Fotofever, la fièvre acheteuse de la jeune photographie : entretien avec Cécile Schall
Fotofever, la fièvre acheteuse de la jeune photographie : entretien avec Cécile Schall Le 12 novembre 2014 |
Du 14 au 16 novembre, le Carrousel du Louvre accueille Fotofever, la foire qui ausculte la diversité de la photographie actuelle. À cette occasion, AMA a rencontré Cécile Schall, directrice de cette foire qui s’intéresse de près aux jeunes talents de la photographie contemporaine. Attention fièvre contagieuse… Votre crédo est « la chasse aux nouveaux talents », où allez-vous les chercher ? Tous les acteurs du marché ont cette volonté de dénicher des nouveaux talents, mais je trouve qu’à Fotofever, nous sommes les seuls à ne nous consacrer qu’à cela. Je vais visiter les festivals, les foires… Ce qui m’importe c’est de pouvoir faire découvrir des artistes peu ou jamais vus et qui sont défendus par des galeries qui ont été les dénicher parfois à la sortie de l’école. Les artistes présentés à Fotofever ne le sont qu’au travers des galeries. Nous ne sommes pas du tout une foire d’artistes. C’est un critère important car je considère qu’un artiste n’est pas sur le marché tant qu’il n’est pas en galerie et surtout que pour pouvoir se dédier à son travail, il faut qu’il puisse être soulagé de tout ce qui n’est pas création. La galerie va souvent avancer les frais de production des artistes, sachant qu’en matière de production photographique, cela coûte cher et que les artistes qui démarrent ont besoin d’aide à ce niveau. C’est un investissement. Nous travaillons beaucoup avec le laboratoire Central Dupon, notamment pour Fotoprize. Chaque tirage, c’est minimum 40×70 et 300 € à fabriquer, donc il est difficilement envisageable de vendre à moins de 600 €. Cependant, les galeries ont aussi besoin d’avoir des artistes déjà connus pour assurer le fonds de commerce et ensuite pouvoir défendre des jeunes. Nous avons choisi le parti pris de nous occuper surtout des noms pas connus. Un nom inconnu ne permet de se raccrocher à rien, si ce n’est le coup de cœur et les rencontres sur la foire. Autre chose : la photographie se fait plus visible dans les musées, ce qui est une formidable chance et vous avez même aujourd’hui des expositions de photographie qui battent des records de fréquentation par rapport à des expositions de peinture. Je pense à des Cartier-Bresson ou Helmut Newton. Mais ce qui est important, c’est d’aller plus loin que la belle exposition, ça c’est l’autre credo de Fotofever. Parfois les gens me disent : « C’est super ton exposition ». C’est vrai que Fotofever est une exposition, mais c’est avant tout une foire. Et qui dit foire, dit lieu de ventes. Fotofever est un lieu où on peut enfin acheter les œuvres qui sont accrochées. D’où le principe de « Start to Collect » ? Avec « Start to Collect » on est vraiment dans le prix. Quand vous allez voir une exposition, vous avez un joli cartel qui vous donne le nom de l’artiste, la technique, l’année et à la limite d’où vient l’œuvre. Dans les foires vous avez le nom de la galerie, le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre et l’année. C’est formidable mais alors qu’est-ce qui différencie une exposition d’une foire si ce n’est de mettre en avant le prix. Nous sommes quand même dans une culture judéo-chrétienne et le prix c’est toujours compliqué d’en parler. Les visiteurs n’osent pas demander le prix parce qu’ils ont peur de se retrouver un peu bêtes par rapport à ça. Je me souviens de la première fois que je suis allée à Art Basel Miami, il y avait environ 200 galeries, une seule affichait les prix. C’était une galerie américaine. Face à mon étonnement, elle m’a répondu qu’elle en avait assez de donner les prix, alors, elle les a affiché. J’ai trouvé cette remarque amusante, mais les Américains sont plus à l’aise avec la notion d’argent. Le clou du clou, c’était quand même Gagosian, sur le stand duquel vous n’aviez ni nom d’artiste, ni cartel, ni prix, rien. Sa démarche est de ne s’adresser qu’à des connaisseurs qui, en somme, n’ont pas besoin d’avoir ces informations puisqu’ils sont censés les connaître. Je trouve cette démarche très élitiste. Hormis ces connaisseurs, vous pouvez avoir des personnes qui passent devant une œuvre, ils peuvent l’aimer mais se dire que ce sera hors budget sans même avoir une idée du prix. J’impose donc aux galeries d’afficher les prix, je sais que ça va être la bataille, car certains refusent de le faire, ils ont peur que les visiteurs ne leur adressent plus la parole. Alors qu’en fait, ils pourront parler d’autres choses, de l’artiste par exemple. Le prix mis à part, les galeries ont largement adhéré à « Start to Collect ». La règle du jeu pour les galeries, choisir une œuvre coup de cœur qu’elles trouvent idéale pour commencer une collection et qui est aussi l’œuvre la moins chère du stand. Certaines veulent en mettre deux ou trois, ce n’est pas grave mais il faut que le prix soit inférieur à 1.000 €. Ces étoiles sur chaque stand créent un parcours, ce qui plaît beaucoup. Nous avons voulu aller plus loin cette année, en proposant aux galeries de nous confier une œuvre en plus, qui va contribuer à création de la collection « Start to Collect », montrée sur un mur de 7,5 mètres tout en rouge. Il représentera un condensé des œuvres idéales pour démarrer une collection de photographie. L’année dernière, nous l’avons fait un peu au dernier moment, donc, nous n’avons beaucoup communiqué dessus. Cette année, nous souhaitions la développer encore plus. Concernant les collectionneurs Fotofever, sont-ils plutôt confirmés ou amateurs ? Comment faites-vous pour ménager les deux ? Je pense qu’il est important de confronter ces deux publics, car tout est toujours question de rencontres. Ceux qui collectionnent ont beaucoup à apporter à ceux qui ne collectionnent pas encore et pourraient en avoir envie. Ces publics ont un dénominateur commun qui est la passion, ils cohabitent donc très bien. Après, les collectionneurs n’ont pas besoin d’être guidés, la plupart d’entre eux aiment découvrir la perle, c’est ce qui les fait vibrer. Certains aiment acheter des grands noms, car ils savent que ce sont des valeurs sûres, qu’elles vont prendre de la valeur, ils sont dans une démarche financière. Mais j’ai rencontré d’autres collectionneurs dont le truc c’est de découvrir la perle et de contribuer à la promouvoir, cela leur donne un rôle formidable. Tout Fotofever est basé sur « Si vous aimez l’artiste, achetez-le, car vous le soutiendrez ». L’achat est le soutien de l’artiste, vous êtes en quelque sorte son mécène. Là où se trouve la difficulté pour les collectionneurs confirmés, c’est qu’il n’est pas simple de les faire venir quand il n’y a pas de galeries ou d’artistes connus. Parmi nos 106 exposants, nous avons cinq grands noms. Souvent, dans les foires de prestige international, les collectionneurs connaissent 95 % des galeries, même si j’exagère un peu. Fotofever, en tant que bébé foire, leur dit que ce n’est pas parce que vous ne connaissez pas les galeries et les artistes, que ce n’est pas intéressant. Autrement, je considère que le rôle de Fotofever, c’est d’encourager le grand public. Bien sûr, nous nous adressons quand même à des gens qui ont des moyens, qui sont sensibles au design, à l’art, à la photographie et qui peuvent se dire qu’ils vont mettre 300-500 voire 1.000 € dans une œuvre. L’idée, c’est d’amener un plus grand nombre de personnes à collectionner l’art et à travers le medium de la photographie. Pour moi, c’est le médium du XXIe siècle, nous sommes dans une société d’images et la photographie est facile d’accès en termes de compréhension. Quel est le budget des collectionneurs sur la foire ? Nous demandons aux galeries de nous remonter ces informations pour savoir si elles sont satisfaites mais les acheteurs ne tiennent pas à ce qu’on communique ces détails. Par exemple, l’année dernière, Saartje Van De Steene, lauréate Fotoprize que nous avons exposée à Bruxelles puis à Paris, a été achetée par une très grande personnalité hollandaise. Celle-ci n’a pas souhaitée qu’on dévoile son identité. Nous sommes dans des domaines assez secrets, pas évidents. Donc oui, j’ai des collectionneurs qui ont pu acheter 3-4 œuvres sur Fotofever, mais nous restons dans des notions assez raisonnables. Qu’est-ce qui se vend le mieux ? Les noms connus, normal, après tout ce sont des valeurs sûres. Les photographies de personnalités ont également beaucoup de succès. Par exemple, Gérard Malanga qui a fait partie dans les années 1960 de la Factory avec Andy Warhol, Nico et toute la troupe d’artistes autour, a photographié toutes ces personnalités d’une époque mythique. Alors quand il vient faire un solo show à Fotofever, il y a des chances pour que ça fonctionne bien. Et puis, il y a des galeries comme la Galerie de l’Instant, lancée par Julia Gragnon, fille d’un grand photo-reporter de Paris Match. Elle s’est concentrée sur ce créneau de la photographie de personnalités, parmi lesquelles vous trouverez les Stones… Ces œuvres se vendent très bien et c’est une bonne chose que nous ayons cette offre pendant la foire. Cela représente quatre ou cinq galeries mais 95 % des autres galeries vont présenter des artistes inconnus. La photographie est un tout petit marché, c’est une niche dans le marché de l’art qui représente à peu près 15 %. Une niche en pleine explosion mais encore une niche. Et nous, Fotofever, nous nous positionnons sur une niche de niche qu’est la jeune photographie, mais qui a un énorme avenir. Cela soulève une autre difficulté, les galeries sont comme les collectionneurs. Une galerie n’aura envie de venir participer à une foire que si elle voit que les autres galeries sont de son niveau. Il est toujours délicat de faire cohabiter dans une foire des galeries très connues et des galeries qui le sont moins car les premières ont toujours une espèce de prétention élitiste à ne pas vouloir se mélanger. Donc vous encouragez les jeunes artistes, mais aussi les jeunes galeries… Les galeries qui ont l’expérience de faire des foires, de soutenir des artistes depuis plusieurs années ont beaucoup à apporter aux plus jeunes galeries qui parfois démarrent. Quand vous participez pour la première fois à une foire, par exemple, l’accrochage n’est pas forcément votre point fort. Je me souviens de la première Fotofever que j’ai organisé à l’Espace Pierre Cardin. La galerie Chris Boïcos Fine Arts présentait Vadim Gushchin, un jeune talent russe, un de mes coups de cœur en 2011 et qui est exposé cette année par une galerie russe à Paris Photo. L’accrochage était entièrement à revoir, il y en avait de partout et même si les œuvres étaient superbes, la galerie n’a quasiment rien vendu. J’ai eu deux mots avec la galerie à ce sujet et ma surprise a été de la revoir la deuxième année à Bruxelles, avec un accrochage superbe ! Certaines des galeries qui ont fait Fotofever en 2011, sont aujourd’hui dans de très grandes foires. Cela me fait très plaisir. Alors même si certaines ne veulent plus venir chez moi, ce n’est pas grave, c’est une évolution. Parmi les galeries présentes cette année, il y a beaucoup de galeries européennes mais aussi des chinoises et des japonaises. Pourquoi ces deux pays d’Asie ? L’idée de départ était de créer une Fotofever par continent. À Paris, qui est la capitale mondiale de la photographie et qui est animée par le Mois de la photographie depuis les années 1980. À Bruxelles, pour fédérer un public européen et mettre la photographie au cœur de l’Europe. En Asie et sur le continent américain par la suite. Je ne connais pas très bien l’Asie, mais j’y observe l’évolution de la concurrence. Tokyo Photo et Séoul Photo se sont développées, mais restent encore des petits événements. MIA, une foire de photographie italienne, vient de lancer sa première édition à Singapour. Pour nous, c’est donc important d’être connus là-bas, de donner envie aux galeries asiatiques de venir participer à Fotofever à Paris. Dès la première année, nous avons pas mal travaillé le Japon, avec six exposants japonais et cela continue aujourd’hui avec une dizaine de galeries. Pour 2014, nous avons eu une véritable volonté de continuer à développer le Japon et de s’ouvrir à la Chine, car pour quelque domaine que ce soit, pour moi la Chine est incontournable. Suite de cette volonté stratégique, j’ai embauché une Chinoise et une Japonaise, qui travaillent dans la langue du pays. Pour cette édition, nous allons, d’ailleurs, nous retrouver avec une vingtaine d’exposants chinois et japonais dont certains ne parlent pas un mot d’anglais… alors le français n’en parlons pas. Ce qu’il y a de fort avec ces galeries, c’est qu’elles ont envie et on ne fait rien dans la vie sans avoir envie. Ces galeries asiatiques ont envie de venir. En plus, quand vous leur dites que c’est au Carrousel du Louvre… Le Louvre, c’est un mot magique pour elles ! Elles sont fières de présenter leurs artistes en dehors de leur pays et c’est ce que j’adore chez elles. Elles défendent les artistes de leur pays, chose que ne font pas toujours les galeries françaises qui préfèrent parfois défendre des artistes étrangers ou des artistes français qui ont déjà fait leurs armes à l’étranger. Alors que les galeries japonaises et chinoises ont un côté nationaliste et je trouve ça très, très bien car si elles ne le font pas, qui va le faire ? Ma mission est de défendre la jeune photographie, ces galeries, elles, se sont donné la mission de défendre les artistes de leur pays dont elles sont fières. Je pense que nos galeries asiatiques sont les meilleures que nous avons cette année à Fotofever. Quel est votre positionnement par rapport à Paris Photo ? J’ai vu naître Paris Photo, il y 18 ans et ce qu’a fait Rick Gadela, c’est génial ! Car enfin la photographie était reconnue. Il a réussi son coup, car il a lancé Paris Photo au bon moment et il a tout de suite réussi à fédérer des galeries américaines s’imposant dès le départ comme une grande foire internationale. Lorsqu’il est passé du Carrousel du Louvre au Grand Palais en 2011, il a explosé, car l’écrin valorise le contenu. Cette année-là, je m’étais positionnée à l’Espace Pierre Cardin en me disant il faut que je sois le plus proche possible du Grand Palais, car de toute façon, il y viendra un jour. Je ne pensais pas que ce serait l’année où j’ai lancé Fotofever. Mon positionnement dès le départ a été de dire, à Paris Photo se trouvent les grands noms en termes de galeries et d’artistes, à Fotofever se trouvent la jeune photographie et la découverte. Le tout en étant proche géographiquement pour faciliter le parcours des collectionneurs. Il faut toujours se mettre du point de vue du client. Par rapport à Paris Photo, nous sommes donc complémentaires. Cependant, à Fotofever et contrairement à Paris Photo, vous ne trouverez pas la même chose d’un stand à l’autre, on est sur la découverte et sur une démarche pédagogique dont le marché a besoin. Notre principe est « un artiste, une galerie », sinon le visiteur a toujours l’impression de voir la même chose. Sur l’aspect découverte, je suis fière d’évoquer le cas de Vincent Fillon. L’année dernière, la jeune galerie parisienne Little Big l’a exposé, car il est un des lauréats SFR Jeunes talents. Fotofever était sa première foire et il était là tout le temps. Il a vendu 17 œuvres sur la foire car son travail, beau et compréhensible, plaît aussi bien aux grands qu’aux néo-collectionneurs. C’est dans ces moments, que j’ai l’impression que Fotofever donne un coup de pouce aux jeunes artistes. Vincent, ne sera pas exposé à nouveau cette année car la galerie considère qu’il est lancé. Elle va en présenter deux autres. Chaque année, deux projets me tiennent à cœur même s’ils sont un peu compliqués à mettre en place. Tout d’abord, l’exposition d’une collection privée sur une thématique particulière, car il est plus facile d’interpeller le public avec des thématiques. Cette année, c’est Galila Barzilaï Hollander, collectionneuse dont la thématique obsession est l’argent, qui rejoint Fotofever. Après « l’œil » et « la fesse », je trouvais la thématique « argent » intéressante. Nous sommes en pleine crise et je prône le développement des collectionneurs par l’achat d’œuvres donc l’argent… Galila a commencé à collectionner après le décès de son mari et elle se dit elle-même « artoholic », collectionner chez elle est maladif… La mise en place cette exposition est compliquée car il faut déplacer les œuvres, les assurer, avoir sa confiance. Ses œuvres sont ses bébés. Chaque bébé a une histoire et ce n’est pas parce que c’est du Mapplethorpe qu’il a plus de valeur qu’un autre moins connu. Comme elle le dit elle-même : « J’aime autant tous mes enfants, même ceux qui sont un peu handicapés. » C’est donc difficile à gérer car jusqu’au dernier moment je sens qu’elle peut dire non si elle n’est pas rassurée. Ensuite, vient une autre collection. J’aime bien inviter une personnalité qui peut apporter un élément positif par rapport à la foire. Ce sera le cas avec l’exposition d’Agathe Gaillard qui est sur le point de fermer sa galerie mais qui est surtout une personne sans qui la photographie ne serait pas là aujourd’hui. Je lui ai offert un mur de 15-20 mètres en lui donnant carte blanche et elle abordera les différentes manières de voir une femme au travers de l’œil du photographe. C’est un peu un hommage que je lui rends. Nous avons également offert de l’espace à deux autres projets, dans l’édition cette fois. Le premier espace va à la revue photographique trimestrielle, Off the Wall, qui existe depuis un an, afin qu’elle puisse trouver des abonnés, sachant que le numéro en cours traite de la femme photographe et que chaque numéro est collector car en édition limitée. Le deuxième espace va à la revue Camera qui présente dans le numéro en cours, le travail d’une artiste française géniale qui s’appelle Coco Fronsac. L’édition Bruxelloise devait avoir lieu en octobre, que s’est-il passé ? Nous avons lancé Bruxelles en 2012, car nous avions une grande banque hollandaise comme sponsor. Elle nous a suivi pendant deux ans, ce qui a beaucoup contribué à installer Fotofever Brussels sachant que début octobre, rien ne s’y passe en matière de photographie. Étant la seule foire de photographie, nous avons du coup une campagne d’affichage et de presse conséquente, un parcours hors les murs important dans la ville et des partenariats avec les institutions. La dimension est tout autre de ce qu’on peut faire à Paris. Malheureusement, très tardivement cette année, au mois de mai, notre sponsor nous a annoncé qu’il ne pouvait pas nous soutenir pour cette édition. Un sponsor se trouve au moins un an à l’avance et je n’avais pas le temps d’en trouver un autre rapidement. Fotofever est une toute petite structure, les risques financiers étaient trop importants. Chaque édition est déjà un miracle, nous ne savons jamais jusqu’au dernier moment si nous allons y arriver. Nous avons donc décidé de reporter et de nous concentrer sur Paris. Tout ce qui était prévu en termes de business à Bruxelles a été reporté à Paris, ce qui fait que l’édition parisienne comprend 106 exposants comparés aux 65 galeries de l’année dernière. Mais alors qui est Cécile Schall, qui porte Fotofever à bout de bras ? J’ai travaillé 15 ans dans le marketing et la communication avant de me consacrer deux années durant aux archives photographiques de mon grand-père, en tant que freelance. J’ai ensuite rejoint Will Ramsay, pendant trois ans sur l’Affordable Art Fair. Will est quelqu’un d’incroyable, à la fois co-fondateur d’Art Hong Kong, qui a été racheté par Art Basel, fondateur de Pulse, une super foire satellite à Miami et à New York, et également fondateur de l’Affordable Art Fair. J’ai appris tous les rouages de l’organisation d’une foire avec lui. Quand j’ai commencé à travailler pour l’Affordable Art Fair, c’était génial. Le succès que la photographie a eu lors de cette première édition à Paris en mai 2008 m’a impressionnée et j’y ai même acheté ma première photographie. C’est vraiment là que l’idée de Fotofever est née. J’ai proposé l’idée à Will, avançant que cela pouvait être un bon complément mais lui ne croyait pas aux foires spécialisées. Comme évoqué tout à l’heure, la photographie est une niche et qui dit niche dit plus difficile à rentabiliser. Dans l’art contemporain, il y a des choses pour lesquelles je me sens moins concernée mais la photographie pour moi, c’est génétique. J’adore la photographie, je trouve que c’est le nouveau médium des temps modernes. Il n’a pas 200 ans, mais a déjà fait je ne sais combien de révolutions. C’est aussi le meilleur des médiums pour inciter des néo-collectionneurs à collectionner l’art. L’idée s’est donc imposée en 2008 et c’est quand j’ai quitté l’Affordable Art Fair que j’ai monté le projet en 2011. Et pourquoi le rouge ? Parce que j’adore le rouge. Le rouge, c’est la couleur de la passion. Quand on a commencé à travailler sur l’identité visuelle avec un ami qui a une agence de design, nous avons d’abord commencé avec le nom Fotofever. Il n’était pas question de faire comme les autres foires qui s’appellent toutes Art « quelque chose », avec le nom de la ville. Dès le départ, Fotofever avait pour vocation d’être transversale et internationale donc je souhaitais un nom international. « Photographie » et « fever » collaient bien car collectionner c’est la passion, la fièvre acheteuse, limite la folie. Certains collectionneurs vous disent qu’ils sont atteints de folie et qu’ils ne peuvent pas s’en empêcher. J’ai aussi dit à cet ami que j’aimerais bien du rouge et il m’a ensuite fait plusieurs propositions d’identité visuelle dont une proposition rouge et c’est celle qu’on a retenue. Ça a aussi le mérite d’être très visible. Or quand vous vous lancez dans un paysage très concurrentiel, la visibilité est très importante et blanc sur rouge, il n’y a pas plus visible. La difficulté n’est pas d’exister mais de faire savoir que vous existez. Et quand vous êtes petit et que vous n’avez pas les moyens pour investir dans un budget media énorme, il vaut mieux avoir un visuel visible et facilement reconnaissable. L’identité visuelle c’est mon univers, je viens du marketing et je sais bien que c’est stratégique. Êtes-vous vous-même atteinte de cette fièvre acheteuse ? Je l’ai été à un moment. J’ai collectionné tout ce qui concernait mon grand-père. Tous les magazines, les livres que ce soit chez un bouquiniste ou aux puces, sans regarder les prix. Pour moi, c’est compulsif. Sinon, non. Je suis très obsessionnelle et du coup j’ai beaucoup de mal à choisir. Pour chaque foire que j’organise, il doit y avoir 20 œuvres que j’aimerais acheter, mais je ne peux pas et j’ai du mal à choisir. Si j’avais les moyens d’acheter sans compter, je le ferais, mais je n’ai jamais acheté à Fotofever. J’ai acheté à l’Affordable Art Fair, car j’ai eu une rencontre avec une œuvre qui m’a émue et il était indispensable pour moi que je l’achète. Là c’est la 4e édition de Fotofever, 420 artistes seront présents et bien sûr j’ai d’énormes coups de cœur, mais je ne sais pas si j’achèterai. Alors quels sont vos coups de cœur pour cette édition ? J’ai eu un coup de cœur sur l’artiste Takashi Suzuki présenté par la galerie japonaise Kana Kawanishi, à la foire d’Amsterdam Unseen. De loin, j’ai vu un mur avec plein de petites œuvres, très colorées sur fond noir, qui m’a intriguée. C’était vraiment étonnant et l’accrochage était très beau. En m’approchant, je me suis aperçue qu’il s’agissait de structures faites à base d’éponges colorées que Suzuki prend en photo. Pour moi, c’est aussi ça la photographie, c’est d’avoir une idée à partir d’un objet du quotidien qui n’est pas beau et de le magnifier ensuite dans la mise en scène et la prise de vue. Ces petites éponges photographiées sur fond noir, cela donne des petites œuvres qui sont vendues à 400-500 € et qui sont tout à fait accessibles, dans l’esprit Fotofever. J’ai donc proposé à la galerie Kana Kawanishi de venir. Comme elle n’avait pas prévu initialement de venir, elle n’avait pas le budget pour s’offrir un stand et je lui ai donc proposé un « wall », plus abordable, car elle vient du Japon et doit donc supporter tous les frais associés. Cette offre « wall » est adaptée à la réalité du marché, car beaucoup de galeries n’ont absolument pas les moyens de participer à une foire, c’est une manière de leur donner un coup de pouce. Au départ, on avait prévu d’en faire une dizaine, au final, on en a 33… Ceci-dit les coups de cœur peuvent difficilement avoir lieu avant l’événement. Entre le catalogue et ce qu’on voit en vrai, ce n’est pas pareil. Avant d’acheter ma première photographie, j’avais déjà vu l’œuvre plein de fois dans le catalogue mais quand je l’ai vue en vrai, j’en pleurais et je n’ai pas compris pourquoi c’était aussi émouvant. C’est là que j’ai vraiment réalisé que l’émotion, vous ne l’avez pas sur un écran. Le tirage, le format, tout ça y contribue. Quelles sont les tendances que vous constatez dans la photographie contemporaine ? C’est toujours difficile de parler de l’art en train de se faire, car c’est après qu’on peut se dire qu’il y a une tendance de fond. Ceci-dit, la première chose qui me vient à l’esprit et qui me frappe, c’est que de plus en plus de jeunes se réapproprient les techniques anciennes de la photographie pour exprimer leur message. C’est le cas de Saartje Van De Steene, la lauréate Fotoprize 2013. Il y a deux ans, elle est partie faire un reportage, immergée au sein d’une tribu dans le Dakota. Elle a transformé sa voiture en laboratoire photographique et a trafiqué un appareil, une vieille chambre pour pouvoir disposer les plaques de collodion humide. En quatre mois, elle a pris 70 personnes en photo. La démarche artistique était d’utiliser les photographies comme un prétexte pour connaître la personne, car ensuite la photo était développée avec elle. On voit toujours beaucoup de photographies sur Diasec et aussi des tirages plexi, de plus en plus chez Ikea et à des prix défiant toute concurrence… Ces tirages un peu plus traditionnels qui sont moins dans un aspect « déco », sont une manière de se démarquer. Il existe aussi une vraie tendance qui est plus dans l’outil, avec le smartphone, car l’outil permet de réaliser des choses très différentes. Mon grand-père me racontait que son père était photographe au début du XXe siècle. À l’époque, les appareils photo étaient des chambres, avec trépied qui pesaient 3 tonnes et il ne fallait pas que les gens bougent sinon c’était flou. En 1925, les Allemands ont inventé le Leica, un appareil qu’on peut emporter partout, une véritable révolution ! Mon grand-père a commencé avec le Leica puis a utilisé le Rolleiflex, un appareil qui se porte sur le cœur. Il a ainsi pu prendre des photos très différentes de celles qu’il pouvait prendre avec le Leica. Pourquoi ? Quand vous avez un appareil photo, vous visez quelqu’un, c’est assez agressif. On dit « viser » en parlant d’une arme et d’ailleurs on dit aussi « armer » un appareil photo… Quand mon grand-père a commencé à prendre des photos avec le Rolleiflex, il discutait avec les gens et puis il les prenait en photo sans qu’ils sachent qu’ils étaient visés. Le rendu est vraiment différent. Je pense qu’avec le smartphone, c’est pareil. On ne sait pas si vous photographiez, filmez, regardez vos sms… L’important ce n’est pas l’appareil, mais l’utilisation que l’on en fait. Autre chose, le fait de rendre une œuvre unique par des procédés parfois assez étonnants. La photographie est un art multiple, or le multiple constitue un frein pour beaucoup de gens. Dernièrement, beaucoup d’artistes sont dans cette démarche d’unique. À l’AIPAD, à New York, j’ai adoré le travail de Matthew Brandt, jeune artiste américain qui vit à Los Angeles et qui a fait la une du New York Times avec une série appelée Lakes. Le principe, il prend des photos de lacs, il tire les photographies sur du papier Fine Art très grand format qu’il plonge ensuite dans l’eau du lac qu’il vient de prendre en photo. Un peu comme de l’aquarelle, ça dégouline et donc chaque œuvre est unique. Il a eu un succès fou à l’AIPAD et maintenant il est dans de très grandes galeries. Autres tendances, le fait que la photographie soit de plus en plus utilisée par des artistes qui ne sont pas photographes, donc pas techniciens et les déclinaisons à partir d’un concept thématique. Par exemple, je vois pas mal de photographies de lieux désaffectés, thématique qui lie à la fois l’architecture et le passé, mais aussi beaucoup de portraits à la façon des peintres flamands… Enfin, l’édition revient sur le devant de la scène. Elle a été le premier support de diffusion de la photographie. Ce n’est pas l’œuvre qu’on accroche, mais l’œuvre qu’on consulte. De plus en plus d’artistes autoéditent leur travail et des petites maisons d’édition éditent des œuvres à part entière pas très chères et en édition limitée. Je trouve que c’est une vraie tendance du marché. À Fotofever, nous avons un espace éditeur qui n’est pas très cher mais on se rend compte qu’il l’est encore trop pour les éditeurs. J’aimerais que l’édition ait plus de présence dans la foire mais il faut trouver un sponsor qui ne soit vraiment dédié qu’à cela, car équilibre financier oblige, je ne peux pas non plus brader l’espace pour les éditeurs face aux galeries qui paient le prix fort. Permettre cette cohabitation me semble primordial. Les éditeurs sont tous complètement passionnés, ils ont des relations très fortes avec les artistes et nous aimons bien les accueillir. Nous essayons au travers de l’événement de propager cette passion et de transmettre cette fièvre pour amener de plus en plus de monde à acheter de la photographie, soutenir les artistes et contribuer à développer le cercle vertueux de la création. Art Média Agency |
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