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Critique d’Un nageur en plein ciel de Lorent Idir: Carnage de l’instant

26 mars 2010
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Lorent_Idir_Un_nageur_en_plein_ciel

 

Première partie, Nyons banlieue du sud, un petit gars, Amar, traîne avec ses potes Pois Chiche et Rico, déambule entre les chantiers, l’école, la cellule familiale. Happé par la présence écrasante d’un père qui détruit tout ce qu’il touche, Amar affronte la vie comme il peut, se débrouille avec les moyens du bord. Tout en dépeignant la cruauté et folie des adultes qui viennent souiller le monde des enfants, l’auteur parvient à apporter une certaine ironie permettant de reprendre un peu son souffle. Ensuite c’est Lorent qui parle, jeune homme « seul et multiple » qui doit grandir plus vite. Ses visites quotidiennes auprès de sa mère brisée par la maladie sont autant d’épreuves pour lui-même et dans ses relations avec les autres : le personnel hospitalier, les amis, l’oncle Amar débarqué du sud, une fille…

Avec ce premier roman, on pense au culte « Last exit to Brooklyn » d’Hubert Selby Jr, « Rafael, derniers jours » de Gregory McDonald ou encore Nick Cave. Moins religieux que ces deux derniers, Lorent Idir y injecte la même noirceur, la même violence. Ces personnages ont en commun cette nécessite de continuer à avancer, surtout ne pas rester immobile au risque de mourir étouffé sous la crasse du monde.  Les mots s’entrechoquent, font mal au corps et au cœur. Le langage très imagé et une narration chaotique s’inscrivent dans une littérature qui ébranle, qui cogne là où ça fait mal. « Un nageur en plein ciel » est dérangeant et organique, le corps y présenté sous toutes les coutures, loin d’être un objet passif, il est fait de violences, de douleurs. Organisme qui prend des coups, saigne, pète, éjacule, organe de désir aussi mais qui finit toujours par se dégrader et mourir alors que le liquide continue de se répandre goutte-à-goutte dans les veines.

 

« La bile remonte, aigre et acide, et vient souiller mes vêtements et le carrelage de la salle de bains. Je gerbe tout ce que j’ai, allant chercher au fond de mon ventre. Mon ventre s’actionne comme une presse géante, grondante, énorme, brutale, accroupisseuse de bonhomme. Mon ventre me laisse chaos, zéro en dessous de l’évier. L’eau qui coule se moque de moi avec son calme olympien de coureur de demi-fond. Sur moi, ma gerbe qui s’écoule encore dans un filet de bave de ma bouche au carrelage, sur lequel s’est formée une flaque puante. Je ne pense plus à rien. Je veux me laisser aller. Poser ma tête dans mes vomissures encore chaudes, pour fermer les yeux et disparaître, m’autodigérer en quelques secondes. Devenir un peu de mon vomi, qui m’a coûté un effort immense, une douleur tortueuse »
 

Ce roman interroge aussi la relation aux personnes. Est-ce qu’on peut toucher l’autre sans lui donner de coups ? Amar doit faire son chemin entre une religieuse tripoteuse, ce père « une pièce importée », au service de la France, cette sœur qui s’arrache inlassablement les cheveux comme le renard lacère sa patte blessée et il y a Lorent qui sourit  trompeusement,  tous sont autant de morceaux d’une même humanité. Chacun a le droit à sa propre vie mais « c’est pas aussi facile que de bouffer une glace »(1), comment continuer avec une personne proche en train de mourir ? Comment on s’y prend avec les autres, « les vivants », ceux qui ont besoin de nous ?

 

Avec ces mots qu’il presse, triture et tranche, Lorent Idir fait émerger de ce « nageur en plein ciel » une œuvre dérangeante, violente et d’une intensité émotionnelle nécessaire.

 

« Rico, lui, il nous a montré un truc super, et même carrément génial. Quand on a rien à faire, on attrape des mouches. On les met dans un endroit d’où elles peuvent pas s’échapper. Quand on en a six, on les prend une par une et on attache un fil de couture autour d’elles. Parce que c’est très fin et qu’une mouche c’est quand même très petit. Avec le fil, on les relie les unes aux autres. Ensuite on attache au bout du fil un petit char en papier, ce qui est vraiment bien pour la taille des mouches. Ca fait comme des chevaux avec des ailes, qui tirent un char. Quand on les lâche, elles s’envolent dans tous les sens, et ça dure même pas deux secondes avant qu’elles s’emmêlent dans le fil et qu’elles retombent par terre avec leur char. Mais quand elles s’envolent, au moment où on les lâche, ça fait vraiment comme un truc magique. »

 

Amélie Sudrot

 

 

« Un nageur en plein ciel » Lorent Idir
Editions Rivages/Noir ; 8 euros ; 239 pages
Collection dirigée par François Guérif
Sorti le 17 mars 2010-Disponible dans toutes les librairies

(1) Extrait du Saule d’Hubert Selby Jr

Les deux extraits cités sont tirés respectivement  des pages 168 et 97 d’ “Un nageur en plein ciel”

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