Festival d’Avignon 2011
« Boris Charmatz, que nous avons choisi comme artiste associé, est d’abord danseur. Il l’est quand il interprète ou improvise et quand il chorégraphie, déplaçant les codes et les cadres habituels de la danse pour trouver des états de corps intenses et inattendus, une écriture concrète et poétique. Il l’est aussi dans son engagement d’artiste : se mettre en mouvement pour interroger autrement le processus de création, la place de l’artiste et celle du spectateur, les lieux de représentation et ceux de transmission. Nommé en 2008 à la direction du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, Boris Charmatz l’intitule Musée de la danse comme une question ouverte, avec le souhait d’y “rassembler en un seul mouvement le patrimonial et le spectaculaire, la recherche et la création, l’éducation et la fête, l’ouverture à des artistes singuliers et le désir de faire œuvre collective”. C’est dans ce même esprit que nous avons imaginé cette 65e édition du Festival d’Avignon.
Nous la préparons depuis deux ans et aujourd’hui, alors que nous l’annonçons, la plupart des équipes artistiques commencent leurs répétitions. En parallèle, depuis plusieurs semaines, sur l’autre rive de la Méditerranée, des citoyens se dressent contre l’oppression politique et économique et combattent pour leur liberté. Ce vent du sud soufflera sans doute sur ce Festival, son atmosphère et ses débats. Se lever, se tenir debout, grandir, se mettre en mouvement ou en résistance, de façon intime ou dans une dynamique collective, ce sera, nous le souhaitons, l’énergie de cette édition.
Cette énergie se retrouvera dans les corps et la danse des spectacles de Boris Charmatz, enfant créé pour la Cour d’honneur et Levée des conflits qui se jouera sur l’herbe au milieu des spectateurs, dans ceux d’Anne Teresa De Keersmaeker, dont sa création pour le lever du jour dans le Palais des papes, et dans les nouvelles pièces de Meg Stuart et de Rachid Ouramdane.
Cette énergie est aussi dans l’expérience de l’enfant qui grandit. La figure de l’enfant, avec laquelle notre société entretient des rapports contradictoires, traversera le Festival, notamment dans les spectacles de Boris Charmatz, d’Anne-Karine Lescop, de Cyril Testeou de Nature Theater of Oklahoma.
Les grands rôles tragiques présents au Festival cette année, l’Antigone de Wajdi Mouawadou, le Hamlet de Vincent Macaigne, combattent un ordre établi. Un même engagement déterminé anime les personnages historiques convoqués ici dans la fiction du théâtre : Jeanne d’Arc et Gilles de Rais avec Guy Cassiers ; Jan Karski, résistant polonais témoin et messager du ghetto de Varsovie, avec Arthur Nauzyciel. Nous entendrons des paroles d’artistes indignés avec Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, Angélica Liddell, Jean Genet chanté par Jeanne Moreau et Étienne Daho ou encore Nicolaï Erdman, dont la comédie russe Le Suicidé, montée par Patrick Pineau, fut longtemps censurée.
Cette énergie est celle du désir et de la transgression à laquelle se heurtent les protagonistes de Mademoiselle Julie, que cela soit dans la mise en scène de Frédéric Fisbach, avec notamment Juliette Binoche et Nicolas Bouchaud, ou dans l’adaptation personnelle qu’en donne Katie Mitchell. Ils s’affrontent et se déchirent, comme le couple de la Clôture de l’amour de Pascal Rambert.
Romeo Castellucci ou François Verret sondent dans leurs créations la difficulté de faire face à ce qui nous dépasse, comme le font les personnages de Jon Fosse mis en scène par Patrice Chéreau.
Nos plateaux de théâtre seront le lieu d’expression d’une liberté sans cesse à conquérir, ce dont ne se priveront pas les acteurs déchaînés de Sophie Perez et Xavier Boussiron, l’équipe de Marcial Di Fonzo Bo avec l’écriture de Rafael Spregelburd, ni Cecilia Bengolea et François Chaignaud qui se réapproprient les danses libres nées dans les années 20.
Cette liberté, nous voulons la partager avec les spectateurs, notamment par l’expérience d’appréhender et de regarder autrement les œuvres. Ce que proposent la création de Xavier Le Roy ou les installations de William Forsythe, Tino Sehgal ou Jean Michel Bruyère. Ce sera aussi l’enjeu du projet Une école d’art pour le public, imaginée avec le Musée de la danse.
C’est ce même élan d’invention qui poussa, il y a quarante ans, Lucien Attoun à proposerà Jean Vilar des mises en espace de textes contemporains : ce fut la naissance de Théâtre Ouvert que nous célébrerons. Le Festival d’Avignon est une aventure toujours en mouvement qui ne cesse de s’inventer avec les artistes et les spectateurs. C’est ce à quoi nous vous invitons. »
Hortense Archambault et Vincent Baudriller,
Directeurs du Festival d’Avignon
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