Investir le paysage : entretien avec Peter Murray, CBE, fondateur du Yorkshire Sculpture Park
Le 19 juin 2014
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Le 19 juin 2014
Peter Murray, CBE (Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique), a fondé le Yorkshire Sculpture Park en 1977. Ce qui était à l’origine un modeste ensemble de sculptures est aujourd’hui l’un des plus célèbres parcs d’œuvres sculpturales en Europe, réunissant des travaux des artistes les plus renommés — parmi lesquels Barbara Hepworth, Henry Moore et Antony Gormley — aussi bien à travers des installations permanentes en plein air, qu’avec un vaste programme d’expositions. Cette saison, le YSP accueille les œuvres de l’artiste américaine Ursula von Rydingsvard et d’Ai Weiwei : deux événements majeurs qui attirent et intéressent un public international. Ouvert depuis 37 ans, le parc continue d’attirer des artistes toujours plus importants, une dynamique que Peter Murray tente de prolonger chaque année. AMA s’est entretenu avec le fondateur, qui est revenu sur son parcours et nous a fait part de ses futurs projets pour le Yorkshire Sculpture Park.
Vous êtes à Bretton Estate à proximité de Wakefield, dans le Yorkshire. Pourquoi avez-vous choisi ce lieu ? Et comment expliquez-vous le succès rencontré ?
C’est un paysage très beau, et très varié. Lorsque nous avons commencé, nous ne possédions pas le terrain, mais nous en sommes désormais propriétaires et nous gérons près de cinq cents hectares. La diversité de cet espace est assez étonnante, nous avons deux lacs, de grandes forêts, de larges prairies et des collines. Nous avons aussi des espaces aménagés, jardins et terrasses. Il est conçu dans le style de Capability Brown (ndlr : architecte-paysagiste britannique 1716-1783), bien qu’il ne s’agisse pas de l’une de ses créations. Mais, c’était une affaire familiale. Les familles qui ont possédé ce domaine étaient responsables, donc – dans un sens —, cela a conservé cet esprit et c’est idéal pour exposer des sculptures.
Le YSP a été fondé en 1977 : quelles ont été les grandes étapes de son développement ?
En 1977 je travaillais, j’enseignais encore, et on nous a donné la permission de mettre un peu de sculptures dans une très petite partie du terrain. Nous n’avions pas de personnel, nous n’avions pas d’argent, nous n’avons pas reçu de public. À cette époque, le parc n’était pas ouvert au public, il s’agissait d’un collège privé. Nous avons créé le parc de sculptures comme une association caritative indépendante et, même si elle a été mise en place à partir du collège, nous avions notre autonomie par rapport à celui-ci. C’était très important. L’évolution a tout d’abord été très lente, mais au fil des années, nous avons obtenu du soutien. Nous avons été aidés financièrement par l’Arts Council et nous avons acquis plus de terrain. Le College n’est plus là, il faisait partie de l’Université de Leeds et ils ont déménagé leur campus. Ainsi, lentement mais sûrement, nous nous sommes étendus : soit grâce aux dons de terrains, soit à travers des acquisitions. Au fil du temps nous avons commencé à attirer du public, nous avons obtenu de l’argent — nous disposons d’une infrastructure très forte maintenant —, nous avons de très beaux espaces couverts, et nous employons environ 150 personnes et sommes devenus un acteur économique important de la région. Par ailleurs, nous avons travaillé avec des centaines d’artistes au fil des années et nous avons acquis une réputation considérable aussi bien au niveau national qu’international.
Avez-vous observé un changement dans la manière dont les gens perçoivent les sculptures depuis l’ouverture du parc en 1977 ?
Absolument [rires] ! Lorsque nous avons commencé tout cela, personne ne s’y intéressait. En fait, il y avait de nombreux opposants, parce que nous étions en train de mettre des sculptures dans un paysage du XVIIIe siècle. Vous devez vous rappeler qu’il s’agissait de la fin des années 1970 et du début des années 1980.
La sculpture publique n’était pas très populaire dans le pays, et nous devions nous créer un public. Mais, nous nous sommes également impliqués dans l’éducation — cette volonté est au cœur de ce que nous faisons. Cela fait une grande différence, mais je pense qu’aussi bien au niveau national qu’international, le regard sur la sculpture a changé. Certes, ici, nous sommes passés d’une image négative à une vision très positive sur ce que nous faisons. Nous obtenons un soutien extraordinaire du public maintenant, ce que nous n’avions pas lorsque nous avons commencé. Un bon exemple est le fait que, sur les trois dernières années, nous avons été désignés deux fois par le public comme l’« activité la plus magnifique » du Yorkshire. Donc, je crois que cela donne une idée de notre popularité et également du changement de perception du public au cours des dernières années. Désormais, les gens viennent du monde entier pour découvrir le Yorkshire Sculpture Park, ce qui est formidable pour cette partie du pays.
Vous avez parlé d’éducation, un aspect important du YSP…
Oui, nous accueillons plus de 40.000 enfants chaque année, auxquels s’ajoutent des étudiants. Ce matin, lorsque j’ai voulu garer ma voiture, je pouvais à peine entrer ! Nous travaillons également avec des adultes et organisons des ateliers de sculpture publique, des visites et nous travaillons avec des personnes issues de milieux défavorisés. Notre équipe pédagogique est fantastique, ils travaillent avec le NHS (National Health Service), et nous faisons tout notre possible pour rendre l’art accessible. Nous ne faisons aucun compromis en termes de programmation — nous aimons à penser que nous sommes dans le vrai — et nous mettons en avant ce que nous considérons comme important en termes d’art, mais nous prenons la responsabilité de proposer un accès ouvert à nos programmes.
Pensez-vous que la sculpture est plus accessible que les formes d’art plus traditionnelles ?
Je pense que oui, il faut être très prudent avec ce type de généralisation sans aucun travail de recherche. Mais, je crois que c’est possible, surtout dans un endroit comme ça. Tout d’abord, c’est une atmosphère très détendue dans laquelle vous pouvez voir l’art contemporain. Certains des projets que nous avons sont très exigeants, mais l’environnement y est tout de même très décontracté. Ce que nous pouvons offrir aux sculptures — que les galeries n’ont pas — c’est l’espace, et je pense que c’est vraiment nécessaire. La plupart des sculptures, pas toute la sculpture, mais la plupart, sont en trois dimensions, il s’agit donc d’une sorte d’expérience kinesthésique. Quand vous venez de la voir, vous devez vous déplacer autour de la sculpture, et souvent les galeries n’ont pas un espace suffisamment grand pour cela. Mais ici, nous avons de l’espace et les gens ont la possibilité de se déplacer autour de la sculpture, de la voir sous différents angles, de comprendre ses qualités tactiles, de la voir en relation avec la nature. Ils ont également l’occasion de créer des choses ici, alors que dans les écoles, ils ont très peu d’occasions de faire de la sculpture.
Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs le processus d’organisation d’une exposition de sculptures ? Comment sélectionnez-vous les artistes et œuvres que vous allez présenter ?
Nous avons une équipe de conservation très talentueuse, et nous faisons beaucoup de recherches sur ce qui se passe dans le monde : en France, en Allemagne, au Japon, en Chine, et ainsi de suite. Certains d’entre nous voyagent un peu et nous sommes invités dans toutes sortes de lieux et d’événements. Nous essayons de garder un œil sur ce qui se passe dans le monde de l’art à l’échelle mondiale. Nous voulons aussi essayer d’obtenir un équilibre entre les artistes bien établis et d’autres plus jeunes. Nous voulons aussi examiner les moyens de présenter des artistes majeurs de différentes manières, de sorte que vous puissiez réexaminer leur œuvre. Par exemple, il y a deux ans, nous avons eu une exposition très importante consacrée à Miró. Les gens m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu les sculptures de Miró de cette façon. C’est très important pour moi : rappeler la grandeur de certains de ces artistes. Mais vous pouvez également essayer de les présenter dans un contexte légèrement différent. L’autre chose qui est cruciale, en termes de programme, est de trouver les moyens de soutenir les jeunes artistes, parce que c’est l’avenir. C’est très important pour nous en termes d’innovation, d’énergie et de vision nouvelle.
Si vous deviez choisir une exposition – ou une installation permanente – parmi les centaines présentées par l’YSP au fil des années, il y en a-t-il une qui vous a particulièrement marqué ?
C’est tellement injuste ! Vous ne devriez pas me demander cela. C’est délicat : je pense souvent à cela. Je suis assis dans mon bureau en regardant par la fenêtre une sculpture de Miró que j’aime, mais nous essayons de faire encore mieux chaque année. Nous essayons constamment de nous d’améliorer nos expositions, d’améliorer la manière dont elles sont présentées. Mais, je pense qu’en termes d’expositions, l’exposition Miró ne sera probablement jamais égalée.
Nous exposons actuellement Ursula von Rydingsvard, une artiste américaine qui n’est pas vraiment connue en Europe. Nous venons d’ouvrir cette exposition et c’est tout à fait étonnant. Nous avons également une installation d’Ai Weiwei dans la chapelle, qui est assez émouvante. C une chose merveilleuse. En matière de travaux permanents, nous avons The Family of Man de Barbara Hepworth qui a été avec nous presque depuis nos débuts et qui est tout à fait fantastique. Barbara Hepworth est née à Wakefield, où se trouve le YSP. Il s’agit donc de pièces fondamentales pour nous. L’autre est James Turrell, son Skyspace dans un ancien abri pour les cerfs reconverti, qui fait partie de mes œuvres favorites.
Il y a-t-il des œuvres que vous voudriez voir exposées au YSP et qui n’y sont pas encore ?
Alexander Calder — c’est ce que j’adorerais avoir ici. J’essaie désesperemment d’organiser une exposition ou au moins d’obtenir quelques sculptures que nous pourrions présenter en plein air.
YSP est cette année finaliste de l’Art Fund Prize for Museum of the Year : quelles sont vos souhaits pour le futur du parc ?
Le résultat sera connu le 9 juillet et si nous gagnons, cela serait formidable. Mais, si ce n’est pas le cas, la vie continue. Notre préoccupation principale pour les deux prochaines années est de pouvoir faire face aux coupes budgétaires décidées par le gouvernement, mais nous voulons continuer à étendre et affiner notre programme d’exposition, mais aussi à soutenir les artistes et l’accès libre. Nous souhaitons également continuer à investir dans nos terrains : bien que nous ayons beaucoup d’espaces d’expositions couverts, nos 500 hectares demandent de l’entretien. Nous devons continuer à investir et encourager les artistes — comme David Nash, Richard Long, Andy Goldsworthy — à être stimulés par ce paysage.
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