De rouille et d’os – film de Jacques Audiard avec Marion Cotillard
Sortie le 17 mai 2012
Le 6ème long métrage de Jacques Audiard, en compétition à Cannes ce jeudi, est sorti simultanément en salle. Ce mélodrame taiseux, un rien brutal, d’une force rare pourtant, oppose deux éclopés de la vie, interprétés par Marion Cotillard et Matthias Schoenaerts, tous deux formidables. Il surprendra les fans irréductibles du Prophète, son opus précédent. Pourtant, on y retrouve plusieurs de ses thèmes de prédilection… Attention, un film peut en cacher un autre !
Trois ans après la consécration du Prophète à Cannes — Grand prix du Festival en 2009 — Jacques Audiard s’en revient fouler le tapis rouge de la Croisette. Une présence légitime, certainement pas anodine : à quelque 60 ans, le fils du célèbre Michel est, en effet, devenu une figure majeure de la cinéphilie française. Cela depuis la réalisation, nerveuse, complexe, de De battre mon cœur s’est arrêté (2005), même si ses références – sa matière – puisent d’abord aux sources prodigues du film noir américain, singulièrement celui des années 60 et 70. Pour autant, ce « boss » discret va-t-il à nouveau convaincre les jurés ?
A priori, en s’inspirant librement d’une des nouvelles du romancier canadien Craig Davidson, De rouille et d’os, son nouvel opus — qui sort en salle ce 17 mai — semble évoluer en terrain familier. Une certaine mythologie américaine, avec ses errances, ses rêves avortés, ses marginaux au cœur tendre, ses hommes violents et fragiles à la fois, irrigue bien, à nouveau, l’imaginaire « intranquille » d’Audiard junior. Sauf que ce film-là, qui démarre dans un Nord générique, triste, urbain, et rebondit très vite dans le Sud de la France, s’inscrit peu à peu dans une dynamique autre. En clair, il y est finalement question de… lumière ! Loin, très loin du Prophète en somme, cette proposition détone, et pas seulement parce que Marion Cotillard y joue sans fard (formidablement)…
Méli-mélo-mêlé
De fait, c’est la première fois qu’Audiard s’aventure sur le terrain du mélodrame, flirtant même avec les conventions du genre, au risque d’être un peu trop prévisible : il sait néanmoins rétablir la juste distance (sauf peut-être dans son dernier plan, au ralenti, un peu raté hélas). Pour un cinéaste qui, jusqu’alors, s’était illustré dans le registre du thriller social et vénéneux (Sur mes lèvres) ou, plus généralement, du « film d’hommes » (Un Prophète), voilà qui est audacieux. Est-ce à dire qu’il s’égare ? Pas forcément ! Car en abordant ce genre « étranger » — une histoire d’amour entre deux éclopés de la vie —, il ne perd rien de son intelligence du récit, tout en métaphores et intrigues secondaires, ni de sa forme, essentiellement frémissante.
Ainsi, dans ce Midi hospitalier et violent pourtant, tandis que Stéphanie (Marion Cotillard), dresseuse d’orques qui se retrouve dans un fauteuil roulant, et Ali (Matthias Schoenaerts, révélé récemment dans Bullhead), boxeur sans argent et sans amis, s’efforcent de survivre puis de revivre, on retrouve avec bonheur l’attention singulière que le cinéaste français sait accorder aux corps de ses acteurs, à leurs gestes, leurs regards. Un rapport organique d’autant plus pertinent qu’il s’agit de personnages taiseux, en souffrance et en cours de… cicatrisation.
Même si, par moments, le réalisateur-coscénariste peut donner le sentiment de se brider un peu — par peur de sombrer dans le sentimentalisme ou le cliché ? — la force de son 6ème long métrage, c’est assurément cette émotion un rien brutale, quasi-animale, qu’exhale chaque plan, raccord somme toute avec la vigueur simple d’Ali, personnage moteur sinon principal (Matthias Schoenaerts, une fois encore épatant). D’ailleurs, le « Je t’aime » d’usage, celui qui lui permettra de faire céder toutes les digues, ne sera chuchoté qu’à la toute fin, au terme d’une prodigieuse séance de « renaissance » : auparavant, Ali, force brute à tout point de vue, aura littéralement « brisé la glace » pour y parvenir…
« Secondaires »…
Autre atout de ce film faussement défait mais habilement recousu : ses personnages secondaires, ou apparemment. Ceux-là même, en tout cas, qui ancrent cette histoire un rien hors du temps dans une réalité sociale âpre et convaincante. Jacques Audiard n’a pas son pareil pour décrire en quelques plans, regards et dialogues, un milieu prolétaire ou socialement plus assuré. Cette densité complète bien plus qu’elle ne déborde l’histoire d’amour entre Ali et Stéphanie. Surtout, elle lui permet de tisser des liens avec ses œuvres précédentes et donc de permettre à De rouille et d’os de n’être pas uniquement qu’un exercice de style dans un registre inexploré jusqu’alors.
Certes, la « love story » se tisse délicatement, et certes, les personnages féminins se hissent avantageusement – on pense aussi à Anna, la sœur d’Ali, très justement interprétée par Corinne Masiero : tout cela est nouveau chez Audiard. Pour autant, en marge de ces deux trajectoires et de ces deux « héros », cela n’est évidemment pas un hasard si les premières images du film nous donnent à voir, d’abord, Ali et son fils au bord d’une route (l’enfant sur les épaules de son père). Pas plus que n’est surprenante la main du garçon qui, à la fin, s’accroche à celle, meurtrie, bandée mais retrouvée, de son père. Bien sûr, on le perd un peu au fil du récit, ce petit Sam dont Ali semble si peu préoccupé. Mais cette présence entêtante sinon récurrente, jusqu’à la scène poignante, bouleversante, de noyade (et de sauvetage) dans un lac gelé, témoigne bel et bien que la charpente de De rouille et d’os — son ossature en quelque sorte ! — reste cette difficile relation père/fils, sur le chemin de la reconnaissance, tout simplement.
Une thématique qui, pour le coup, traverse, elle, tous les films de Jacques Audiard : c’est dire si une histoire peut en cacher une autre… C’est dire si, au travers d’un mélodrame, non seulement ce grand cinéaste ne se perd pas de vue mais évolue. De fait, cette fois, il ne s’agit plus de regarder les hommes tomber (d’après le beau titre de son premier film), mais d’en voir un, au moins, se relever. Dans la lumière du Sud, de l’amour et de la paternité. Et si De rouille et d’os était une œuvre non pas de transition mais… de réconciliation ?
Ariane Allard
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London Film Festival 2012 (du 10 au 21 octobre)
- Film en compétition
Festival International du Film de Toronto 2012 (du 6 au 19 septembre)
- Avants premières nord américaines
Festival du Film de Cabourg – Journées romantiques 2012 (du 13 au 17 juin)
- 1 prix : Swann d’Or du meilleur film
- Nomination : Ciné Swann
Festival de Cannes 2012 (du 16 au 27 mai)
De rouille et d’os
De Jacques Audiard
Avec Marion Cotillard (Stéphanie), Matthias Schoenaerts (Ali), Bouli Lanners (Martial), Céline Sallette (Louise), Corinne Masiero (Anna), Jean-Michel Correia (Richard) et Mourad Frarema (Foued)
Durée : 115 min.
Sortie le 17 mai 2012
A découvrir sur Artistik Rezo :
– Festival de Cannes 2012 – 16 et 17 mai 2012
– la critique du film par Lucile Bellan
– les films à voir en 2012
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