Anna Karenine – drame de Joe Wright
« Les pièces de Shakespeare sont mauvaises, mais les vôtres sont pires encore ». Ainsi s’adressait Tolstoï à Tchekhov tout en admirant chez l’auteur de La Mouette le prolifique nouvelliste. Car, plus que Tchekhov, c’est le théâtre que détestait Tolstoï (même s’il écrivit quelques pièces). Porter à l’écran Anna Karénine, roman universellement reconnu, constitue aujourd’hui, avec un préexistant d’une vingtaine de films, un défi. Le présenter comme une pièce de théâtre relève de l’affront dont les gardiens du temple tolstoïen risquent de ne pas se remettre. C’est pourtant ce que propose Joe Wright (Orgueuil et préjugés) qui livre un flamboyant objet de cinéma où la notion de mise en scène, si souvent galvaudée, prend ici tout son sens.
En optant pour un décor de théâtre, le cinéaste va, en dépit de la « théatrophobie » du romancier dont il s’inspire, restituer l’essentiel du matériau littéraire. En effet, la société aristocratique pétersbourgeoise dans le roman se fait spectatrice et même voyeuse de cette histoire d’adultère entre une femme mariée et un jeune officier de l’armée du tsar. En permanence le spectateur se fond donc dans cette masse inerte qui assiste à cette descente aux enfers, ce qui accentue le double crédo tolstoïen, la solitude du personnage éponyme et sa capacité isolée à agir lorsque le reste de l’aréopage qui l’entoure se contente de subir l’existence ou de la laisser couler tel un long fleuve tranquille. Point de mire permanent, Anna s’enfonce donc dans une solitude fatale, ce que Wright retranscrit admirablement en liant les autres personnages par des déplacements quasi chorégraphiés que suivent d’amples mouvements de caméra quasi ophülsiens.
Si, sur le papier, l’héroïne de Tolstoï reste physiquement assez mystérieuse, l’auteur n’en livrant pas un portrait balzacien, à l’écran l’image qu’en rend la comédienne constitue un élément primordial en terme de crédibilité. Et plus encore que dans le roman, le couple qu’Anna forme avec Vronski se doit de fonctionner au cinéma. Cet écueil fut souvent mal amorcé dans les précédentes adaptations, le rôle-titre ayant été confié à des comédiennes déjà stars (Garbo, Leigh, Marceau, Samoïlova pour le cinéma, Bisset pour la télévision) quand le rôle ne les « starifiait » pas plus encore (la version de Clarence Brown avec Garbo en 1935). De facto, le rôle de Vronski s’est-il souvent trouvé en retrait, voire négligé, rendant l’idylle presque invraisemblable (Sean Benn face à Sophie Marceau en 1998 détenant le pompon dans ce domaine).
Outre la magnificence des décors et des costumes, le respect de la narration et l’incessant tourbillon romanesque que fait souffler le cinéaste durant plus de deux heures, son choix des interprètes termine de convaincre. Keira Knightley est une splendide Anna, secondée par le jeune Aaron Taylor-Johnson diablement charismatique dans les atours de Vronski. On croit à leur romance, à leur attirance réciproque et même si Jude Law s’avère encore presque trop beau pour incarner Karénine (le mari d’Anna), il ne porte aucune ombre à la performance de ses deux partenaires. Seul Domhnall Gleeson, transformé en paysan béta là où Tolstoï décrivait en Levine son propre double (d’où son nom, Tolstoï se prénommant Lev en russe), ne convainc pas pleinement. Un bémol qui toutefois ne ternira pas la prouesse de certaines séquences souvent époustouflantes de maîtrise.
Franck Bortelle
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Oscars 2013 (24 février)
- 1 prix : Meilleurs costumes
Anna Karenine
De Joe Wright
Avec Keira Knightley, Jude Law et Aaron Taylor-Johnson
Durée : 131 min.
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– les films à voir en 2012
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