0 Shares 1307 Views

Dépasser les frontières du dessin avec Abdelkader Benchamma

30 septembre 2015
1307 Vues
benchamma

Dépasser les frontières du dessin avec Abdelkader Benchamma

AMA

benchamma copieAbdelkader Benchamma est un artiste contemporain français (Mazamet, 1975). Son principal médium est le dessin, dont il a décidé d’étendre au maximum les frontières.

 

Diplômé des Beaux-Arts de Montpellier et de l’école nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2003, il a fait ses débuts à la galerie du jour agnès b. avec l’exposition « Draw! » en 2002.

En 2015, son travail a déjà été récompensé par deux prix (Prix Drawing Now et premier lauréat du prix Art[ ]Collector) et Abdelkader Benchamma fait partie des six artistes nommés pour le Prix Meurice pour l’art contemporain. Il a, en outre, exposé au Frac Auvergne et au Drawing Center de New York. Dans le cadre d’Art[ ]Collector, il est exposé jusqu’au 3 octobre 2015 au Patio Opéra, à Paris. Art Media Agency est parti sonder l’homme et l’artiste.

L’année 2015 est celle des prix pour vous — Drawing Now, Art[ ]Collector, et vous êtes dans la shortlist du prix Meurice pour l’art contemporain. Ressentez-vous l’impact de ces distinctions ?

J’ai plutôt pris cela comme la reconnaissance du travail effectué toutes ces dernières années. Le dessin peut être laborieux, fait de transformations assez lentes. Par exemple, depuis quelque temps, j’ai envie que mes dessins sortent du papier, qu’ils aient moins peur d’occuper l’espace et qu’ils aillent vers l’installation, vers la sculpture.

Du coup, ces prix sont pour moi un encouragement et cela me fait très plaisir, mais on ne peut pas dire qu’ils provoquent une véritable fièvre. Les choses ont surgi simultanément : le projet du Drawing Center à New York et d’autres expositions étaient déjà en cours avant que je ne reçoive ces prix.

Ces prix concluent-ils la première phase de votre carrière ? Sont-ils le symptôme d’une rupture ?

Ce sont plutôt des évolutions, avec des moments d’accélération. Je ne suis pas un artiste de rupture. D’ailleurs, l’exercice du dessin est, à l’instar de l’écriture, quelque chose de journalier ; cela mûrit lentement.

Après, je pense qu’il est également temps de déplacer ma manière de travailler. Je commence à être assisté d’équipes pour le montage des expositions ; de nouvelles organisations et manières de travailler se mettent en place. Je dois travailler plus en amont des expositions aujourd’hui.

Vous dessinez tous les jours ?

Plus ou moins, selon les périodes. J’ai toujours des carnets qui sont des supports de réflexions, de notes, de projets.

Comment avez-vous préparé vos expositions jusque-là ?

Jusqu’à présent, de manière organique. Je produisais des dessins plus ou moins en fonction du lieu, et que je sélectionnais par la suite. Je produis assez peu donc jusqu’à maintenant, j’ai souvent exposé la quasi-totalité de mes œuvres.

Avec mes derniers projets, j’ai dû fournir plus d’organisation — avec des maquettes, la prévision des œuvres…

Et cela vous plaît ou a tendance à vous étouffer ?

Cela s’est bien déroulé au Frac Auvergne. L’équipe était satisfaite et les dix jours de montage assez intenses m’ont permis d’aller plus loin dans mon travail sur l’espace — en instaurant une distance avec mon travail.

Les questions d’accrochage et de distance dans un lieu donné sont importantes pour moi. Elles déplacent en fait les problématiques de la feuille vers l’espace. Cela canalise l’inspiration.

Quels sont vos projets pour l’année à venir ?

On prépare une grande exposition pendant Art Dubaï avec la galerie Isabelle van den Eynde à Dubaï. J’aimerais y pousser l’aspect installation du dessin. Je commence à travailler sur l’exposition, ce qui est nouveau pour moi : moins dessiner, mais se concentrer sur le travail en amont, sur le propos, sur l’agencement, etc. C’est assez stimulant.

Après la feuille, les réalisations in situ et les installations, quelle sera la prochaine étape ?

Après on arrête ! L’installation est quelque chose d’infini. Ce qui est génial, c’est que le dessin qui peut paraître limité — en deux dimensions et en noir et blanc — s’ouvre avec la perspective de l’installation.

Votre travail est très sériel, et vos dessins ont de grandes disparités formelles. Y a-t-il, hormis le médium, un fil rouge dans votre pratique ?

Il y a toujours l’idée d’une transformation — de l’espace et de la matière notamment — et la volonté de représenter des transformations très rapides ou très lentes, invisibles à l’œil nu.

Deux pôles émergent de mon travail : cette fascination pour les matières en mouvement, les flux liquides ou gazeux, et, la manière à laquelle ces transformations peuvent créer des états hallucinatoires pour nos perceptions, créer un déplacement du réel — et surtout l’inquiéter. Il y a parfois des choses naturelles, comme les coupes de minéraux, dans lesquelles on peut se projeter et lire des formes indépendantes et hasardeuses. Le cerveau nous ramène toujours à nos connaissances préalables.

Le livre Random — édité avec le Frac Auvergne — amène cette idée plus loin, jusqu’à la narration, mais sans bulles, ni cases, ni scénarios. Dans ce projet, j’ai construit un récit par des transformations successives, qui jouent avec les échelles et interagissent dans des paysages : une sorte de flux narratif.

Avec une telle diversité de pratiques, que considérez-vous comme l’essence du dessin ?

Le noir et blanc. Après, le dessin se caractérise par un côté très direct, presque littéraire. Il naît toujours d’une idée ou d’une perception. J’aime cette rapidité, cette absence de filtre entre l’idée, sa conception et sa réalisation, très directe. Le dessin est immédiat.

Travailler le noir et blanc, c’est aussi une manière de s’inscrire dans l’Histoire. Je pense notamment aux gravures de Gustave Doré que j’ai retravaillées, certaines estampes d’Hokusai, etc. Souvent la couleur me paraît accessoire.

Vous avez la particularité de travailler sans premier jet, sans esquisse. Pourquoi vous en passez-vous ? Voyez-vous cela comme un filtre gênant ?

Il y a plusieurs raisons. D’abord, c’est plus rapide ! Certains dessins peuvent se faire très vite, parfois en 20 minutes. Dans ces cas-là, le moindre trait est important. Il y a une véritable tension qui se crée. On est en équilibre. En revanche, pour les projets complexes j’utilise le crayon. Il faut déplacer les règles selon les situations.

Vous semblez touché par la science, ne serait-ce que dans les titres de vos expositions, comme Dark Matter (la matière noire). L’abstraction s’est construite par l’expérience de l’in-montrable au début du XXe siècle, face aux avancées de la science justement (Jean Clair). D’une certaine manière, votre travail réactualise-t-il cette idée ?

Je crois que la science offre de nouveaux champs de perception du vide, de la matière, de l’infini, de nouvelles questions métaphysiques. Je trouve cela rassurant et non inquiétant de voir qu’il existe ces champs d’études, l’homme est également remis à sa place.

Random illustre aussi cela, les personnages n’apparaissent que durant quelques pages pour symboliser notre passage éphémère.


Il y a un côté « vanité » dans votre travail ?

On peut dire ça, oui. Au moment de mes premiers dessins, je lisais beaucoup d’auteurs de l’absurde comme Beckett, Kafka. J’aime beaucoup l’auteur américain Don DeLillo qui met en scène l’homme contemporain face à ses besoins de croyances, ses paranoïas.


Comment vous nourrissent ces lectures ? Les références semblent importantes chez vous.

Je ne sais pas vraiment, c’est un cheminement complexe. Cela mature des fois longtemps, crée un univers qui va conforter ou me pousser à aller vers certains thèmes. Je suis assez obsessionnel avec certains thèmes. Parfois je prends le risque de m’aventurer en terre inconnue, parfois je travaille plutôt comme un artisan, de façon sérielle.


Vous avez dit lors du vernissage Le soleil comme plaque d’argent mat. « Le dessin est par essence faux ». Pourquoi ?

Parce que c’est toujours une représentation, une image de quelque chose. C’est la pipe de Magritte, cela faisait écho à certains dessins exposés que je n’ai pas pu mettre en scène réellement comme je le souhaitais, où je joue plus sur le côté factice du décor. Il y a des sortes de mises en abîme où le dessin est comme sur un faux mur. Des dessins dans mes dessins.

Courtesy Galerie du jour – agnès b / © Abdelkader Benchamma – Sans titre, encre sur papier, 2011


Art Média Agency

Articles liés

“Tant pis c’est moi” à La Scala
Agenda
76 vues

“Tant pis c’est moi” à La Scala

Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...

“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
Agenda
92 vues

“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête

C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...

“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Agenda
113 vues

“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée

Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...