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Électriser l’art : un entretien avec Pablo Wendel

10 janvier 2015
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Électriser l’art : un entretien avec Pablo Wendel

Le 9 janvier 2015

Le 9 janvier 2015

Le travail de l’artiste allemand Pablo Wendel a été mis en lumière en 2006 lorsque, à l’occasion d’une performance, il s’habilla comme l’un des célèbres guerriers en terre cuite de la Chine ancienne, datant de plus de 2.200 ans et resta debout au milieu d’entre eux dans leur tombe antique, avant d’en être délogé par les autorités. Près de dix ans après cet exploit, qui a fait le tour du monde des gros titres, Pablo Wendel travaille sur un projet démarré en 2012 intitulé « Performance Electrics ».

Ce projet, qui va occuper la station du Congrès de Bruxelles pendant cinq semaines dans le cadre d’AGENCY AGENCY, le programme de résidence de l’artiste, va produire de l’électricité avec de l’art, électricité qui sera injectée par la suite dans le réseau d’énergie national. AMA s’est entretenu avec Pablo Wendel pour en savoir plus à propos de ce projet, ses perspectives et sur le fait d’avoir créé une œuvre qui attire autant l’attention des médias.

Quel a été votre parcours ?

À la base, j’ai suivi une formation de sculpteur sur pierre puis, par la suite, j’ai étudié l’art à Stuttgart, principalement la sculpture. Ensuite, j’ai obtenu un diplôme au Royal College of Art de Londres. Il y a trois ans, j’ai créé la société appelée Performance Electrics, dont je suis actuellement le PDG.

Pouvez-vous nous expliquer le projet Performance Electrics ?

Le concept est très simple. Performance Electrics produit de l’énergie à partir de l’art. Cette énergie, qui n’est pas une énergie normale comme celle qui est générée par le nucléaire, nous l’appelons Kunststrom. Elle peut être réinjectée dans le réseau de distribution : nous sommes le premier fournisseur mondial d’électricité artistique. C’est l’idée. Les gens peuvent changer de fournisseur d’énergie en notre faveur. C’est très facile de changer de contrat. Pour le moment ce n’est possible qu’en Allemagne, mais nous travaillons pour pouvoir la distribuer en Europe. Nos clients reçoivent de l’énergie, mais grâce à l’abonnement mensuel, ils soutiennent également les arts. Nous sommes une structure non lucrative qui réinvestit l’argent dans de nouveaux projets artistiques.

Sur votre site, vous le décrivez comme un « projet d’entreprise subversif ». C’est assez inhabituel de voir l’art relié de manière si explicite au business… Pensez-vous que la combinaison surprenne ?

Non, ce n’est pas inhabituel je pense. Je pense qu’il est bon, pour un projet artistique, de monter une nouvelle voie dans laquelle la société peut travailler et utiliser l’économie. Prenons l’exemple des déchets : normalement, plus vous utilisez d’énergie, plus vous vous sentez coupable et mal à l’aise parce que vous polluez l’environnement. Mais si vous utilisez Performance Electrics, ce sentiment devient positif parce que vous soutenez quelque chose de positif, vous soutenez un artiste à l’autre bout du câble, celui qui produit de l’énergie pour vous. Je pense que c’est très intéressant, ce moment où les déchets deviennent quelque chose de positif.

Sur un modèle économique totalement différent, le marché de l’art se base généralement sur la vente de quelque chose de matériel comme une sculpture ou une peinture. Mais nos artistes ne vendent rien de matériel, nous vendons de l’énergie qui, une fois utilisée, disparaît. Comme pour une performance, ou du théâtre, nous vendons une expérience. L’énergie est immatérielle, éphémère, intangible. Elle est comme une métaphore. L’image que l’on se fait d’un artiste en train de travailler n’a rien à voir avec le fait de consommer quelque chose de produit industriellement. Elle vous fait réfléchir, au moment où vous utilisez votre énergie : qu’est-ce qui se passe à l’autre bout du câble ?

Pensez-vous que l’art soit compatible avec le commerce ? Pensez-vous que relier art et business change la manière dont les artistes créent ?

Oui, je pense que cela peut avoir une influence sur notre société, en montrant d’autres modèles. D’une certaine manière, c’est un modèle utopique. Tout est fonction de perspectives. C’est le pouvoir de l’art : vous pouvez changer de position et donner aux autres une autre vision du monde. Je pense que c’est très puissant.

D’une manière plus générale, qu’est-ce qui vous motive ? Quel est votre but ?

En tant que PDG, j’essaye de produire de la sagesse énergétique et de convaincre les gens d’y participer. Plus les gens utilisent de l’énergie, plus nous pouvons générer de projets artistiques.

Quelle est l’importance de l’environnement dans votre travail ?

J’ai toujours été très intéressé par la nature et les questions de pollution, mais je ne pense pas qu’il s’agisse de ma force principale, c’est l’art qui me motive. Je ne pense pas que l’on puisse nécessairement utiliser l’art pour quelque chose d’une portée tellement politique. Indirectement, je pense quand même que le projet peut amener les gens à réfléchir aux questions environnementales, en les sensibilisant. Je pense qu’il s’agit d’une des qualités de l’art, c’est la première étape pour changer le monde et la manière dont on le pense. C’est vraiment très important et ça nous aidera sur le long terme.

Vous allez effectuer votre résidence dans une ancienne gare ferroviaire. Est-ce que vous cherchez à travailler hors du circuit des galeries et des structures classiques ?

J’ai vraiment hâte d’être à Bruxelles. C’est une chance immense pour nous d’aller ailleurs pour présenter notre concept. C’est tellement drôle, car nous produisons de l’art, mais nous ne sommes pas intéressés par le produit final. À la place, tout est à propos du processus et de l’énergie qu’il produit. C’est ainsi que vous commencez à voir les choses différemment. Il y a l’aspect visuel, l’aspect artistique, l’aspect commercial, mais derrière tout ceci il y a l’énergie. Si vous pensez à la manière dont on produit de l’énergie, où finit-elle ? Le réseau de distribution, par exemple, vous l’imaginez comme un bâtiment abstrait. Avec tous ses câbles et ses pylônes, vous obtenez la plus grande sculpture d’Europe, voire du monde. Avec l’idée d’une nouvelle énergie, on se demande où l’œuvre commence et où elle s’achève.

Parlez-nous de votre autre œuvre, avec les guerriers de terre-cuite. Qu’est-ce que ça fait d’avoir été projeté soudainement en pleine lumière médiatique ?

Et bien c’était très intéressant, car j’avais eu un peu de presse avant, mais rien de fou et après cette performance c’est devenu totalement dingue ! J’ai été très surpris car rien de tout cela n’a été planifié, je ne m’y attendais pas. Lorsqu’ils m’ont sorti de la tombe, j’ai pensé qu’ils ne laisseraient rien filtrer au niveau des médias, mais j’ai été très surpris par leur réaction assez moderne : ils ont utilisé toute cette couverture presse pour le musée. L’objet de la performance était d’apparaître comme une sculpture au milieu de cette armée de terre cuite millénaire.

C’était la confrontation d’une véritable armée gardant une armée de sculptures. Ils ont conservé la même position, avec le même salut, donc la situation proposait un questionnement très intéressant sur ce qui a changé pendant deux millénaires. En tant que sculpteur, c’était très intéressant pour moi de me changer en sculpture. J’ai même dû m’entraîner en faisant de la méditation pour pouvoir rester parfaitement immobile.

Art Media Agency

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