilité, tant vis-à-vis du grand public que des collectionneurs. L’événement entend s’adresser davantage à ces derniers que les festivals d’art urbain. Ainsi, nous voulons privilégier le tableau, plutôt que le mur ou d’autres supports moins conventionnels comme on peut en trouver dans les festivals.

En quoi consiste votre poste de directeur artistique ?
Nous avons sélectionné un certain nombre de galeries en France et à l’étranger. Bien entendu, cela se fait toujours de façon collégiale. Dans un premier temps, il s’agissait de leur faire savoir que l’on existe. Dans un second temps, nous avons sélectionné les artistes et défini les accrochages avec les exposants, en termes d’esthétique comme de présentation.

Comment sélectionnez-vous les galeries et les artistes ?
Nous formons déjà un petit réseau de galeries d’art urbain dans lequel nous nous connaissons tous, au moins de réputation et de visu. À partir de là, nous avons retenu plusieurs galeries intéressantes. Le salon doit être à la fois crédible aux yeux du grand public, du collectionneur en général et enfin du collectionneur d’art urbain. Cela n’était pas évident, d’autant moins que les galeries que nous approchions n’étaient pas forcément disponibles ou ne souhaitaient pas nécessairement participer. Elles ont souvent d’autres engagements, qu’il s’agisse d’autres salons ou d’expositions. Donc le travail est double. Mais la plupart des principales galeries d’art urbain étaient intéressées par l’événement. La concomitance avec Art Élysées et la FIAC ainsi que l’adresse elle-même font de 8e Avenue un spot de premier ordre.

Est-ce que vous défendez une ligne artistique et économique spécifique ?
Oui. Nous souhaitons sélectionner des galeries qui ont une véritable activité de galerie, c’est-à-dire qui présentent différents artistes urbains tout au long de l’année et ne craignent pas de prendre des risques. Beaucoup de galeries ont représenté et représentent des artistes avant qu’ils ne deviennent célèbres. Ce sont des personnes courageuses et qui gagnent peu d’argent — contrairement à ce que l’on pense — mais qui défendent des artistes dont elles estiment le travail et qui investissent à long terme. Il faut savoir que toute cette période de mise en lumière des artistes coûte cher et n’est pas forcément rentable. Même si un artiste ne se vend pas très bien aujourd’hui, il peut être intéressant demain. Mais pour se permettre ce luxe « utile », il faut aussi des artistes plus confirmés, pour faire rentrer de l’argent. Le salon rassemble ainsi quelques grands noms en plus des artistes que les galeries défendent toute l’année. Mais quelle que soit l’importance de l’artiste, nous privilégions les solo shows afin de présenter le meilleur de chaque artiste. Le collectionneur y est très sensible.

Comment décririez-vous l’identité de votre galerie ?
Le but de notre galerie est d’établir une passerelle entre les collectionneurs d’art moderne et contemporain au sens large et les artistes urbains. Nous représentons des artistes aussi célèbres que Mist ou Ella & Pitr — que nous sommes partis chercher dans la rue à l’époque. La galerie a également eu l’exclusivité d’Invader pendant cinq ans, de 2009 à 2014, ce qui nous a ouvert beaucoup de portes. En plus des Français, nous aimons également les Suisses et les Allemands pour leur côté très graphique et net, ainsi que les Britanniques et leur aspect plus underground. Dans tous les cas, nous préférons représenter et défendre un artiste sur le long terme, parce que nous l’aimons et croyons en son travail, plutôt que de chercher ceux qui font le buzz. De même, nous veillons à fidéliser des collectionneurs sérieux plutôt qu’à en attirer beaucoup avec des stars.

Comment trouvez-vous vos artistes ?
Quand c’est le cas, je n’hésite pas à dire aux artistes que j’aime leur travail. À l’exception d’un ou deux que nous sommes allés chercher chez nos confrères, ils viennent donc nous voir d’eux-même. Cela se fait toujours en douceur. Par ailleurs, nous ne cherchons pas à multiplier les artistes, car nos locaux ne sont pas immenses. Le but est de bien mettre en valeur ceux que nous représentons.

Avez-vous l’exclusivité de vos artistes ?
En France, nous avons l’exclusivité de tous nos artistes, à l’exception de JonOne qui souhaite être représenté par plusieurs galeries. Cette exclusivité permet de mieux contrôler la qualité des œuvres sur le marché. Il faut savoir qu’un artiste qui se fait remarquer est très sollicité, notamment par des marchands d’art qui chercheront à mettre ses œuvres en maison de ventes. Ce genre de pratique peut très vite ruiner la carrière d’un artiste. Nous veillons à ce que nos artistes ne s’engagent pas sur cette voie. Mais l’exclusivité ne leur interdit pas de collaborer ponctuellement avec d’autres galeries.

Vous allez bientôt réaliser une exposition de l’artiste espagnol Sixe Paredes. Pouvez-vous en dire quelques mots ?
Effectivement, nous consacrons une exposition à Sixe Paredes [du 23 septembre au 23 octobre 2015], un des plus brillants artistes urbains du monde — il a notamment réalisé le mur de la Fondation Miró, à Barcelone —, juste avant 8e Avenue. Sixe est un personnage incroyable, entre Supermario et Luigi. Je l’ai rencontré en 2009, lors d’une exposition du Brésilien Nunca. Pendant toutes ces années, je lui ai envoyé des petits mots d’amour jusqu’à ce que l’on se mette d’accord pour cette belle exposition. Il a carte blanche, donc je ne sais pas ce qu’il va faire.

Comment l’art urbain s’est-il développé sur le marché ces dernières années ?
Je pense que l’art urbain est un peu plus que dans l’air du temps. C’est le seul courant artistique actuel qui parvient à déplacer les foules. Contrairement à l’art conceptuel, généralement très élitiste, l’art urbain concentre l’aspect plastique et la dimension contemporaine. L’adhésion, si elle se fait, est plus immédiate. Elle ne nécessite pas de maîtrise en philosophie. L’art urbain, c’est de l’énergie pure. Aujourd’hui, avec des artistes comme Banksy, Invader ou JR, on ne peut littéralement pas passer à côté.

Quels sont les différents profils de collectionneur d’art urbain ?
À mon sens, il existe trois catégories, toutes indispensables. Nous vendons d’abord à l’amateur, qui se fait plaisir quand il voit une œuvre qui lui plaît. Ils constituent une clientèle non négligeable, pour tout type de galerie. Nous nous adressons également à l’investisseur, qui a compris que l’art urbain n’en est qu’à ses débuts et que certains artistes vaudront cher plus tard. Enfin, la galerie et les artistes reposent principalement sur le collectionneur. Passionné, il suit le travail de quelques artistes, se déplace et communique, mieux que quiconque, auprès de la presse et des autres collectionneurs. Il faut le « bichonner ». Par ailleurs, nous attirons beaucoup de collectionneurs d’art moderne et même d’art impressionniste. D’autres entrent dans l’art contemporain par l’art urbain. Le jour où les organisateurs des grands salons auront compris cela, ils toucheront un public bien plus large.

Certains pays sont-ils plus ouverts à l’art urbain ?
Il me semble que la France est assez tolérante. Un peu comme avec les jazzmen américains autrefois : c’est ici qu’on peut vraiment faire bouger les lignes. Le Royaume-Uni a un important fan club pour les éditions et sérigraphies — qui se comptent certes en centaines de milliers de personnes. L’Allemagne est en train de s’ouvrir. Ensuite, l’art urbain se vend très bien à New York et à Los Angeles. Mais je pense que — l’argent étant indissociable de l’art, il faut le dire — nous ferons entrer l’art urbain de plein pied dans l’art contemporain lorsque des artistes atteindront des prix très élevés, comme c’est déjà le cas de Basquiat ou de Keith Haring.

Avez-vous déjà été approché par des institutions ?
Pas en France, en tout cas. Nous avons été approché par la Sam Francis Foundation à la suite d’une exposition conjointe Sam Francis / JonOne. Mais globalement, c’est un circuit parallèle qui nécessite beaucoup de patience. Personnellement, je préfère me concentrer sur les collectionneurs. Encore une fois, je pense que lorsque les œuvres atteindront des prix de l’ordre de 300.000-400.000 €, les institutions manifesteront plus d’intérêt.

Comment se positionnent les artistes urbains par rapport à cette friction entre un art subversif public et la nécessité de vendre ?
Certains le vivent bien, d’autres très mal. Je m’intéresse plutôt à ceux qui passent le cap de l’aspect underground. La rue est la plus grande scène qui existe, mais il faut savoir en sortir si l’on veut vendre. Certains artistes ne se cachent pas de vouloir atteindre le sommet. Mais ne nous leurrons pas, en art comme en cuisine, il faut une sacré niaque pour y arriver. Certes ils ont tous du talent, mais il faut travailler énormément pour réussir.

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