Take Shelter – film de Jeff Nichols
Une si longue attente… Est-ce un hasard si l’un des meilleurs films du Festival de Cannes 2011, dûment récompensé par le Grand prix de la Semaine de la critique en mai dernier, ne déboule en salle qu’à l’orée de cette peu rassurante année 2012 ? Tandis que se déploient, d’ores et déjà, moult commentaires alarmistes, entre crise pandémique et lointaine prophétie maya (!), Take Shelter, qui déroule les angoisses lancinantes d’un père de famille américain obsédé par la menace d’une tornade, semble, a priori, parfaitement s’intégrer à cette ambiance générale de « fin du monde ».
Pour autant, même si le jeune réalisateur Jeff Nichols manie avec un art consommé les codes du film-catastrophe – coups de tonnerres vrombissants, oiseaux menaçants, visions apocalyptiques, montée en puissance irrépressible, twist final, etc. — il en dépasse, et de loin, très vite, la seule efficacité visuelle. De toute évidence, on est dans la métaphore et l’épure, et d’autant plus que l’un des talents de ce cinéaste décidément impressionnant est de ne jamais plomber son récit de surinterprétations inutiles.
Certes, son deuxième opus – après l’admirable galop d’essai que fut, en 2007, le trop méconnu Shotgun Stories – est tout entier bâti sur la peur. Mais cette peur est précisément inquiétante parce qu’elle est traitée, du point de vue de la mise en scène, de la façon la plus anti-spectaculaire qui soit. La caméra s’attarde sur les visages (c’est dire si l’empathie prévaut) et sur les paysages, scrutant avec douceur le lent effondrement des repères familiers de cette petite communauté américaine, blanche et ouvrière, centrée autour de la sphère familiale. L’influence (revendiquée) de Terrence Malick n’est d’ailleurs jamais loin avec ces plans longs, frémissants, habités. On y retrouve, de fait et avec bonheur, la grâce de la comédienne Jessica Chastain (révélée, tiens, tiens, dans The Tree of Life).
Bien sûr, il y a les rêves récurrents, traumatisants de Curtis, le personnage principal, ce père paisible auquel le formidable Michael Shannon prête son charisme ambigu, un peu à la façon d’un Christopher Walken « roots ». Rêves dont on ne parvient jamais à savoir s’ils sont prémonitoires ou paranoïaques, d’ailleurs… Justement, c’est dans cette incertitude — est-il fou ou médium ? — que le film s’accomplit réellement, parachevant sa belle coïncidence entre fond et forme.
Take Shelter, en effet, est un film qui décrit une frontière. A tout point de vue. Frontière, on l’a vu, entre le film-catastrophe (voire thriller) et l’ « Americana », ce genre cinématographique spécifiquement américain, qui aime à ressourcer son « blues », sa nostalgie, dans la chronique rurale, estampillée « red neck », ou le western (de John Ford à Clint Eastwood, pour les plus grands). Frontière, on l’a compris aussi, entre normalité et folie. Frontière, enfin, entre le calme, forcément précaire, et la tempête, toujours redoutée et redoutable…
Oui, c’est bien de cela, au fond, dont parle Take shelter. De cette Amérique reposant sur les valeurs fondatrices de la famille et du capitalisme, ébranlée, menacée comme jamais, aujourd’hui, par la crise qu’elle a elle-même engendrée. Une phrase-clé articule ainsi la dramaturgie impeccable du film. Prononcée par le frère aîné de Curtis, lorsqu’il le voit prêt à s’endetter afin de construire un abri anti-tornade pour sa femme et sa fillette, la voici : « Un moment d’inattention dans ce monde économique et tu es mort ».
Bienvenue dans l’année 2012 !
Ariane Allard
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Festival Télérama 2013 (du 16 au 22 janvier)
- Sélection Télérama
Independent Spirit Awards 2012
- 5 nominations : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur, Meilleure actrice dans un second rôle et Piaget Producers Award
New York Film Critics Circle Awards 2011
- 1 prix : Prix de la meilleure actrice dans un second rôle
The Washington DC Area Film Critics Association Awards 2011
- 1 nomination : Prix du meilleur acteur
Fantastique Semaine du cinéma de Nice 2011
- 1 prix : Prix du Meilleur Film – Méduse d’Or
- 6 nominations : Prix du public – Meilleur film, Prix du public- Meilleurs effets spéciaux, Prix de la Peur, Prix de la meilleure réalisation, Prix du film le plus original et Prix de la meilleure bande-son
Festival 2 cinéma de Valenciennes 2011
- 1 prix : Prix de la critique – Longs métrages
- 3 nominations : Prix du public – Longs métrages, Prix du jury – Longs métrages et Grand Prix du jury – Longs métrages
Semaine Internationale de la Critique 2011
- 3 prix : Grand Prix de la Semaine de la Critique, Prix SACD et Prix ACID
Zurich Film Festival 2011 (
- 1 prix : Œil d’Or du meilleur film
- 1 nomination : Critic’s Choice Award
Festival International du Film de Toronto 2011
- 1 nomination : Prix de la Critique Internationale – Présentations spéciales
Festival du Cinéma Américain de Deauville 2011
- 2 prix : Grand Prix et Prix de la Révélation Cartier
- 2 nominations : Prix du Jury, Prix de la critique internationale
- 2 prix : Prix FIPRESCI de la Critique internationale – Quinzaine des réalisateurs et Prix de la Critique internationale
Take Shelter
De Jeff Nichols
Avec Michael Shannon (Curtis LaForche), Jessica Chastain (Samantha LaForche), Tova Stewart (Hannah LaForche), Shea Whigham (Dewart), Katy Mixon (Nat), Kathy Baker (Sarah), Ray McKinnon (Kyle), Lisa Gay Hamilton (Kendra), Robert Longstreet (Jim), Guy Van Swearingen (Myers) et Natasha Randall (Cammie)
Durée : 120 minutes
En salle le 4 janvier 2012
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