Larry Clark – Une leçon de cinéma
Rien de tel qu’une interdiction (aux moins de 18 ans) pour attiser la curiosité de tout un chacun. Et titiller cet irrépressible goût pour la transgression, propre – dit-on – à la seule jeunesse, l’âge de tous les possibles, voire de toutes les expériences. L’exposition Larry Clark est censurée par la mairie de Paris au Musée d’art moderne ? Hop, c’est carrément la foule des grands jours, tous âges confondus cette fois, qui s’est pressée, ce week-end des 8, 9 et 10 octobre à la Cinémathèque, puisqu’ici on lui rendait hommage également ! Ceci en dépit d’un soleil, en extérieur, à faire rougir… même les plus férus d’indices de protection !
La foule veut voir, et, dans le cas de cet homme d’images, elle a raison. Une foule chaleureuse, attentive, comblée ; mix probable d’artistes, de cinéphiles et de nombreux étudiants, Larry Clark étant reconnu, depuis longtemps, comme l’un des grands noms de la photographie et du cinéma américain. De fait, la Cinémathèque n’a pas attendu cette frilosité municipale – et le buzz qui va autour – pour saluer son talent : son premier film – Kids – date de 1995… Juste retour : ce week-end à Bercy, la projection de ses 6 longs métrages (plus un court, inédit) – montrés en salles sans jamais avoir été classés X, faut-il le rappeler – a donc pris l’allure d’une fête partagée, douce et âpre. A l’image de ces œuvres au fond, empathiques, mélancoliques et crues, qui disent comme personne les douleurs et les dérives d’une certaine jeunesse américaine.
Entier
Point d’orgue de ces rencontres-retrouvailles : la masterclass – ou Leçon de cinéma – animée samedi en fin d’après-midi par Matthieu Orléan, au côté d’un Larry Clark aussi concentré qu’exigeant (râlant lorsqu’il jugeait les extraits de ses films coupés au mauvais endroit). Raccord, pour le moins ! L’artiste est sincère et entier, dans son travail au long cours avec ses jeunes comédiens, souvent non-professionnels, comme dans la vie. Ainsi, lorsque cet homme de 67 ans se trouve (enfin) face à son public-miroir, premier destinataire de ses films dérangeants (mais nullement voyeurs). De fait, dans la salle Henri Langlois – et ce n’est évidemment pas un hasard – nombre de spectateurs, pour le coup, n’avaient pas 18 ans… Ils l’ont écouté, avidement, dérouler ses coups de cœur et coups de gueule, ses anecdotes et ses engagements, ceci pendant près de deux heures. Respectueux puisque se sentant respectés, en effet. C’est là toute la différence : écoutons là, écoutons-le, sous forme de morceaux choisis…
Extraits
A propos de morale : « Quand je dis à mes amis que je suis un moraliste, tout le monde rit… Pourtant, moi je pense qu’il y a des conséquences à chacun de nos actes, quoi que l’on fasse. Même dans Kids, il y a un cœur moral… ».
A propos de cinéma : « toute ma vie j’ai voulu faire du cinéma ! Au fond, je voulais être un écrivain, raconter des histoires : c’est ce qui unit tout ça. En fait, je voulais être tout, sauf photographe… Mais le seul outil que j’avais, c’était un appareil photo ! ».
A propos de singularité : « quand j’étais photographe, je photographiais des mondes intimes, qui n’étaient pas censés exister. Je devais travailler seul, je ne pouvais amener personne dans le monde dans lequel j’allais. A l’époque de Tulsa (la ville où il est né et le nom de son premier livre de photos, en 1971), j’étais un des personnages parmi les autres. J’étais hors la loi. Plus tard, quand j’ai voulu faire des films, je ne suis pas idiot : je savais qu’il fallait que je change d’image, que j’arrête la drogue. Même si un artiste travaille toujours seul, quand on fait un film, on est avec 50 ou 100 personnes… Il fallait que je me remette sur pied physiquement. Que j’aie assez d’énergie pour les jeunes comédiens et pour toute l’équipe. D’autant que je suis un homme de détails : je voulais tout savoir sur chaque métier, du chef machiniste à l’accessoiriste ! ».
A propos des règles et d’Hollywood : « Dès mon premier film, il a fallu que je rééduque tout le monde pour obtenir d’eux ce que je voulais. Je sais ce que je veux, j’ai une vision claire. Mais pour mon premier film, les producteurs exécutifs étaient surqualifiés et le monteur totalement formaté… Ils me disaient tous que j’étais dingue. Et que ce film allait être merdique ! A chaque fois qu’ils me parlaient des règles, je leur disais qu’on allait faire exactement le contraire… Parce que j’essayais de faire quelque chose de nouveau, justement. Avec Kids, je voulais montrer quelque chose qui n’avait encore jamais été vu au cinéma ».
A propos de Ken park : « Cela aurait dû être mon premier film. Mais je n’ai pas réussi à trouver les financements, même après Kids. C’est l’histoire de ma vie, ça ! Ça fait partie de cette histoire de règles… Je ne savais pas que l’on ne pouvait pas faire ce genre de film explicite. Vraiment. Pourtant, toutes ces histoires sont basées sur des gens que j’ai connus ou sur des faits divers. Mes films parlent de la vie, de la vraie vie. Mais ce que dit Ken park, c’est que l’on peut éventuellement contrôler ses actes, mais pas ses pensées… ».
A propos de son film préféré : « J’aime tous mes films, mais mon favori, je crois, c’est Wassup rockers. Sinon, le film qui a le plus compté pour moi en général, c’est Meurtre d’un bookmaker chinois, de John Cassavetes. Au cinéma, tout est une question de sentiments et de vérité, une question d’identification, mais à un niveau humain. Or, celui qui a fait ça le mieux, c’est Cassavetes ».
Ariane Allard
Lire aussi sur Artistik Rezo, l’exposition Brune / Blonde à la Cinémathèque française.
La Cinémathèque française
51 rue de Bercy
75012 Paris
Métro Bercy (lignes 6 et 14)
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