Crime et châtiment – Musée d’Orsay
Le 30 septembre 1981, le garde des Sceaux et ministre de la Justice Robert Badinter, obtenait l’abolition en France de la peine de mort. Deux siècles de débats avaient été nécessaires : c’est dès 1791 que Le Peletier de Saint-Fargeau avait réclamé l’abolition du châtiment capital aux députés de la Constituante. 1791 / 1981 : deux siècles, de la Révolution à nos jours, auront passionnément disputé du sens et de la valeur d’une peine qui, après avoir relevé de l’omnipotence d’un Dieu ou de l’autorité absolue d’un Roi – tempérée par le droit de grâce – ne serait plus administrée, dans la logique des Lumières, que par l’homme, et l’homme seul. Mais l’homme peut-il juger de l’action des hommes ?
Riche d’une très ancienne inspiration noire, la littérature moderne a résonné de ces luttes et créé des personnages innombrables et inoubliables de criminels, de Sade à Baudelaire et Barbey d’Aurevilly, de Dostoïevski, à qui nous empruntons le titre de l’exposition, au Camus de l’Étranger… La figure du meurtrier, dans son énergie négative et sa complexité, est l’ombre portée du héros, son double ambigu, sa part de transgression la plus dérangeante car la plus attirante. Nourriture des journaux (de Lacenaire à Violette Nozières), et bientôt des quotidiens illustrés, le crime de sang décuple par la fiction du romanesque et du théâtre sa puissance fantasmatique. L’association du meurtre et de l’abus sexuel devient même un des must de la littérature à sensation et des images qu’elle véhicule ou provoque.
Car la contamination des arts visuels par le thème criminel, le fait-divers, voire l’imagerie de la petite presse, constitue une autre des grandes données du siècle. La peinture en témoigne à foison : de La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime de Prud’hon à la Némésis de Vallotton, de l’Affaire Fualdès qui fascina Géricault au Louvel de Delacroix, des pendus de Victor Hugo aux chaises électriques de Warhol. Des thèmes nouveaux apparaissent et s’imposent à l’imaginaire, telle la femme criminelle. Stigmatisée par David, réhabilitée par Baudry puis noircie à nouveau par Edvard Munch, Charlotte Corday rejoint ainsi les figures mythiques, de Lady Macbeth à Lucie de Lamermoor. Se pose aussi la question des rapports entre folie, génie et crime, des prisonniers de Delacroix à ceux d’Egon Schiele.
Les peintres les plus grands sont ceux chez qui la représentation exaspérée du crime ou de la peine capitale sont à l’origine des oeuvres les plus saisissantes, de Goya et Géricault à Lautrec et Picasso. Comme l’opéra, le cinéma ne sera pas long à s’assimiler les charmes troubles d’une violence extrême qui plait dans la mesure même où sa représentation la transforme en plaisir, voire en volupté.
C’est à la fin du XIXe que naît et se développe une approche qui se veut scientifique du tempérament criminel : Lombroso, dont 2009 marque le centenaire de la mort, développe une anthropologie qui prétend établir les caractéristiques mais aussi les constantes de l’homme criminel, qui s’inscriraient dans sa physiologie même, comme des stigmates, et même se transmettraient par atavisme.
Dire cela, c’est aussi décriminaliser en partie l’individu et criminaliser la classe sociale et bientôt la race, ou du moins les rendre susceptibles d’une expertise scientifique, dont Bertillon plus tard développera les procédures. C’est conclure à une certaine “irresponsabilité” d’un homme pris dans le destin d’une anatomie. De telles théories auront une influence considérable sur la représentation picturale, statuaire ou photographique. Habitué des prétoires comme Daumier qu’il admirait, Degas aime à scruter et déchiffrer le visage des prévenus, anxieux d’y retrouver la “science” des criminologues. Et son petit Rat à tutu, loin d’être une innocente jeune fille, est un animal dangereux qui répand la peste. La violence sexuelle hante aussi Degas, elle ne pouvait que déboucher sur les excès d’un frénétisme néo-baroque chez le jeune Cézanne, puis chez Picasso, avant de s’épanouir avec Dix et Grosz ou le dernier Munch.
Comment ne pas rappeler enfin que le motif du gibet, du garrot et de la guillotine est omniprésent, alors même que des architectes tentent de créer, à travers les projets de panoptique, des prisons où l’individu serait à tout instant exposé au regard de tous ? Depuis quelques années une nouvelle interrogation s’élève à propos du crime et de son châtiment : le crime passionnel, le crime compulsif du serial killer, sont–ils redevables de l’expertise psychiatrique et du renfermement asilaire, ou bien du prétoire et de l’enfermement carcéral ? C’est au-delà du crime poser encore et toujours le problème du Mal, et au delà de la circonstance sociale, l’inquiétude métaphysique. L’art, notamment celui des années 1820-1920, peut là encore apporter un témoignage spectaculaire. Esthétique de la violence, violence de l’esthétique, l’exposition du musée d’Orsay ne saurait que les réconcilier en rapprochant images de toutes sortes, littérature et musique.
Crime et châtiment
D’après un projet de Robert Badinter
Commissaire général : Jean Clair, conservateur général du patrimoine et membre de l’Académie française.
Commissariat : Laurence Madeline, conservateur au musée d’Orsay.
Philippe Comar, professeur à l’École nationale des beaux-arts.
Du 16 mars au 27 juin 2010
Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9h30 à 18h (fermeture des caisses à 17h), le jeudi jusqu’à 21h45
Tarifs : plein tarif : 9,5 € ; tarif réduit : 7 €
Musée d’Orsay / Niveau 0, Grand espace d’exposition
1, rue de la Légion d’Honneur
75007 Paris
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