Indian Spring – Galerie Albert Benamou
Mais qu’est-ce que Baroda ? Une ville de maharadjahs ? Oui, mais ça, c’est de l’histoire ancienne. Avec ses 2,2 millions d’habitants, Baroda n’est pas non plus une très grosse ville pour l’Inde, mais c’est une ville du Far West. Située dans le Gujarat, l’Etat le plus à l’ouest de l’Inde, elle subit les secousses d’une croissance économique de 11%. Il faut y aller pour le croire. Des immeubles à peine terminés sont pris d’assaut par des hommes et des femmes et leurs ordinateurs, les architectes n’ont même pas le temps d’habiller les façades. Tout est brut de béton. L’impression d’un gros bourg qui aurait muté dans la nuit. Les bas-côtés des routes sont en terre battue, défoncés. Partout des rickshaws et des scooters foncent ouvrant leur chemin au klaxon. Les sociétés Areva, Alsthom et Siemens y ont élu domicile. La pollution dépasse tous les seuils autorisés – pétrochimie, pharmacie et textiles.
Saris, plastiques et objets transformés
Lochan Upadhyay, lui, a vite compris où se situer. Pour nourrir son travail, il lui faut retourner régulièrement à Partapur. Il a besoin de son village natal et de ses habitants. Parce qu’il sait que, là aussi, dans ce village au fin fond de nulle part, il est au centre du monde. C’est ça la nouvelle modernité : sortir sans crainte des circuits balisés. Inventer ses propres réseaux. Etre de plain pied avec la mondialisation. Avoir intégré toutes les questions esthétiques de l’Occident et les coups du marché international de l’art, et désormais vivre en regardant la Chine, la Corée, Bangkok. Là où ça bouge tout autant. Les très jeunes artistes indiens sont déjà ailleurs. Dans un ailleurs dont l’Occident n’a pas encore mesuré l’ampleur. Si Lochan éprouve l’urgence d‘être habité, porté par les traditions qui fondent encore solidement la société rurale, il laisse son travail être envahi par l’âcreté de la pollution, la laideur des déchets et le fol optimisme économique qui gagne même les campagnes. Il est l’enfant de cette Inde à l’économie furieuse. Il n’en a pas peur. Dans sa tête, ça mixe, ça recycle, et quand sa pensée se transforme en objets, tout un monde ludique, familier, parfois atteint de gigantisme, se met à vivre. Ses œuvres, des quasi ready-made, vont droit au but. Minimalistes et incarnées, voire réincarnées. Elles forment une sorte d’inventaire surréaliste, poétique, et en même temps, elles parlent à tous. Et en priorité aux habitants de Partapur. C’est ce que veut Lochan. Il ne saurait imaginer
Charbon de bois, calcinations et genres mutants
Shantamani est une lutteuse, pas du genre à baisser les bras. Mais comment voir quelque chose de la réalité quand on vit à Bangalore, plateforme de lancement planétaire de tout ce qui s’invente, capitale du virtuel en tous genres ? Il y a trois ans, la jeune femme, avec courage, opère sa mue. Elle change de support et, poussée par cette force stupéfiante qui la caractérise, elle « kidnappe » le charbon de bois avec lequel elle se met à sculpter sans relâche. Le choix de ce matériau attire l’attention sur elle et place soudain son œuvre au cœur des débats : le charbon de bois incarne l’Inde traditionnelle, le feu, le fourneau, la vie, et sa combustion ultra-rapide dit la métamorphose accélérée de tout un pays, en moins de vingt ans. Mais aussi la destruction, les cendres, la mort… Comme chez Lochan Upadhyay, il y a de l’ethnologue chez Shantamani. L’artiste teste tout ce qui résiste, interroge les grands mythes de l’univers, à l’aune des cultures qui s’entrechoquent. Elle réinterprète le masculin et le féminin. L’homme devient celui qui désire porter l’enfant, tandis que la femme se projette dans un idéal de Beauté parfaite et… parfaitement stérile. Ces sculptures noires, poreuses, qui se dressent comme des remparts, témoignent d’un temps passé et en devenir. Résister et vivre, se consumer et disparaitre. La calcination à l’œuvre. Aucun exotisme dans les travaux de Upadhyay, de Chandramohan, de Shantamani -pas de slums, de tigres.
Indian Spring – Lochan Upadhyay, Chandramohan & Shantamani – ‘Ready Made’
Du 28 avril au 30 juin 2011
Vernissage le jeudi 28 avril de 18h à 21h
Galerie Albert Benamou et Albert Koski
24, rue de Penthièvre
75008 Paris
Articles liés
“Riding on a cloud” un récit émouvant à La Commune
A dix-sept ans, Yasser, le frère de Rabih Mroué, subit une blessure qui le contraint à réapprendre à parler. C’est lui qui nous fait face sur scène. Ce questionnement de la représentation et des limites entre fiction et documentaire...
“Des maquereaux pour la sirène” au théâtre La Croisée des Chemins
Victor l’a quittée. Ils vivaient une histoire d’amour fusionnelle depuis deux ans. Ce n’était pas toujours très beau, c’était parfois violent, mais elle était sûre d’une chose, il ne la quitterait jamais. Elle transformait chaque nouvelle marque qu’il infligeait...
La Croisée des Chemins dévoile le spectacle musical “Et les femmes poètes ?”
Raconter la vie d’une femme dans sa poésie propre, de l’enfance à l’âge adulte. En découvrir la trame, en dérouler le fil. Les mains féminines ont beaucoup tissé, brodé, cousu mais elles ont aussi écrit ! Alors, place à leurs...