D’Acier – drame de Stefano Mordini
« L’adolescence est un âge en devenir », écrit Silvia Avallone au début de son roman. C’est avec elle, qui nous a accompagnés dans la « zone » comme un « stalker », que nous avons entrepris ce voyage. À travers les souvenirs de son adolescence et les récits de ses amis, qui à dix-huit ans, sont passés directement des salles de cours des lycées techniques à l’usine sans avoir rien connu du monde, hormis le bref passage d’un été.
Seuls ceux qui travaillent dans l’usine ont le droit d’en franchir les grilles et les histoires qui se déroulent à l’intérieur se nourrissent de récits mythiques et d’anecdotes transmises de père en fils. Nous aussi, nous avons franchi ces grilles et nous avons appris à connaître les machines par leur nom, à comprendre comment elles fonctionnent et quel rôle elles jouent dans la chaîne de l’acier, cet alliage qui n’existe pas dans la nature.
Silvia, à travers les personnages d’Anna et de Francesca, nous raconte les inquiétudes des mères et le dur travail des pères, ouvriers sidérurgistes. Ces pères qui ont cru que l’usine leur survivrait et qui, forts de cette certitude, ont pensé qu’ils seraient récompensés de leur travail en assurant, d’une manière ou d’une autre, un emploi à tous leurs enfants. Un espoir resté vain. Il ne leur reste aujourd’hui que le doute, mais aussi une volonté, celle de revendiquer l’identité ouvrière, sachant qu’ils ont fait leur devoir.
Dans l’aciérie, au milieu des hauts-fourneaux, de la fumée et des poussières qui appesantissent les épaules, un jeune homme nous confie être heureux dans son travail : « Je n’ai pas fait d’études. Quand mes amis bûchaient pour réussir leurs examens à la fac, je jouais dans un groupe de hard rock. J’assume le choix que j’ai fait à l’époque et aujourd’hui, je ne prétends à rien d’autre qu’à ce travail qui m’assure un salaire régulier. Certes, j’aimerais bien prendre mon indépendance, je vis encore chez ma mère, mais je ne peux pas me le permettre ».
Alessio, dont nous savions déjà qu’il serait interprété par Michele Riondino, écouta cet homme des mois plus tard, dans un bar devant un verre de bière. Mais la situation avait déjà changé. L’usine vivait un moment difficile, on évoquait la nomination d’un administrateur provisoire et ce jeune homme était effrayé. Le projet du film avait perdu de son attrait. Le réel gangrenait tout. Il avait peur qu’on dise du mal de l’usine, il la défendait, c’était sa sécurité, « son » usine.
Haine et amour pour les usines – ces grandes cathédrales reflets d’une puissance passée – orgueil pour la qualité des produits, angoisse face aux rumeurs qui courent sur la direction, protestations contre les politiques territoriales. Ce sont là les thèmes auxquels nous nous sommes confrontés pendant des mois durant l’écriture et la préparation du film.
La caméra ne filmait pas encore, mais c’était comme si elle le faisait déjà. Dans la fugacité du cadre cinématographique, il reste presque toujours une synthèse des moments vécus.
Anna et Francesca sont jeunes et nous les avons choisies sans hésiter parmi neuf cents jeunes filles. Elles sont de Piombino, mais ce n’était pas la seule raison. Anna/Matilde Giannini m’écoutait les yeux baissés, elle était fuyante, mais c’était sa manière à elle d’écouter, avec cette grâce si particulière qu’elle a apportée à son personnage. Francesca/Anna Bellezza regardait droit dans l’objectif avec une constance inoubliable et son regard, un regard boudeur, est l’essence même de Francesca. À la fin du film, il reste à jamais imprimé dans nos coeurs. Elena/Vittoria Puccini est le désir d’Alessio.
Vittoria est parvenue à mettre à jour les failles de son personnage, son manque d’assurance, ses incertitudes et surtout sa peur de faire un choix entre partir ou rester. Un choix difficile qui peut être parfois synonyme de contrainte ou d’étouffement. En revanche, Alessio/Michele Riondino se bat avec stoïcisme et détermination pour maintenir le statu quo, car les changements advenus au cours des dernières années n’ont rien apporté de bon. Résister, rester, assumer ses propres responsabilités, ce sont là les caractéristiques de sa rébellion.
Stefano Mordini
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Mostra de Venise 2012 (nomination : Giornate Degli Autori – Venice Days)
Cinémed – Festival Méditerranéen de Montpellier 2012
Grand Prix des lectrices de Elle 2012
Prix des lecteurs de l’Express 2011
D’Acier
De Silvia Avallone
Avec Michele Riondino, Vittoria Puccini et Anna Bellezza
D’après le roman D’acier
Durée : 95 min.
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