Exposition Ida Tursic & Wilfried Mille – Almine Rech Gallery
Exposition Ida Tursic & Wilfried Mille Oeuvres d’Ida Tursic & Wilfried Mille Du 2 juin au 30 juillet 2016 Du mardi au samedi de 11h à 19h Vernissage le 2 juin 2016 à 18h Entrée Libre Almine Rech Gallery |
Du 2 juin au 30 juillet
Identiques, on imagine que toutes les trois le furent – à quelques détails près, puisque les artistes ont choisi de faire varier, dans l’arrière plan de l’image, le contenu d’un petit cadre accroché au mur – avant de recevoir chacune un traitement différent, non pas dans sa nature mais dans ses conséquences. La nature de ce traitement est trois fois identique : des taches colorées et architecturées ont été appliquées sur la surface, une fois le portrait terminé. Les conséquences sont variées, tandis que ces taches recouvrent telle ou telle partie du corps et du décor, infligeant à chaque tableau son évidente singularité – en changeant radicalement la composition. Ainsi maculées, ces trois Betties Page nous font face – sans nous regarder. Le regard du Elles lorgnent manifestement vers l’histoire mais leur champ de vision se déploie jusqu’au présent : là est d’ailleurs leur point focal. Lors d’une conférence qu’ils donnèrent au Collège de France1, à Paris, le 31 octobre 2014, ils dirent notamment « Nous constituons une énorme banque de données, rangée tant bien que mal, qui avoisine aujourd’hui les 140.000 images (classées dans les catégories les plus diverses : “chiens, actualités, NASA, fessées, fleurs, Marilyn Monroe…”) Plus besoin d’aller au marché pour trouver une pomme à peindre, nous taperons “pomme” sur Google et nous obtiendrons 2.310.000 pommes. » De cette banque de données constituée de prélèvements sur le web provient en effet l’image originelle qui servit aux trois Bettie Page, et aussi celle du personnage féminin alangui dans la partie inférieure d’une autre œuvre de l’exposition parisienne, qui évoque très nettement, de par sa position, le personnage de « Etant Donnés : 1° La chute d’eau 2° Le gaz d’éclairage » (1946-1966) de Marcel Duchamp. Au fond, notre esprit va chercher Duchamp, Manet, Cézanne, ou tel ou tel autre, mais rien de leurs œuvres ne figure littéralement sur les toiles. On ne voit finalement que des images qui portent en elles quelque chose qui déclenche ce souvenir. C’est l’autre pari des toiles de Ida Tursic & Wilfried Mille : trouver dans l’incohérente cohorte des images du web, dans leurs spécificités, leurs accidents de compression, leurs imperfection, leur diversité aussi, leur masse, même, le véhicule pour dialoguer avec l’histoire. Ces images évoquent des poses mais aussi des genres traditionnels de la peinture : les images pornographiques, utilisées à leurs début, offraient une perspective contemporaine sur le nu, les fleurs et les incendies sur le paysage. Très vite de toutes façons il apparaît que ces images sont peu de choses sinon des prétextes (pour le coup, très littéralement, ce qui vient avant le texte), et que le sujet n’est pas l’image mais la peinture. « Comment est-ce qu’une image peinte peut parler d’autre chose que d’elle même ?» dirent-ils au Collège de France. Dans certaines œuvres plus anciennes d’Ida Tursic et Wilfried Mille, ces images étaient imprimées sur toile à l’aide d’une encre thermique, mais pour toutes celles de cette exposition l’image est peinte, comme si leur processus de transformation en peinture commençait dès leur inscription sur la toile. C’est qu’il s’agit d’un affrontement : celui de la peinture et des images contemporaines, et dans l’épreuve chacun fourbit ses armes. Parfois l’image se défend bien, parfois elle succombe : dans W4B, la peinture semble avoir triomphé de l’image peinte – celle d’une pin up – la recouvrant quasi totalement, fabriquant sa composition propre. L’image peinte n’est pas défaite par le traitement qui lui est adjoint dans un deuxième temps (elles montrent clairement deux étapes – celle de leur reproduction et celle de leur recouvrement) : la peinture commence avec l’image reproduite manuellement et se poursuit par son oblitération. Et c’est, finalement, son oblitération qui lui donne son identité. En matière d’identité, la question leur est souvent posée des mécanismes inconnus d’une seule et même toile qui serait faite à quatre mains : on voudrait savoir qui fait quoi, comment ça se passe, et il est vrai qu’on a peu de point de comparaison, dans l’histoire de l’art. Il est indiscutable que l’un fait ceci et l’autre cela, de la même manière que leurs toiles sont à la fois l’image peinte et son oblitération. Mais c’est pareillement que les conjonctions des deux auteurs ou des deux étapes de leurs peintures construisent une singularité dont les éléments ont peu de sens l’un sans l’autre. Une impressionnante série de petites peintures sur bois, présentée dans une salle adjacente, est accrochée dans une profusion qui est plus naturelle aux images du web qu’à la peinture. Elles semblent avoir été rassemblées par une logique molle, semblable à celle qui, à la faveur de quelques hashtags, décide que telle image et telle autre ont des points communs. Leur formats modestes n’est pas différent de celui des pages de « résultats images » de Google – ce stade simplifié, publicitaire, de l’image à venir. Il y a des peintres célèbres et des artistes qui le sont tout autant (Edouard Manet, Piet Mondrian, Gustave Courbet, Paul Cézanne, Jeff Koons, Jean-Dominique Ingres, Martin Kippenberger, Marcel Duchamp, Pablo Picasso, David Hockney,…), des artistes d’autres disciplines tout aussi remarquables (Les Sex Pistols, Kurt Cobain, Michel Houellebecq, Iggy Pop, Marguerite Duras, Jean Luc Godard, Lindsay Lohan, William Burroughs, Oscar Wilde, Marilyn Monroe, Ian Curtis, Honoré de Balzac) – il y a aussi quelques amis et même un chien. Peintes sur bois, elles laissent peu de doutes quant à leur caractère d’icones. Nul doute qu’il s’agisse d’un Panthéon personnel. L’une de ces petites peintures sur bois, qui représente Liz Taylor s’adonnant à la peinture de chevalet dans un décor montagneux aux tons outrés (« Elizabeth Taylor in a landscape, painting nature’s beauty and the caress of the smirking sun over the mountains », 2016) donne son titre à l’exposition toute entière, selon un principe emprunté aux albums de musique, où le titre d’un morceau qui n’est pas nécessairement le tube est aussi le titre de l’album, peut-être parce qu’il synthétise l’esprit de l’album mieux que le tube lui même. C’est alors ce petit tableau représentant Liz Taylor qu’il faudra regarder et regarder encore pour accéder à l’esprit de cette exposition.
Eric Troncy
– Vernissages – Paris – Juin 2016 [source texte : communiqué de presse / © Ida Tursic & Wilfried Mille – Kurt and Courtney – Almine Rech Gallery]
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