Fernand Léger : Reconstruire le réel, 1924-1946 – Biot
S’il reste fidèle au « réalisme de conception » qu’il définit comme celui de la ligne, de la forme et de la couleur, Léger est attentif aux recherches plastiques surréalistes, comme il a observé le cubisme ou le futurisme. Ami de Man Ray, de Duchamp, émigré aux Etats-Unis en 1940, où il retrouve Masson, Tanguy, Matta, Breton et Ernst autour de la galerie Pierre Matisse, Léger affiche son amitié avec le milieu surréaliste, tout en revendiquant son indépendance.
Influencé par le regard cinématographique et publicitaire qui révolutionne le rapport au réel chez les artistes dans l’entre-deux-guerres, Fernand Léger met en place sa méthode de travail qui focalise sur la valeur plastique de l’objet par un grossissement d’échelle et une épuration schématisée des formes.
Pourtant, il est loisible de déceler dans cette production l’attention que Léger porte aux recherches plastiques des surréalistes. En dépit des prises de position contradictoires – comme celles qu’affichèrent Léger et Aragon au cours de la fameuse querelle du réalisme à la Maison de la culture à Paris en 1936 – Pourtant, l’analyse d’un corpus d’œuvres de l’artiste permet de dégager de grands axes, comme autant de catégories descriptives des productions artistiques traditionnellement associées au surréalisme.
Contrastes d’objets et perturbation des rapports d’échelle
Les Surréalistes ont fait leur la célèbre phrase de Lautréamont (« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’une table et d’un parapluie», Les Chants de Maldoror) pour en faire l’une des définitions du surréalisme. Dans l’œuvre de Léger, ces rapprochements hétérogènes sont fréquents. L’objet est définitivement libéré de toute contrainte et devient une entité à part entière : parapluie, compas, boîte d’allumettes, trousseau de clefs en éventail, roulement à bille, balustre, machine à écrire, chapeau melon … sont autant d’éléments qui figurent dans l’iconographie de Léger et dont le traitement, comme dans la Joconde aux clefs, permet de créer des « contrastes aigus » et des rencontres hasardeuses, assez proches finalement de la définition du hasard objectif, chère aux Surréalistes.
A la recherche d’un nouvel espace : objets décontextualisés et objets dans l’espace
Comme les Surréalistes, l’artiste est fasciné par « l’art de la vitrine », cet assemblage insolite d’objets rendus comme libres par leur décontextualisation. Ainsi, de 1924 jusqu’aux années 30 voire au-delà (avec un point d’orgue durant les années 1929-33), l’œuvre de Léger connaît une période dite des « objets dans l’espace ». Il semble évoluer du monumental au sculptural, donnant ainsi la priorité à une perspective inversée dans de tourbillonnantes compositions. Il pratique l’oxymore visuel à partir d’objets inertes subitement ramenés à la vie par leur mise en mouvement. Si les compositions antérieures faisaient en effet reposer les objets sur des supports (tables, guéridons), tels des ancrages dans le réel, les objets sont désormais dégagés des lois de la gravité : ils sont comme en apesanteur sur des fonds colorés et reliés ensemble par des procédés de composition inédits (cordes avec torons, tresses ou rubans), affichant plus que jamais l’attention avant tout plastique que Léger leur accorde.
Biomorphisme et dessins d’observation
Le biomorphisme et la métamorphose sont des éléments importants de la production artistique surréaliste, faisant le lien entre le réel et l’imaginaire. Les œuvres de Kandinsky, Arp, Calder, Brancusi, Miró et Tanguy sont emblématiques du biomorphisme surréaliste marqué par un intérêt inédit pour la science du vivant. Entre 1929 et 1933, Léger abandonne l’univers mécanique et industriel au profit, à son tour, de formes naturelles d’essence minérale, végétale et animale, associées à des objets familiers (veste, gant, lunette, compas …). Il se ressource dans les paysages normands où se trouve la ferme familiale. Il subit l’influence de Jean Painlevé dont le cinéma scientifique élargit la conscience visuelle de l’époque en scrutant le monde microscopique. Léger délaisse le spectacle de la vie moderne pour une approche lente du réel. Constituée de dessins austères en noir et blanc qui évoquent la technique de la gravure par leurs jeux d’ombre et de lumière, une étrange série graphique témoigne d’une recherche d’ascèse du sujet. Elle semble tourner le dos au réalisme de conception et se caractérise par un effet étonnant de volupté du réel, loin de la séduction clinquante des objets-spectacle de la décennie précédente. De la période des objets dans l’espace, il garde le fond neutre où flottent ses formes, majoritairement isolées. L’agrandissement d’un objet ou d’un fragment d’objet lui confère une personnalité qu’il n’a jamais eue auparavant, le transformant en vecteur d’une puissance lyrique entièrement nouvelle. Par l’agrandissement et l’isolement de son environnement quotidien, l’objet se métamorphose : des formes mystérieuses apparaissent, qui mêlent et confondent origine naturelle ou production humaine. Paradoxe : fruit d’une intense observation du réel, le dessin d’objet se fait support de l’imaginaire.
Fernand Léger : Reconstruire le réel, 1924-1946
Commissaires généraux :
- Blandine Chavanne, directrice du musée des beaux-arts de Nantes
- Maurice Fréchuret, directeur des musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes
- Diana Gay, conservatrice au musée national Fernand Léger
- Claire Lebossé, conservatrice chargée de l’art moderne au musée d’art moderne de Nantes
- Nelly Maillard, chargée de la collection et de la documentation au musée national Fernand Léger
Du 1er mars au 2 juin 2014
Musée national Fernand Léger
Chemin du Val de Pome
06410 Biot
www.musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/fleger/
[Visuel :Musée national Fernand Léger à Biot, PACA, France. 20 août 2008. Travail personnel d’Ecce Art. This file is licensed under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.]
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