Laurence Anyways – drame de Xavier Dolan
Des années 1980, on retient souvent l’idée d’une exubérance outrancière, d’un décorum décadent, d’un faste ostentatoire, propices à toutes les extravagances, à une époque dont les Golden Boys étaient les héros. La réussite, la jeunesse, la beauté, le luxe, se montraient, étalés avec fierté aux yeux d’une société qui les avait érigés en valeurs fondamentales.
A Montréal, en 1989, Laurence est un jeune professeur de lettres au nom androgyne et à qui tout sourit. Séduisant, il est respecté et admiré par les étudiant-e-s du Cegep (équivalent canadien du secondaire) dans lequel il enseigne. Sa compagne, Fred, aspirante réalisatrice, et lui-même, sont follement amoureux. Ecrivain et poète dans l’âme, il vient de remporter un prestigieux prix d’écriture.
Pourtant, à l’aube de ses trente-cinq ans, il craque. La vérité qu’il tente de réfuter depuis toujours doit être révélée ; dans sa peau d’homme, il étouffe. Bien qu’il ne soit pas né dans le bon corps, Laurence s’est toujours su et senti femme. Il décide alors d’enfin assumer être celle qu’il est au plus profond de lui.
Après un premier mouvement d’incompréhension et de rejet, Fred, qui le croit d’abord homosexuel, prend le parti de l’aider à devenir cette femme. « On va faire ça ensemble » lui annonce-t-elle tout simplement au téléphone. Mais c’est alors Laurence qui ressent la peur, qui ne sait pas comment affronter son quotidien avec cette nouvelle identité et craint de ne plus être acceptée. (La séquence qui montre Laurence entrer en cours habillée en femme pour la première fois, est, à ce titre, particulièrement admirable, et intense par l’émotion qu’elle fait partager au spectateur.)
Laurence Anyways est un film complexe et terriblement juste sur le parcours d’un homme qui réfute l’identité genrée qui lui a été attribuée socialement pour se réaliser. Un sujet sensible, difficile, filmé avec beaucoup de pudeur et de discernement. Car le film de Xavier Dolan a la remarquable intelligence de montrer que la transidentité n’est pas conditionnée par une quelconque opération : à aucun moment, on ne saura si Laurence a vraiment fait le choix de subir un changement chirurgical de sexe, et pourtant, elle n’en devient pas moins femme. A l’heure où des associations de défense des droits des personnes transgenres, telles que l’ANT (Association Nationale Transgenre) réclament toujours en vain à l’Etat français l’obtention de papiers d’identité libre, gratuite, sur simple demande et sans condition médicale, cette subtilité revêt une importance capitale.
De subtilité, le propos ne manque d’ailleurs pas. Tous les clichés où l’on aurait pu redouter de voir sombrer un film sur un tel sujet sont esquivés avec grâce, et le combat de Laurence n’en est que mieux dépeint. Non-content de démentir ce préjugé selon lequel transidentité et homosexualité seraient liées, le film clame également haut et fort une notion qui ne devrait même plus faire débat, mais qui est pourtant toujours en vogue, notamment dans le milieu psychiatrique : être transgenre, ce n’est pas souffrir d’une quelconque maladie mentale. Outre le beau Melvil Poupaud, qui campe ici une femme magnifique, la réalisation de Xavier Dolan doit d’ailleurs être saluée comme une part considérable de cette indéniable réussite : chaque plan est composé avec un souci de la couleur, une manière de capter la lumière, un sens de la perspective et de la mise en espace que n’aurait pas renié un grand maître de la peinture flamande. Dans ces cadres esthétiques parfaitement pensés, les personnages resplendissent. Et ce faste qui rappelle donc l’exubérance caractéristique des années 1980 contraste d’autant plus avec le destin de ce personnage hors-normes de Laurence, qui, à une époque où toutes les outrances sont soi-disant possibles, en révèle l’hypocrisie sociale en osant la transgression ultime : se construire soi-même, dans l’affirmation que son sexe ne détermine pas son genre.
Extrêmement touchant, bouleversant de sincérité, questionnant le rapport aux normes imposées par la société vis-à-vis de la question du genre, normes qui s’insinuent dans le couple et l’entourage de Laurence de façon destructrice, comme si son sexe constituait l’essence-même de ce qui le/ la définissait en tant que personne ; Laurence Anyways est si intelligent, si fin et si profond dans son analyse qu’on lui pardonnera aisément quelques petites longueurs. Un film sidérant, passionnant, à voir absolument.
Raphaëlle Chargois
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Lumières de la presse étrangère 2013 (18 janvier)
- Nominations : Meilleur film francophone
Paris Cinéma 2012 (du 29 juin au 10 juillet)
- Avant-première
Festival du Film de Cabourg – Journées romantiques 2012 (du 13 au 17 juin)
- 2 prix : Grand Prix et Prix de la Jeunesse
- Nominations : Mention spéciale du Jury et Prix du Public
Festival de Cannes 2012 (du 16 au 27 mai)
- Sélection officielle (film en compétition)
- 2 prix : Un Certain Regard – Prix d’interprétation féminine (Suzanne Clément) et Queer Palm (Un certain regard)
Laurence Anyways
De Xavier Dolan
Avec Melvil Poupaud (Laurence Alia), Suzanne Clément (Fred Belair), Nathalie Baye (Julienne Alia), Monia Chokri (Stéfanie Belair), Susan Almgren (une journaliste) et Yves Jacques (Michel Lafortune)
Durée : 161 min.
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