Emmanuel Régent – Regarder fondre le sable – galerie Analix Forever
les plus fous comme les plus sages
nous n’avons fait que ramasser
quelques cailloux sur le rivage…
Le rivage, limite ténue mais séculaire entre le liquide et l’humain, Régent l’a élu pour y vivre. Pour y vivre, c’est-à-dire y travailler : son atelier a presque les pieds dans l’eau, il s’accroche sur le chemin de ronde des rochers de Villefranche, au sud de la France. Et sur sa terrasse Régent observe le vent et la manière dont, subreptice, il fait tourner et s’accumuler les feuilles, avec une systématisation dont la science ne fait jamais défaut. Et en regardant la mer, il voit ces files d’hommes, infinies, qui ont passé par là ; ces files d’hommes qui attendent, à Marseille, de prendre le bateau pour les Etats Unis pendant la dernière guerre, comme André Breton et Claude Lévi-Strauss qui se retrouvèrent dans la même file, et tant d’autres – ou de monter dans un train, vers la déportation, ces files d’hommes et de femmes et d’enfants qui partout dans le monde attendent de pouvoir rejoindre un ailleurs cruel, La file d’en bas, La file d’en haut, La file à l’escalier, La file en doute, des files qui s’allongent encore et encore, comme celle du Kinderkreuzzug de Brecht, jusqu’à traverser le ciel – jusqu’à ce que La file ne s’allonge plus.
Emmanuel Régent ne prétend pas faire du jamais vu – et c’est comme pour souligner ses multiples références, politiques, artistiques, visuelles, qu’il nous dit que Nous en avions déjà parlé, certes – mais Ils ne l’ont pas encore dit. Les hommes n’auront jamais fini d’essayer de dire, de créer, d’ « extérioriser cette intériorité, selon les termes de Dimitris Dimitriadis, par l’acte créateur, à partir de la condition matérielle de chaque être humain. » Ils ne l’ont pas encore dit – la révolte ne sera jamais assez criée – mais les groupes d’hommes qui parlent n’en évoquent pas moins d’autres histoires de l’humanité d’un temps, les représentations de groupes ceux d’un August Sander, le rapport au vide et à la ligne, à l’exode et à l’exil, celui d’un Gérard Gasiorowski, référence essentielle pour Emmanuel Régent. Quant à la manière de dessiner, avec passion, avec obsession, presque comme un graveur, en laissant tout le vide nécessaire au mouvement de la file, au regard et au pas du spectateur aussi, elle évoque celle d’un Alighiero Boetti.
Redite jamais, reprise toujours, l’humanité file, chacun de nous est l’un de ces individus dans l’une de ces files qui montent l’escalier de l’Atelier d’Art contemporain Analix Forever à Genève, un espace minuscule que l’artiste a réduit encore, pour en faire ce lieu de passage, de passage des files, de la rue à la mezzanine de la galerie, un chemin de ronde symbolique le long duquel les oeuvres de l’artiste prennent leur sens, comme une élévation, vers une sortie de la caverne, vers le haut.
Né à Nice, Emmanuel Régent, diplômé de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris en 2000, vit et travaille entre Paris et Villefranche-sur-mer où se situe son atelier. En 2009, Emmanuel Régent est lauréat du Prix « Découverte » des Amis du Palais de Tokyo où à été présentée l’année suivante son exposition personnelle intitulée « Mes plans sur la comète/Drifting away ». Première exposition personnelle d’Emmanuel Régent à Genève, Regarder fondre le sable s’inscrit dans une suite serrée d’expositions à Paris et à Genève, depuis janvier 2013, à la Galerie municipale de Vitry, chez Caroline Smulders à Paris, à Art-Genève (Caroline Smulders), à Drawing Now en avril avec Analix Forever. Emmanuel Régent est également finaliste du Prix Canson 2013.
Emmanuel Régent – Regarder fondre le sable
Du 14 mars au 27 avril 2013
Vernissage le 14 mars à partir de 18h
Galerie Analix Forever
2, rue de Hesse
Genève
A (re)découvrir sur Artistik Rezo :
– Rencontre avec Emmanuel Régent (mars 2010)
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