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Jef Aérosol – interview – novembre 2012

22 novembre 2012
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Pour vous qu’est‐ce qu’un artiste contemporain urbain ?

Un artiste ? C’est un artiste. Contemporain ? Car il est toujours vivant. La plupart du temps on met des artistes dans des tiroirs.
Street art ? c’est dans la rue. Urbain ? ou « land art urbain » ? moi j’aime bien le terme « art in‐situ » pour parler de ce qu’on fait dans la rue. Ca résume un peu tout. Un travail qui tient compte du contexte et pour moi tout est là. Lorsqu’on travaille sur un format, (une toile, un tableau …) le contexte est changeant et cela n’est pas le fait de l’artiste. Quand on fait un tableau on n’utilise pas ce qu’il y a à l’extérieur des quatre angles. Il faut donc réussir à coincer entre quatre lignes tout ce qu’on a envie de raconter, comme l’émotion du monde par exemple, en ne tenant aucun compte de ce qui pourra se passer en dehors de ce format. Alors que lorsqu’on travaille in‐situ (rue, nature, appartement, friche, vêtement…), on travaille en tenant compte et en partant du contexte. On n’est plus dans un format fermé, on est au contraire dans quelque chose de plus large et c’est cela qui va devenir la sève du travail. L’image se révèlera différemment si elle est incluse dans un format ou dans un contexte. Tout ça fait la valeur de la peinture et un certain nombre d’artistes ont choisi depuis longtemps de travailler sur ce support, in‐situ, et l’existence du muralisme n’est pas toute jeune.
Ce qui fait jour, plus récemment c’est une expression plus urbaine peut‐être parce qu’elle se nourrie de ce qui se passe dans les villes et les quartiers, de tous les malaises sociaux et de tout ce qui ne se passe pas très bien.
 Une invention a finalement tout révolutionné : la bombe aérosol permettant de peindre rapidement, de sortir des ateliers et presque d’avoir dans la poche transporter tous ses outils qui permettent de travailler vite fait, bien fait. L’étiquette de l’artiste urbain je ne la refuse pas mais en même temps aucun artiste dit urbain n’a lui même inventé cette étiquette.

Est‐ce qu’on peut qualifier votre art de graffiti ?

Ce qu’on appelle le graffiti c’est un signe qui est apposé avec un outil que l’on a sous la main sur un support qui en principe n’est pas prévu pour ça et cette démarche inclus le fait qu’on dégrade le matériau qu’on utilise et qu’on le fait parfois contre les interdictions. La notion d’illégalité entre en compte.
La bombe aérosol a permis de continuer à faire ces signes. Elle a même donné une visibilité plus importante.
Dans ce sens ce que je fais, puisque quand j’ai commencé à faire des pochoirs on disait que l’on faisait des bombages, c’est simplement une suite de la lignée du graffiti, j’utilise la bombe comme les graffeurs. La plupart du temps le geste artistique est un geste voulu. Mais après, qui est artiste ? Qui souhaite l’être ? Qui se revendique de l’être ?

Vous considérez-vous comme un artiste ?

Oui, je suis un artiste, je produis et je vends des toiles. Oui, je me dis même artiste avec un petit a. Je pense que l’artiste quelque soit son domaine se doit d’avoir un peu d’humilité, comme le disait Warhol « je suis profondément artificiel », c’est à dire que l’égo de l’artiste est forcement un peu surdimensionné mais en même temps, cela ne doit jamais être cet égo qui sert de moteur à la création. Regardez le mot exposition, en anglais on dit « exhibition ». Dans le terme « exhibition » on est forcément un peu exhibitionniste, on montre une part de soi même. Et le fait de signer, de mettre son oeuvre en avant c’est une part d’exhibition. Mais elle ne doit en aucun cas faire que l’artiste se sente supérieur à autrui. On n’a pas forcément plus d’importance que quelqu’un qui va rester dans l’ombre. L’egocentrique n’est pas forcément égoïste. On centre les choses autour de soi‐même mais cela ne veut pas dire qu’on ne s’intéresse pas à l’autre. Certains artistes utilisent l’égo comme moteur de leur travail (comme Dalí ou Ben par exemple) et certainement que sans cet égo ils n’auraient pas créé leur œuvre. En ce qui me concerne je ne réfute pas la lignée avec le graffiti et j’assume le fait d’être un artiste.

Quels thèmes abordez-vous ?

Mon travail tourne autour de l’être humain. Je travaille sur les gens, en particulier les regards et l’expression.

Etes‐vous un artiste indépendant ? Pour vous la rue appartient‐elle à tout le monde ?

Je suis complétement indépendant. Je n’ai aucun contrat avec les galeries avec lesquelles je travaille. Je respecte les codes de déontologie bien sûr mais sinon je suis totalement indépendant comme la plupart des artistes d’aujourd’hui. La rue appartient à tout le monde ? Oui et non. La propriété privée existe et je la respecte. Je ne travaille pas comme un vandale. En règle générale je ne travaille pas sur les maisons particulières propres et entretenues tout comme je ne m’attaque pas aux biens publics et au mobilier urbain.
Sinon après il y a également les maisons en démolition, les lieux non entretenus… c’est lieux donnent des libertés. Pour travailler sur les monuments historiques, je travaille à base de collages afin de pouvoir faire disparaître le travail rapidement et simplement. Jamais je ne mets de peinture sur les vieilles pierres, sur le patrimoine. Après il y a tellement d’autres lieux qui peuvent se prêter à un travail in‐situ sans qu’on aille contre les lois et sans attaquer la propriété privée qu’il reste de la place pour s’exprimer.

Finalement votre travail est un travail éphémère non ?

Par définition, oui, le travail dans la rue est éphémère. Le travail va rester plus longtemps si on l’a fait dans un cadre officiel, avec autorisation. Mais ça peut aussi arriver qu’un travail dans un petit coin puisse se retrouver, avec surprise, 10 ans plus tard ! A coté de ça certaines choses disparaissent dès le lendemain. Cela fait partie de la règle lorsqu’on travaille dans la rue.

Est‐ce que l’entrée des réalisations de la rue sur le marché de l’art n’est pas en contradiction avec la démarche initiale de votre art ? Dans quels buts cette entrée s’est‐elle faite ?

En ce qui me concerne, j’ai exposé avant de travailler dans la rue et mes premières ventes dates de 1985‐1986. Ma première exposition date de 1986 à la galerie Agnès B. Pour un artiste faire des toiles et les vendre ça existe depuis des centaines, voir des milliers d’années ! Il n’y a rien de nouveau là‐dedans. Un artiste qui travaille dans la rue peut donc créer des toiles. Je n’arrive pas à comprendre où est la contradiction que les gens cherchent en me posant cette question et vous n’êtes pas le premier à me la poser !
La rue est un moyen de toucher tout le monde, une volonté de faire du Pop Art (au sens étymologique du terme) gratuit. Mais après on est un artiste, on fait des toiles et on décide ou non de les vendre par la suite. Je ne connais personne qui fasse de l’art son métier sans vendre des toiles. Je ne fais pas du tout la même chose sur toile et dans la rue. Un accrochage dans une galerie est pour moi un travail in‐situ mais après l’acquisition de la toile cela ne me regarde plus. En ce qui concerne les gens qui s’expriment dans la rue et qui font une sorte terrorisme, ils se servent finalement de la bombe aérosol comme d’une arme. Ces personnes là ne se revendiquent pas comme des artistes et n’ont aucune raison d’aller vendre des toiles dans les galeries.

De quel(s) message(s) êtes‐vous porteur ?

Mon travail, c’est un miroir, donc les gens en le regardant se voient eux‐mêmes. On passe très très peu de temps sur cette terre, il faut réussir à vivre ou à survivre, il faut faire avec. Et pour les artistes, nos images nous permettent d’exprimer ce que les mots ne suffisent pas à dire, un rêve. Mon message, moi, c’est restons enfant jusqu’à la mort. Essayons de vivre les uns avec les autres. On est un peu des gamins attardés nous les artistes. Ca devient vite bisounours de vouloir expliquer le message que l’on porte. Mais justement l’intérêt de faire des images c’est de ne pas à avoir à résumer en une phrase. Même dans les périodes où tout va mal l’art reste un lien social. Dans les pays où on ne peut plus créer justement là où la population est opprimée, parfois un simple coup de crayon a plus de prix qu’un bout de pain. L’art et la création peuvent nourrir peut-être plus que la nourriture terrestre. C’est à la fois inutile et indispensable tout en n’oubliant pas les fondamentaux bien entendu.


Par curiosité, pour cette flèche rouge ?

Alors si quelqu’un vous posez la question et que vous ne me connaissiez pas que diriez‐vous vous ?

Vous inversez les rôles ! Je dirais… une marque de reconnaissance ? Une invitation à se recentrer sur l’œuvre vers un détail ? Et aussi un apport du rouge plein de sens dans des œuvres en noir et blanc ?

Je n’ai pas plus de réponse que vous et celle que vous venez de formuler n’est pas mal du tout, je vais l’ajouter aux 90 353 autres interprétations. Il faut une part d’indicible dans l’œuvre. Il faut garder une part de mystère, et cette flèche je peux le dire, n’est pas née d’une réflexion mais maintenant je ne peux plus m’en séparer. Tout le monde a raison dans son interprétation finalement. Elle est détestable ? Magnifique ? Au centre de mon travail ? Vous avez peut‐être raison, elle est peut‐être la plus importante dans mon travail. Un lien entre la signalétique de la rue, les lignes des villes et les courbes humaines ?
Rouge : le sang ? L’interdit ? Pas bête. Les œuvres d’art appartiennent à ceux qui les regardent.

Pour vous, quel avenir pour notre art ?

Si je le savais je m’appellerai Nostradamus. Tant qu’il y aura des hommes sur la terre ils essayeront de rendre la vie meilleure en créant de l’inutile indispensable. L’art urbain est un pont incroyable entre les gens. Grâce à internet, les origines différentes se rencontrent et communiquent. Les gens qui ne connaissaient pas l’art peuvent s’y intéresser librement. Ceux qui n’osaient pas franchir les portes des galeries peuvent y entrer à présent.
On aplanit tout et ça va continuer. On continue à s’intéresser au patrimoine gardé dans les musées mais en même temps on mélange tout (la publicité, les médias, la peinture gratuite, rebelle, autorisé). Tout se mélange et c’est très bien ! L’image reprend sa place, celle qu’elle n’aurait jamais du quitter : le prolongement de l’âme humaine. On abat enfin toutes les barrières entre toutes les catégories sociales différentes. C’est pour ça que je pense que le A de l’artiste doit devenir minuscule alors qu’il a toujours été majuscule. Bien sur il y aura toujours des grandes stars de l’art mais en même temps il faut garder la tête froide.

Propos recueillis par Steven Vandeporta

A découvrir sur ARtistik Rezo : 
Interview de Jef Aérosol par Sophie Pujas (juin 2012)

[Visuels : Jef Aerosol, 2012. 60×60 cm. Pochoir sur toile. Courtesy galerie Magda Danysz]

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