De la passion et de l’ambition : Entretien avec Laurent Dassault
De la passion et de l’ambition : Entretien avec Laurent Dassault |
Le 2 octobre 2014
Administrateur de la société des Amis du Musée National d’Art Moderne – Centre Pompidou, du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et Président des Amis du FRAC Aquitaine, Laurent Dassault a fait de sa passion pour l’art une activité à temps plein. En plus de la trentaine de mandats qu’il exerce, le petit-fils du légendaire Marcel Dassault et de Serge Dassault, est aujourd’hui administrateur de la maison de ventes Artcurial et co-gérant d’Artcurial investissement. Depuis 2009, il développe également deux galeries spécialisées dans le dessin contemporain, basées à Pékin et à Hangzhou, aux côtés de ses complices Hadrien de Montferrand et Olivier Hervet. Art Media Agency a rencontré Laurent Dassault qui revient sur son parcours, ses ambitions personnelles et professionnelles. Pouvez-vous nous présenter votre collection ? Toute collection vient d’une histoire. Ma collection vient de mon grand-père, Marcel Dassault, qui était ce que j’appelle, un collectionneur de murs ! Il ne collectionnait que ce qui pouvait intégrer ses intérieurs. C’était un passionné des impressionnistes, qu’il avait découverts étant petit. Du côté de mes parents et frères et sœurs, il n’y a pas vraiment eu cet attrait pour la collection. La constitution d’une collection c’est l’histoire d’une vie, et l’œuvre d’une vie c’est la constitution d’une fondation. La réussite d’une vie c’est de construire la structure pour abriter sa collection. J’espère pouvoir le faire un jour. Plutôt que collection, je préfère dire « univers de plaisir ». Petit, je rêvais d’avoir un tableau de Chagall, un d’Egon Schiele, un de Bacon, Basquiat, Magritte, ou encore un Lucian Freud. Plutôt que d’avoir dix tableaux d’un même peintre, je préfère en avoir un de chaque, mais un fort. Je suis à la fois dans la collection du rêve et de la souffrance. J’ai également des coups de cœur de peintres français qui ne sont pas encore réellement reconnus à l’international, dont Garouste, que j’apprécie énormément. J’aime également beaucoup le travail de Bernar Venet. Une collection ne se construit pas toute seule. J’ai la chance d’avoir une femme qui a ce que l’on appelle « un œil » et qui m’a aidé à construire ce que l’on possède aujourd’hui autour de l’art contemporain. Mon premier achat était d’ailleurs un tableau de van Riesenberg, que j’avais acquis chez Artcurial, qui était à l’époque la galerie de L’Oréal, avenue de Matignon. Ma première épouse s’intéressait plutôt à l’art ancien, aux meubles et tableaux du XVIIIe siècle, avant que nous nous mettions à l’art contemporain. Ma seconde compagne avait quant à elle déjà constitué une collection avec son précédent mari. C’est elle qui m’a initié à l’art contemporain, même si à l’époque, je fréquentais déjà les galeries de Daniel Templon ou d’Yvon Lambert. Je ne suis pas pour l’accumulation ou la conservation en zone de stockage. Je préfère faire tourner ma collection, j’aime le renouvellement. Par exemple, je vends en ce moment une sculpture de Lalanne. Je ne veux pas collectionner pour collectionner, sauf à avoir la chance de disposer d’un espace. Le projet de créer une fondation est-il avancé ? Je crois que cela fait partie d’un cycle de vie. L’avantage de créer une fondation c’est qu’elle est en elle-même une œuvre d’art. Lorsque vous allez au Musée Guggenheim à Bilbao, il n’y a rien dedans, mais les gens viennent pour voir le bâtiment en lui-même. Je n’y travaille pas encore activement, c’est trop tôt. Il faut peut-être aussi être plus avant-gardiste que je ne le suis. Lorsque vous voyez les œuvres qui sont présentées au Palazzo Grassi à Venise, les murs de tapis me dépassent un peu. Je suis dubitatif. Je trouve que cela va trop loin. Il ne faut pas être trop avant-gardiste par rapport au public. En ce qui concerne Artcurial, quelle est aujourd’hui la structure de l’actionnariat ? Le Groupe Dassault est majoritaire. Les Commissaires-Priseurs nous ont accompagnés dès le départ, aux côtés de Michel Pastor qui nous a malheureusement quitté l’année dernière. Quel est selon vous l’avenir des maisons de ventes françaises ? Il y a deux maisons de ventes qui sont mondiales, et des maisons locales, qui ont leurs niches et leur clientèle. Pour Artcurial, ce sont les voitures de collection, l’art déco, la BD, le street art, les bijoux, les montres, le vin. Nous avons notre clientèle et notre image, et il y a de la place pour tout le monde. Une collection d’importance moyenne n’ira pas chez Sotheby’s ou Christie’s, elle viendra chez nous. Une ancienne maîtresse de Picasso est ainsi venue nous voir en nous proposant une dizaine de dessins, parce que nous sommes les plus à même de bien vendre ce genre d’objets. Pensez-vous qu’il y ait de la place pour tout le monde en France ? Vous, Drouot, etc. ? Drouot est plombé par les affaires qui l’ont secoué. Le marché de l’art est basé sur la confiance et à ce titre Artcurial a très bien trouvé sa place, Drouot a perdu la sienne et c’est bien dommage car c’était une maison exceptionnelle. Si l’on cherche à analyser notre réussite, je pense que notre espace y est pour 50 %. Les autres 50 %, ce sont les savoir-faire de l’équipe. Moi, par exemple, je ne suis pas commissaire-priseur, je ne saurais pas vendre de voitures de collection, mais Hervé Poulain est l’un des plus grands experts au monde de cette spécialité, ce qui forcément amène les collectionneurs de voitures anciennes chez nous. Quel est le modèle de développement d’Artcurial pour le futur ? La croissance externe. Il nous faudra, un jour ou l’autre, ouvrir des bureaux de ventes à New York et Hong-Kong, soit en formant une alliance avec une société familiale du même type que nous, soit indépendamment. Pour l’instant, nous ouvrons des bureaux de représentation à Milan, Bruxelles et bientôt à Vienne, ce qui est plus facile. Il s’agit d’espaces de relais où nous exposons les œuvres qui seront vendues à Paris et cherchons de nouveaux inventaires à apporter pour Paris. Mais l’avenir passe définitivement par New York et Hong-Kong. Si nous ne nous développons pas, nous stagnerons puis mourrons. Aujourd’hui nous réalisons 105 M€ de chiffre d’affaires au premier semestre 2014, +14,6% par rapport à 2013, et 178,1 M€ pour l’année 2013, un chiffre également en augmentation, de +25% par rapport à 2012. Nous voulons doubler notre chiffre d’affaires d’ici cinq à six ans. Il est impératif de désormais trouver notre second souffle, un relais de croissance à l’international. C’est ce challenge qui nous attend. Et ce qui est formidable, c’est qu’à l’exception de Remy Le Fur qui a choisi une autre voie, toute l’équipe de départ est encore là pour le mener à bien et le travail de notre Président Nicolas Orlowski est remarquable à tous points de vue. Envisagez-vous d’autres axes de développement ? Cela dépendra beaucoup des opportunités ! Il y a toujours des volontés de développer en interne, mais encore une fois, Artcurial est un prestataire de services ; ce qui fait notre force et qui doit rester le cœur de nos préoccupations, c’est la marchandise que nous arrivons à proposer. Vous avez aussi accompagné Hadrien de Montferrand pour ses galeries en Chine. La galerie fonctionne très bien désormais ; en 2013 nous avons ouvert un second espace à Hangzhou. Nous ouvrirons certainement une troisième galerie. Le succès commercial est vraiment présent. Un tout autre avantage d’ouvrir cette galerie, c’est d’avoir directement accès aux artistes, de visiter leurs ateliers et de pouvoir acheter simplement auprès d’eux. À titre personnel, achetez-vous également de l’art contemporain chinois ? Oui bien entendu. Avec Hadrien, j’ai la chance d’aller dans des endroits improbables, où l’on se croirait parfois au XIXe siècle ou au contraire au centre d’usines immenses. Nous visitons des ateliers. Nous découvrons à ces occasions des artistes incroyables. Le renouvellement du talent des artistes chinois est à ce titre épatant. Vous êtes également membre du conseil de l’ADIAF, comment vous y impliquez-vous ? Un de mes amis, un banquier suisse de Lombard Odier, mécène du Prix Marcel Duchamp, remplacé depuis par Lazard Gestion, m’a fait entrer dans le cercle de l’ADIAF et m’a demandé si je pouvais mettre à disposition l’hôtel Marcel Dassault pour recevoir le dîner du prix, pendant la FIAC, lorsque les collectionneurs du monde entier sont à Paris. Je pense que c’est un des plus beaux événements privés auxquels j’ai eu la chance de participer. Ce réseau de collectionneurs est un des mieux organisés au monde… Voyez-vous de nouveaux axes de développement pour l’ADIAF ? Je suis encore trop jeune dans l’ADIAF pour pouvoir pousser mes idées, mais je compte m’y impliquer de plus en plus. C’est un chaudron magique ! Il y a des gens tellement différents dans cette association ; c’est pour moi ce qui en fait toute sa richesse et toute sa force. Quel est votre point de vue sur le marché français en général ? La France est un pays de création, un pays qui a une culture forte et une histoire avec les artistes. C’est un pays de patrimoine tout autant que de passion. J’y rencontre nombre de personnes épatantes et je suis persuadé que le marché de l’art français a un très bel avenir ! Art Média Agency |
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