Guillaume Lucas de Pesloüan – interview
Qui est Guillaume Lucas de Pesloüan ?
La dernière personne à pouvoir répondre à cette question !
Techniquement, je suis né à Paris en 1986 et j’ai grandi dans sa banlieue, que j’ai enfin quittée pour Rennes où j’ai passé trois ans, aux Beaux-Arts. Mon intérêt pour les livres et les métiers manuels, ainsi que, il faut l’avouer, la nécessité de travailler, m’ont amené ensuite à faire une formation de reliure artisanale. Depuis je suis passé par différents ateliers, de reliure ou de lithographie, jusqu’à Montréal, pour me poser à Grenoble où j’ai pu découvrir des montagnes qui ressemblent étonnamment à celles de mes peintures. J’y puise aujourd’hui une source d’inspiration infinie, et y passe le plus clair de mon temps libre.
Voilà un peu plus d’un an que j’y suis mais je pense déjà à de nouveaux horizons…
Quel est votre parcours artistique, intellectuel ?
Aussi loin que je me souvienne j’ai toujours dessiné, sans jamais sortir complètement de la figuration. D’une certaine façon je crois que je n’ai jamais cessé de me construire des mondes imaginaires, personnels. Même lors de mon passage aux Beaux-Arts j’ai continué contre vents et marées. C’est la période pendant laquelle j’ai pu expérimenter toutes sortes de techniques (notamment la gravure) et diversifier mon vocabulaire, mais toujours avec ce besoin primordial d’explorer des ailleurs qui n’existent nulle part. Au même moment j’ai pris goût aux voyages, et c’est peu après avoir quitté l’école que je suis allé en Chine. Je ne connaissais rien de ce pays, ni de sa culture ni de son art hormis quelques clichés habituels, et les découvertes de la peinture et de la pensée Chinoises m’ont passionné. C’est après ce voyage que je me suis initié au maniement du pinceau Chinois, que je n’ai plus lâché depuis. J’ai découvert que sa variété infinie de traits offre l’opportunité de fixer définitivement et en quelques instants une vision sur le papier. Sans essayer de « faire de la peinture chinoise », après m’être habitué à cette façon si particulière de tenir et de manipuler le pinceau, j’y ai trouvé une liberté qui m’amène parfois jusqu’aux portes de l’abstraction. Il y a quelque chose du dessin automatique dans la spontanéité qu’il permet. Il peut faire jaillir du papier un instantané de paysage, comme tiré d’un sismographe intérieur. Sensible aux moindres secousses de l’âme, à ses excès, à ses non-dits.
Si aujourd’hui j’aime toujours dessiner à la mine de plomb ou au feutre, que je pratique depuis longtemps, je ne les utilise plus de la même façon.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Il est intéressant d’observer les allers-retours qui peuvent se produire au fil des découvertes d’artistes ou de tendances. Mon intérêt pour la culture chinoise m’a conduit à explorer ses peintres (je ne citerais comme exemple que Chu Ta), poètes et philosophes anciens, notamment de la « mouvance taoïste », pour me ramener par ricochet vers des artistes qui établissent des ponts entre nos cultures comme Zao Wou-Ki ou Fabienne Verdier. De là les rebonds sont nombreux et dans toutes les directions, de Rembrandt croquant en quelques traits rapides ses paysages à Henri Michaux observant s’agencer sur la feuille ces signes étranges que trace sa main, de Cendrars qui m’emmène bourlinguer aux quatre coins du monde à Thoreau qui m’invite dans sa cabane solitaire, en passant par les paysages de tâches hallucinées de Gao Xingjian et son inoubliable Montagne de l’Âme, les cheminements intérieurs de Pessoa ou ceux bien réels d’Ella Maillart…
Quel regard portez-vous sur l’art d’aujourd’hui ?
L’art d’aujourd’hui me fascine et m’effraye en même temps, pour une raison très simple : il est le reflet de son époque. Il peut tout se permettre. A tel point qu’il devient aujourd’hui difficile à définir. Mais c’est sa diversité qui me réjouit, qui laisse une place à chacun, autant que sa capacité à scruter nos vies si déroutantes. Dans quelques siècles il sera un témoignage précieux de nos folies et de nos excès. Malheureusement, et toujours en raison de sa similitude avec le monde dont il est le fruit, il arrive trop souvent que je doute de sa sincérité.
Si je ne suis pas très sensible à l’art qu’on dit conceptuel, c’est sans doute en raison d’un trop grand attachement à l’image. Si maltraitée de nos jours, si envahissante, si souvent utilisée dans des buts douteux, justement parce qu’elle a tant d’impact, j’aime savoir que partout dans le monde des artistes persistent à s’attarder sur ses pouvoirs. A nous emmener autre part. A montrer à qui veut le voir ce que précisément on ne voit pas, ce qui est caché. C’est pour moi l’une des fonctions primordiales de l’art, qui ne s’est jamais démentie au cours de sa longue évolution à travers les siècles.
Quels sont vos projets ?
Bien sûr continuer à peindre, j’ai de nombreuses idées en cours de gestation. Comme je développe tout un travail d’écriture en parallèle, j’ai aussi un projet d’une sorte de livre, mais je ne sais pas encore sous quelle forme. C’est une idée qui me suit depuis longtemps, et il me tient à cœur que peinture et écriture dialoguent au point de se fondre l’une dans l’autre, et de se compléter parfaitement. Je n’ai pas encore trouvé la formule secrète, c’est un vrai travail d’alchimiste !
Et évidemment mes projets de voyage mis bout-à-bout doivent se compter en dizaines de milliers de kilomètres, car ce sont eux en grande partie qui alimentent mes créations – qu’ils soient réels ou seulement rêvés.
Propos recueillis par François Terriez
[Visuel : Guillaume Lucas de Pesloüan, Ecrits vagabonds II. 48 x 35 cm]
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