Enquête sur la fraude dans le marché de l’art en ligne
Enquête sur la fraude dans le marché de l’art |
Le marché de l’art en ligne est en pleine croissance et est aujourd’hui estimé — selon le dernier rapport publié par Hiscox —, à plus de 1,57 milliard de dollars. Tandis que Christie’s et Sotheby’s investissent ce segment du marché, et que de nombreuses plateformes d’enchères en ligne indépendantes sont lancées, acheter et vendre de l’art n’a jamais été aussi simple et accessible au plus grand nombre. Alors que le marché de l’art en ligne met en avant l’idée de « l’art pour tout le monde » devenant une réalité, ce nouveau marché doit faire face à l’explosion du nombre de faux.
Beaux-Arts vs Accessible Art Le terme « online art market » englobe un large éventail d’acteurs, y compris ceux qui font partie du monde des professionnels de l’art, comme les artistes, les galeries, les maisons de ventes aux enchères ; mais aussi les sites spécialisés dans les ventes aux enchères en ligne — non spécialisés dans l’art — tels eBay et son homologue chinois, Taobao. Parmi ces professionnels, Christie’s et Sotheby’s ont connu des démarrages à succès pour leurs plateformes en ligne respectives ; après une première expérience ratée pour cette dernière, déjà associée à eBay en 2002. Les résultats financiers de Sotheby’s pour le premier semestre de l’année 2014 indiquent que sa plate-forme en ligne BIDnow a attiré presque deux fois plus de clients en un an, tandis qu’en avril 2014, le site a établi un record pour une œuvre vendue en ligne, avec The Birds de John James Audubon, qui a atteint 3,5 millions de dollars. Le mois dernier a également vu le lancement de Bidsquare, un nouveau site d’enchères en ligne mis en place par des maisons de ventes américaines : Rago, Brunk, Cowan, Pook & Pook, Skinner et Leslie Hindman. Bidsquare est réservé à des commissaires-priseurs professionnels, précisant que « l’objectif est d’attirer, les enchérisseurs les plus qualifiés auprès des maisons de ventes aux enchères les plus sérieuses ». En ce qui concerne les sites d’enchères de cette nature, les acheteurs sont convaincus que les œuvres sont authentiques, les œuvres sont contrôlées par des professionnels du monde de l’art avant qu’elles ne soient mises en vente et les collectionneurs sont aux prises avec des noms qu’ils connaissent et auxquels ils font confiance. En réalité, certains commencent même à préférer acheter de l’art de cette manière. Georgia Spray, de la plateforme de ventes aux enchères en ligne The Auction Room, déclare : « Acheter de l’art en ligne est un processus intuitif et efficace, non intimidant pour les primo-acquéreurs et accessible à un public international. Sur The Auction Room, notre logiciel d’enchères permet à nos clients de placer un maximum d’offres qui sont exécutées à leur demande s’ils ne peuvent pas assister à la vente, mais dans le même temps, notre salle d’enchères live conserve la théâtralité et l’excitation des enchères traditionnelles. » Cependant, le succès des sites d’enchères en ligne « dignes de confiance » a également ouvert la porte à des vendeurs moins sérieux ; profitant de la croissance du nombre de plateformes, certains vendeurs moins consciencieux se fondent en effet dans ce marché en plein boom, et dans lequel de plus en plus de transactions d’œuvres de grandes valeurs sont réalisées. Ce n’est pas seulement l’appât du gain qui amène les faussaires à tenter leur chance sur le marché en ligne. Il y a tout d’abord des avantages évidents à faire passer un faux comme authentique en ligne, par opposition à une vente en direct. Il est en effet plus difficile d’inspecter une œuvre en détail, il n’est pas nécessaire de présenter des garanties quant à l’authenticité de l’œuvre, et si elles sont demandées, il n’y a aucune obligation de produire un certificat d’authentification. En outre, les acheteurs fréquentant des sites tels eBay ont tendance à être moins avertis que les clients des marchands d’art reconnus et sont donc plus faciles à duper. Les vendeurs créent des histoires complexes sur la manière dont ils se sont procurés l’œuvre, utilisant un vocabulaire complexe et trouvant des justifications quant à l’absence de documents d’authentification, de manière à ce que leurs offres « incroyables » apparaissent plus crédibles. Ces pièces contrefaites sont accompagnées du peu d’informations permettant de tromper les acheteurs qui n’ont pas beaucoup d’expérience du marché de l’art en leur faisant croire qu’ils sont vraiment tombés sur une bonne affaire. Les falsifications et les contrefaçons sont aussi un problème pour le site d’enchères chinois Taobao. Tout comme eBay, le site n’est pas spécialisé dans l’art, mais certaines transactions de grande envergure y sont organisées — notamment lorsque la Galerie Michel, basée à Beverly Hills, a vendu un tableau de Picasso et une sculpture de Dali à des collectionneurs chinois. L’incroyable croissance du marché de l’art chinois, avec un intérêt grandissant pour l’art occidental, bénéficie en effet à Taobao. Cependant, peut-être plus qu’eBay, Taobao porte une réputation de repères à faux, qui nuit d’ailleurs à tout ce qui est proposé sur le site. Le coût pour le marché de l’art Cette liste de faux proposés sur ces sites ne semble pas avoir empêché les gens de continuer à acheter de l’art sur eBay ou Taobao ; mais quels sont les dommages provoqués par ces affaires sur le marché de l’art dans son ensemble ? Georgia Spray dit : « La fraude de l’art en ligne peut être une préoccupation trompeuse qui donne souvent au marché en ligne une mauvaise presse qu’il ne mérite pas toujours. Tant que les acheteurs feront leurs transactions sur des sites de confiance qui sont les plus transparents et informatifs possible, cela ne devrait pas poser de problème. » En outre, le coût réel pour les artistes et leurs « estate » est énorme. De grandes quantités d’argent sont investies pour lutter contre ce phénomène sur Internet, et rechercher les faux. Le problème est si important qu’en 2012, la Fondation Giacometti et la succession Picasso ont fondé l’International Union of Modern and Contemporary Masters afin de promouvoir la protection juridique « contre la circulation des œuvres d’art contrefaites ». Un des problèmes posés par la vente de contrefaçons en ligne est qu’une fois que les œuvres ont été vendues, elles ont tendance à rester en circulation et sont incroyablement difficiles à suivre ; un faux Matisse est par exemple tombé à trois reprises entre les mains d’experts, et à chaque fois a été jugé inauthentique. Prévenir la fraude en ligne Si ce phénomène est si répandu qu’il parait, alors, quelles précautions les acheteurs doivent-ils prendre pour éviter d’être pris au dépourvu, ou faut-il finalement éviter d’acheter en ligne, même auprès de vendeurs ayant une bonne réputation ? Josh Baer, éditeur de la newsletter « Baer Faxt » et conseiller pour eBay, explique : « La fraude existe en ligne et hors ligne — c’est aux acheteurs d’être raisonnables et aux sites comme eBay de faire preuve de diligence en essayant de garder une longueur d’avance sur les ventes frauduleuses. » Madame Spray appelle également à la prudence : « Si vous achetez hors des sites réglementés, vous devez être très informés de votre marché, en particulier pour certaines catégories où l’on trouve beaucoup de faux. Il est possible d’acheter des objets qui ont une « valeur décorative » sur ces sites, mais les acheteurs ne doivent pas s’attendre à ce qu’ils aient une valeur sur le marché ou une valeur de revente. C’est un pari, en quelque sorte. » En effet, si l’on regarde les lignes directrices d’eBay, elles sont en fait assez claires. Il existe des règles très précises concernant les circonstances permettant de qualifier un travail d’« authentique », garantissant que, pour qu’un travail soit décrit comme tel, il faut être en mesure de produire des « preuves raisonnables de son authenticité ». Le site stipule également que le vendeur doit assumer la responsabilité de l’authenticité et de la légalité de l’œuvre. Les règlements sont aussi très stricts en ce qui concerne le vocabulaire exact utilisé pour décrire les pièces, de sorte qu’il est très clair quand une œuvre est une reproduction ou une réplique. Pour faire respecter ces règles, eBay n’examine pas chaque article mis en vente sur le site (en raison de l’énorme quantité d’articles), mais l’entreprise enquête sur les plaintes reçues de manière très rapide (à la différence de Taobao, qui peut prendre jusqu’à deux semaines pour enquêter sur une plainte, alors qu’il est souvent trop tard). Naturellement, le besoin de rapidité inhérent aux ventes aux enchères en ligne, signifie que l’attente d’une plainte ne peut pas être une option ; dans ce cas, il incombe à l’acheteur de faire usage de bon sens. Dans un article écrit pour Blouin Artinfo, Abigail Esman, s’adressant aux acheteurs, explique : « Vous ne voudriez pas acheter une voiture que vous n’avez jamais conduite, une maison que vous n’auriez jamais visitée. Adoptez la même attitude dans l’achat d’art. » Avant de se précipiter dans une guerre d’enchères passionnante, il faut d’abord prendre le temps d’évaluer correctement la pièce et, si la transaction implique une somme importante, peut-être engager un expert pour un deuxième avis. La recherche sur la provenance d’une œuvre est vitale, tout comme pouvoir voir un certificat d’authentification. Il convient également de rechercher des images de l’œuvre en question en ligne ; si ce n’est uniquement pour vérifier que l’image affichée par le vendeur n’a pas été trouvée sur un moteur de recherche. Les faux : un problème répandu Évidemment, comme Josh Baer le souligne, la contrefaçon est, malheureusement, inhérente au marché de l’art ; tant que l’art aura autant de valeur, les gens tenteront d’obtenir leur part du gâteau. Il est difficile d’oublier l’exemple de la prestigieuse Knoedler gallery, qui a été contrainte de fermer en 2011 après la découverte de la vente de contrefaçons d’œuvres d’artistes majeurs du XXe siècle parmi lesquels Willem de Kooning, Jackson Pollock et Mark Rothko. Ce cas, parmi d’autres, prouve que même les professionnels et ceux ayant une expérience dans le domaine de l’art peuvent être facilement trompés par un faussaire qualifié et compétent. Le risque est toujours plus important lors de l’achat d’un article coûteux auprès de quelqu’un d’inconnu, comme Josh Baer le résume : «Par définition, l’achat auprès de vendeurs connus est plus sûr – c’est pourquoi chez eBay nous proposons un environnement de ce type — mais si c’est « trop beau pour être vrai », méfiez-vous – une attitude à adopter aussi bien en ligne qu’hors ligne. » Certes, il y a de bonnes affaires à faire, mais il faut toujours rester rationnel. Jackson Pollock a établi un record aux enchères lorsque son Number 5 a été vendu pour 140 millions de dollars chez Sotheby’s donc s’il y a une œuvre « originale » en vente pour quelques milliers de dollars, il faut évidemment être sceptique. Malgré tous les efforts que les professionnels du marché de l’art font pour améliorer la détection des œuvres frauduleuses, cette activité reste lucrative ; et le marché de l’art en ligne ne montre pourtant aucun signe de ralentissement. Selon le rapport 2014 d’Hiscox, près de 25 % des personnes âgées de 20 à 30 ans interrogés, ont déclaré qu’ils ont commencé par acheter de l’art en ligne. Le rapport précise également que la valeur du marché de l’art en ligne est appelée à atteindre 3,76 milliards de dollars en 2018. Endiguer la circulation d’œuvres frauduleuses sur le marché est un combat qui concerne aussi bien les professionnels que les acheteurs, qui doivent, dans ce marché en constante évolution, redoubler de vigilance. Art Media Agency |
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